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L’espère-lurette, chronique po&ique, par Jean Palomba (juillet 2018)

jeudi 5 juillet 2018, par Roselyne Sibille

La voix de l’eau - Sylvie-E. Saliceti – Editions de l’Aire (2017)

La voix de l’eau, titre de ce récital vocal en milieu marin, est nagé par Sylvie-E. Saliceti. Il s’offre aux ouïes selon trois paliers qui font chapitres.

I- La voix de l’eau, filet de voix ne tenant qu’au sillon de la nage, la glisse au fin liseré d’écume, le kaléidoscope des visions de la nageuse, le reflet du ciel dans l’eau et de l’eau dans le ciel bleu des yeux, scintillements au son du souffle avec l’éclat des pensées dans la voix intérieure.
Un poisson volant, un oiseau de mer... entre : la voix de l’eau. Le corps est tout à la mer qui comprend le corps qui comprend la mer, « corps et biens » écrirait Desnos. Le corps est une écriture de la mer, une écriture de toutes les mères possibles. La mer grave, entoure, détoure ce corps mis en abîme en elle, où naît, renaît un chant remonté des abysses en soi. Corps, comme elle, fait d’eau, de mémoire et de sel, de lumière et d’ombre. Mer fertile ainsi que la nageuse, celle qui dit « je », « je nage ».
Sylvie-E. Saliceti, nageuse, écri(rêv)euse, pareille à la mer, existe par tous les temps, hiver, printemps, été, automne, demi-jour, soleil, vent, neige, pluie, nuit... son corps mis à la nage. Nageant, elle traverse le cercle des saisons, prend la mer, celle du dehors - surface enveloppante, contient la mer, celle du dedans - chaque organe en fonds marins. La lisant, on entend à la nage, environnant cette voix de l’eau, celle de Ferré (La mémoire et la mer), celle de Camus (Le bain de mer - La mort heureuse), celle de Nougaro (les claquettes de pluie sur la moire ondulante) et l’infinie boucle du poème rimbaldien, la spirale éternelle (… la mer allée avec le soleil)... aussi tant d’autres... font monter à la lecture comme une envie d’enfant, une envie de larmes... de joie.
Poreuse, trans(é)parante, incarnée à ce corps de femme, toujours, encore, entre chien et loup, ou à l’heure bleue, paraît la ligne nouvelle d’horizon - promeneuse horizontale et marine, sirène fuselée dont le chant délicatement précis charme l’œil et l’ouïe, sans sortilèges, mais avec puissance de vie, de voix, de mémoire vive.

II- Une île dans une île
puis,
III- La mer n’existe pas

La voix de l’eau alors se met en ondes selon un mouvement spiralé tel que le définit Pessoa : « (…) Une spirale, c’est un serpent sans serpent, qui s’enroule verticalement autour de rien ». Ainsi la voix de la nage(heur)euse devient-elle visage invisible de soi, noyé dans les profondeurs, que seule la nage permet d’apercevoir... grâce à l’écoute, seul orifice toujours ouvert, une écoutille permettant l’accès aux étages intérieurs. Cette île dans une île est figurée dans un calligramme qui ouvre et rouvre la partie II de ce récit maritime infra sonore : un carré blanc entouré d’un carré de mots, toujours le mot « vagues » multiplié x fois, lesquels sont disposés en carré dès lors troué, lui-même détouré par les blancs du bord de page. Une île comme un banc blanc de sable au mitan d’une île de « mots- vagues » écrite par la mer. Sur la page blanche. La mer, cet îlot ceignant le corps blanc de la nageuse, île vivante, mouvante au cœur de l’île aqueuse faite de mots-vagues qui n’existent plus pour la nageuse devenue plongeuse dont le corps se coule au fond de l’eau pour l’abolir, rejoindre la terre poétique du fond marin.
Ultime anneau pressenti du serpent sans fin invisiblement enroulé autour du plongeon vertical d’une nageuse inédite, traduits ici dans la voix de Sylvie-E. Saliceti par cette affirmation : La mer n’existe pas. Où pour le dire autrement et ailleurs toujours depuis la main poreuse, traversée de mots soufflés par la houle, cet élan d’ S-E. S., passant La Porte – Et quand tu écriras, Editions 2015 :

