Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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François Migeot

mardi 26 octobre 2021, par Florence Saint Roch

Né en 1949. Poète, écrivain, traducteur. Enseignant-chercheur et directeur de recherches au Japon (université Aoyama Gakuin Tokyo) puis à l’université de Franche-Comté. Son œuvre est largement orientée vers la poésie avec une vingtaine de titres et de livres d’artiste, avec des récits, des ouvrages de prose poétique et d’autres mettant en dialogue différentes expressions artistiques (sculpture, peinture, gravure, musique, mises en résonance avec ses textes). Son travail porte aussi sur des Démolitions en prise critique sur le discours « communiquant » de l’époque. Par ailleurs il est l’auteur d’essais critiques et de traductions.

Parmi les ouvrages récents, on trouvera :
Avant l’éclipse, Éditions Virgile, 2004 (nouvelles) ; Le Poids de l’air, Éditions Virgile, 2006 (nouvelles) ; Moires, Éditions Empreintes, 2007 (poèmes) ; Chant des Poussières, L’Atelier du Grand Tétras, 2010 (poèmes) ; Derrière les yeux, l’Atelier du Grand Tétras, 2012 (poèmes) ; Clair-Obscur, l’Atelier du Grand Tétras, 2013 (poèmes adossés à l’op. 116 de Brahms) ; Trois poètes vénézuéliens, Murmure, 2014 (traduction) ; Portée des ombres, pour une poétique de la lecture, Presses Universitaires de La Méditerranée, 2015 (essai) ; Matarile n’est pas un jeu, 2016, l’Atelier du Grand Tétras (traduction d’un récit de S. Barreto Ramos) ; Ambrosio, Éditions Corlevour, 2017 (récit) ; Traces, L’Atelier du Grand Tétras, 2017 (poèmes en dialogue avec des encres d’Isabelle Proust) ; Des voix à travers les feuilles (poèmes à l’écoute de Claude Debussy), L’Atelier du Grand Tétras, 2018, avec des aquarelles originales de Bern Wery ; Au fil des falaises (Poèmes en dialogue avec le tableau de Courbet Un enterrement à Ornans), L’Atelier du Grand Tétras, 2019. Au cœur de l’instant, Pierre Bonnard, (Poèmes en dialogue avec l’œuvre de Bonnard). L’Atelier du Grand Tétras, 2021.

Extrait de Descente de voix / Pour un tombeau de Pierre
Prix Ilarie Voronca 1993, Éditions Jacques Brémond

[…]
Le dehors est sorti de ta main ouverte

[…]
Père
dernier garde-corps
entre moi et la mort

[…]
Front au mur
l’après-midi
guette

silence

aux fenêtres crevées
ton regard
est pendu

[…]
Sous le brouillard qui se relève
ton visage a disparu

Extrait de Moires, Éditions Empreintes (2007)

Encore la nuit

Alors
         sans raison
                  sans un regard
                           le soleil sort de table

                                    Il entraîne la nappe de lumière
                                    encore couverte des reliefs

                                    C’est l’heure
                                             claires-obscures
                                             les hirondelles
                                             tournent d’un cri
                                             les serrures du ciel

Extrait de Chant des poussières, L’Atelier du Grand Tétras (2010), Lenteur des foudres

À Judith, lent éclair

Ô vigne   en vain mince filet de mains jeté sur le présent   Sur le bois vendangé pas un mot ne reste de l’été   Après le cri de la lumière le ciel efface lentement les ombres
Les jours si longs que les couleurs usées jusqu’à la trame   tout l’air respiré toute la chaleur
Puis un jour   on ne sait pas quand   ferme la porte grise de l’hiver à l’embrasure de l’horizon   Le jour jeûne du matin au soir   La colline perd la tête dans les brumes   Seul le coteau tient encore au texte déserté des vignes

Le sang tarde au bout des mains   l’ombre reste nouée à la nuit en retard   le paysage à quai   en attente de départ
Cépages suspendus   le silence   le froid   inutile de prier   Les derniers coups de fusil ont dispersé les bois   Seul le coteau tient encore au texte déserté des vignes
La journée tombe en plein vol à grands traits de corbeaux   Au bâillon des nuages
les oiseaux perdent leur cri   À genoux dans la poussière seul le coteau tient encore au texte déserté des vignes

Plus un mot entre les lèvres du jour et de la nuit   Nul n’entre nul ne sort   Les routes hésitent dans la sourdine   Les chemins suspendus   presque immobiles dans la phrase qu’ils reprennent   la terre les porte un peu moins vers l’absence d’issue
La lumière tombe des murs   elle n’a plus de prise   lâche le dehors laisse les places au brouillard sans geste   Alors le lieu ne tient qu’aux cuisines au feu du gaz   aux ampoules nues qui veillent depuis les fenêtres
Le froid scelle les portes   L’étrave des toits mouillés à la pointe de l’averse Seul le coteau tient encore au texte déserté des vignes

La rue n’a plus de voix elle brûle ses derniers pas   le ciel la touche de son œil blanc qui tourne autour des clochers vides La terre est sourde   La cloche inutile personne ne garde l’horizon   Seul le coteau tient encore au texte déserté des vignes

On avance à tâtons   on dépense son corps en s’usant aux trottoirs   Il est vain d’accrocher les mots à notre chute   Et pourquoi écrire son âme si le ciel ne lit pas ?
Hélas l’œil passe et n’a pas de caves   Seul le coteau tient encore au texte déserté des vignes   il tient à la virgule des ceps où s’est tenu le souffle   aux nœuds de silence où commence le lent éclair des vins
Il reste le bois des foudres au bout de nos cendres   La prière des fûts survit à la chair défaite   Et le temps s’en va au bout des membres   au bout du regard dans les plis de la terre   il passe la main   au sortir des lignes de notre lopin de temps
Il faut laisser les vignes à l’infinitif du moment   laisser d’autres conjuguer le printemps   Lâcher prise   et laisser le vin penser au-delà de nos corps Le vin   le vin qui seul sait vieillir

Extrait de Traces, L’Atelier du Grand Tétras (2017), (Avec des encres d’Isabelle Proust)

Assis dans les marges
le sous-bois
nous regarde passer

Le soleil
suspendu
dans la guipure des branches

L’éternité posée
sur la trame de l’instant

N’était la mer étale
des feuilles mortes
et le sillage des pas
où craquent les regrets

Là-haut
nuages

Ombres blanches
de nos pensées
qui marchent

Extrait de Des Voix à travers les feuilles / À l’écoute de Claude Debussy, L’Atelier du Grand Tétras (2018), (Avec des aquarelles originales de Bern Wery)

Soirée dans Grenade

Battement

Le pouls de la marche
ou celui de la danse
Sourdement un tambour

qui soulève l’oreille

Est-ce un cœur qui approche
ou le soir qui descend
ou la nuit qui cortège
plus dense à chaque pas ?

          Et soudain on devine
                                sur la crête des lointains
          la clameur assourdie d’une ville
                                sa silhouette de lueur

                                 C’est là-bas
                                 l’autre face de la nuit

                                 Arrivés aux confins du présent
                                 on piétine le moment de ténèbre

          On devine par-delà l’horizon
          la danse du rêve et ses flambeaux de prélude
          l’ombre tournoyant là-bas
                 des femmes guitare
                  leur robe de mystère
           et les feux du bonheur
qui campe pour la nuit

De la gorge des montagnes
    comme l’haleine d’un chant

On dirait Grenade entrouverte
et des corps qui palpitent
au revers de la nuit
on avance
on écoute immobile
aux prémisses de la fête
dans l’ourlet des guitares

Et soudain épuisée
la nuit soulève les paupières

Déjà le jour grand ouvert

            Et Grenade éteinte
            se retire pour dormir
dans ses draps de soleil

« Fluide », Démolitions

Hey !
Cool, ça coule
je suis le fluide
le nouveau genre humain
l’avenir de l’espèce
main stream
Hermès et Aphrodite …
« Affreux » vos dites ?
Mais non la messe est dite
avec les blinder studies
ça crève les yeux
l’avenir de l’humain
c’est moi
entre Hermès et Aphrodite
entre les dieux
il y a plus le grand écart
il y a moi l’escargot
je baise avec moi-même,
c’est comme les selfies
j’en bave de plaisir
le matin Oscar et le soir Margot
je suis il et elle
ça me donne des ailes
et ça fait la père
Je suis jeune ou vieux
comme je veux,
et mourir ? si je veux ! même pas peur !
On ne naît pas mortel on le devient
comme noir et blanc, c’est pas plus clair ?
Le matin je suis Wagner
et le soir la Reine d’Angleterre

Féminin masculin c‘est has been
vive la langue permissive
Plus de nom de pronom
libérez le nom ! déchaînez les sujets
dézinguez les verbes !
Transsespèce, transsrègne,
escargot, araignée,
Je suis chêne, je suis noyer

— Eh Oscar, eh Margot, à propos
si t’es fluide comment tu fais pour pas te noyer ?
— T’es qui toi ? Je te trouve un peu queer ?
— Oh Margot, Please, pas d’argot avec moi.
Alors qui je suis mon joli ? On m’appelle Anubis, Osiris,
camarade, la Camarde si tu veux,
et si tu veux un scoop,
fluide ou pas fluide,
il faut que je te liquide !

Page réalisée par Florence Saint-Roch


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1 Message

  • Merci François Migeot Le 4 mars à 17:36, par Ansquer Anne

    Je trouve par hasard votre nom, vos textes sur ce site.
    J’en suis touchée surtout par les formes courtes, -plusieurs recueils, dont j’ai pu lire des extraits, ici.
    Emotion pour cette « forme » captant l’instant avec le profond, le bruissement de tout et de la solitude
    comme de l’univers
    des mots si dépouillés
    Ce qui emporte tout y compris solitude
    en silence, c’est si rare
    dans la poésie... (Blanchot...)

    Vous étiez professeur à Besançon, CLAB, aux cours d’été, cela fait longtemps, on vous appréciait drôlement.
    Anne Ansquer

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