(…) ce sera le matin appuyé sur la nuit
le temps sera blessé
il marchera en soutenant la hanche
de la terre
la présence immédiate sera une voix
coupante Ton timbre
de roche ruisselant Cette île
dans le corps
falaise des Sanguinaires – ce sera toi

quand ta poitrine sera remplie
de cascades sans âge
de vestiges solaires – un rite s’offre ici -
une sorcellerie de ruines splendides
alors danse pieds nus dans les pailles
avec les brochets vifs Que ton âme nage
sur le corps de la lumière
aux parois de grès
et de destin
(…)

La voix de l’eau ?..., une entrée d’eau imprévue dans la langue maternelle, cette langue de terre ouverte à tous les ciels sous la ligne de flottaison.

Extraits

N.B.

Ces textes furent écrits sitôt sortie de l’eau, à
l’occasion de nages en mer, y compris en hiver.
Ils sont donc un saisissement – sur le vif.
Les plages arpentées sont essentiellement
celles du Prophète à Marseille – quelque part
entre le Vallon des Auffes et le Roucas Blanc -
puis Giottani, marine de Barrettali dans le
Cap Corse.
S-E. S.

*

(...)
La lumière s’immerge dans le labyrinthe de l’eau
entre chiens et loups.
Dans les soubassements, au fond de l’eau, l’on n’est
plus personne. Juste un corps et sa langue initiée de
rythmes ancestraux.

On devient cet être d’instinct qui lèche la pierre et
le sel.

*

Je suis l’animal qui traque les abysses. La nuit devient
le territoire.
Je piste celle que je suis.
(...)

*

(…)
La voix nage, la voix fend le bleu dessous et dessus,
elle rattrape le vol des oiseaux.
(...)
Nager, écrire – le geste inaugural fait lien au-delà
de l’instant pur.
(…)

*

(…)
Plonger, Nager, Ecouter.
L’enveloppe charnelle au-dedans creuse un espace
fœtal recomposé, libre de mouvement, infini, sécure
au cœur de la nuit et du chaos. L’on refait ce chemin
sans cesse : celui qui nous arrache à la voix perdue.
A l’écoute perdue.
(…)

*

(…)
La voix perdue s’abrite très loin – au profond intime
de l’exil.
(…)
Aucune parole jamais n’a traversé ici.

Si je nage, si j’écris, c’est pour cela : trouver le point
infime de cet espace clos qui abrite l’autre voix : la
« voix de l’eau ».
Une île dans une île.

Qui est-elle jamais la voix au-delà du chant ?

*

Mer.
Langue de terre ; langue de rive ; langue maternelle.
Des rivières plein la bouche.

*

Les varechs se torsadent autour des chevilles.
Je plonge.
Je tombe à l’infini – jetée dans les vagues tachées
d’humus et jonchées de carcasses.

*

(…)
J’ai des soleils sous les paupières.

Les poèmes que je n’écris pas sont dans mes yeux.
(…)

*

(…)
Partir où l’on perd pied – arracher le cœur de la mer -
qui m’arrache le cœur jusqu’à n’être plus personne.

*

Assise sur le rocher – les mains autour des genoux – je
sens le vent, la lumière, le mouvement de la mémoire
et la mer.
(….)
J’entends la marée dans le cœur.
J’écoute la mer aux poumons de flanelle.
Je vois des voix – des armes, brillantes comme des
larmes au fond d’un vers français.

*

Les bras de mer s’allongent,
s’allongent les mains les tiges les bouquets.
(…)

*

La langue maternelle est une fleur de sang.
Cette parole féminine est une fleur de vie, en même
temps qu’une fleur de poison.

Je nage pour ramener son corps de noyée vers la
berge. J’appelle son ombre dans mes mains, je la
cueille.

*

La mer n’existe pas. Au fond de la mer, il n’y a que
la terre. Toujours elle, la terre qui nous conçoit, nous délivre, nous tient entre ses fers.
Il n’existe ici pour paradis que la terre et ses fleurs
vénéneuses.

Je plonge.
Je m’abandonne.
Je disparais.
Ce qui s’ouvre dans ce geste ? Une cicatrice oubliée,
aimée ; une démesure à venir – et toujours l’épiphanie
de la joie.

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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