(Crédit photo Houari Bouchenak)
Très attachée à cet aller vers l’autre que justifie, dit-elle, le poème, Josyane De Jesus-Bergey est une poète franco-portugaise, retraitée de la fonction publique, qui est née et vit à La Rochelle. Elle écrit depuis l’enfance : poésie, contes, essais, chansons (S.A.C.E.M). Elle s’occupe de l’association France Maghreb NEDJMA en tant que vice-présidente, et dirige des ateliers d’écriture et conférences en différentes structures en France et dans le monde. Elle fait partie de l’équipe des animateurs du Festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée de Sète.
Traduite en arabe, espagnol, italien et portugais, elle est invitée à de nombreuses rencontres et festivals tant en France qu’à l’étranger.
Il n’est de frontières que dans le regard de l’homme.
(extrait de « Comme une confession de pierres »)
Extrait de Pour un soleil qui meurt - Ed. Arcam -1993
Trois Mouches
Trois mouches sur un plafond
Qui errent
Comme moi
Trois mouches sans frontières
En espace brisé
Aux ailes de glu que les
Hommes profanent
Au corps qui n’est plus
Et puis… Moi !
Extrait de L’heure Marine - Ed. Le Petit Véhicule - 1995
Le sable n’a plus rien à dire
La herse des vagues
A détruit ses châteaux
La roche voit venir la mer
Patience…
Le temps n’a pas de prix !
Extraits de De l’arbre à l’homme - Ed. La Bartavellle - 1997
Personne ne savait pourquoi
Ils avaient repeint la porte en vert
Était-ce parce que le pré
N’en finissait pas de pousser
Était-ce pour contrarier le soleil
Ou pour effacer le sang
Qui tachait les marguerites
Il fallait chercher aux lèvres des nuages
L’utilité du ciel.*
Les augures s’étaient réunis
Sur le sol
L’ombre d’une feuille
Émiettait l’automne
Les oiseaux picoraient le ciel
À petits coups
Laissant juste la trace du vent.
Extraits de L’eau Perride - Ed. La Bartavelle - 1999
Dans les couleurs d’argile
On parle du bleu
Qui rôdait sur l’étang
Et du rire
Du rire de l’eau
À vous couper le souffle
(et même)
De l’enfant penché
Sur le rideau de brume
Cherchant l’hydre
Ou son reflet
Dans une autre mémoire*
Une halte en bord d’étang
L’enfant y pêche
Au miroir de l’onde
L’arbre promet
Le ciel oublie
Où se situe l’homme
Il ne reste qu’à avancer
Extraits de Le Temps suspensif - Ed. Encres Vives - 1999
Sur le pupitre
La trace du plumier
L’odeur de l’encre
Le poêle ronfle dans la salle
Un relent de soupe
Enveloppe la classe
On a tiré les rideaux
L’enfant écoute…*
Les enfants ne mentent jamais
Mais brodent des histoires
Sans oublier la politesse
Surtout la politesse
Remonte tes chaussettes
Accroche ton cartable
Le goûter
C’est à quatre heuresC’est sans bruit
Que les cahiers se referment…
Extrait de La brodeuse d’écume - Ed. Clapas - 1998
Entre les clartés
Nées du printemps
Apprendre à survivre
Lorsque chaque peau
Se décalque
Jusqu’à feindre le soleilIl est temps de retailler
Les rosesLa nuit répare dit-on.
Extrait de Un cheval sur l’océan - Ed. Encres Vives - 1999
À Jean Bouhier
Ma Rochelle tu te balances
Dans la découpe
De tes voiles
Dans cet espace qui se confond
Il suffit d’arrêter le temps
Pour que flotte dans ma mémoire
Les pêches inutiles.
Extrait de Ne le raccompagnez pas… je suis pressée - Ed. La Bartavelle - 2001
À Jean Bouhier
L’homme dans son ombre
Dit que dieu est bon
Pour ses silencesDans la salle
Le fauteuil clouté
Raconte l’histoireAvant que l’homme réveillé
Ne renie encore une fois
Le chant du coq !
Extrait de Comme une confession de pierres Eldjazaïr - Ed. Rumeur des Ages - 2003
Les oiseaux sont en fleurs
et pourquoi pas ta terre
Algérie
un troupeau traverse la route
je te salue berger
de l’Atlas ou des Pyrénées
la même simplicité
dans ton pas de paysan
la même certitude du sol.*
À Mohammed Dib
Ma maison, mon pain de gloire
et le sein meurtri
de ma terre
sous les cendres
jusqu’aux portes
de ta prison
j’ai pitié de nous.J’ai pitié de nous
comme on a pitié de son frère
quand les couteaux
tuent la parole
quand les mendiants
désertent les cours
avant que la nuit ne tombe
comme une confession de pierres
sur les cris du poète assassiné.
Extrait de Bus 25 pour rendre visite aux ombres - Ed. Rumeur des Ages - 2004
Le curé nous aime bien, je crois que c’est à cause de notre nom qui fait « bon dieu ». Je le guette lorsqu’il dit la messe, toujours en latin. Dès qu’il prononce l’Ite Missa est, je ne tiens plus en place, c’est la fin de la corvée, la liberté de rejoindre les copains derrière l’église. J’essaie de ne pas salir, ni déchirer mes habits du dimanche, maman ne me le pardonnerait pas. Le curé n’a pas la même chance. Il est habillé tous les jours en dimanche, ça doit être pour cela qu’il est si sérieux avec sa soutane noire.
Ma sœur et moi, nous sommes des enfants du bon dieu. Normal avec un nom pareil !
Extrait de La Grande Boiterie - Ed. Rumeur des Ages - 2006
J’arrive encore à faire illusion, c’est le plus difficile. Je mitraille les silences, j’occupe la place. Donner à redire quand les galoches de ma mère sont éculées. Ce n’est pas moi qui suis la trace du gibier, ne suis que le gibier. Alors, je m’essouffle et fait semblant de vivre.
De ce temps, tranquille à pouvoir ou donner choses autres que genoux de confessions, j’avoue !
J’avoue être responsable du mauvais soleil et même des orages. Je sais, c’est défendu. Mais que dire des rebelles qui insistent pour savoir si dans les bondieuseries, ne se feraient pas quelques marchés occultes pour délivrer du mal la petite ?
Millimétrée comme papier d’écolier, à défendre ton sol, ton identité, tu traces. Les bornes sont en plastiques maintenant, comme la cuvette à déculotter les calottes. Le mode d’emploi est le même, du plastique aussi plastique que la belle en bikini avec ses faux seins sur la plage. Pour moi, c’est trop tard, alors j’invente ; ne serait-il pas plus malin de savoir si le vieux a tiré le vin ou la vieille ?
De l’ordre des choses on s’en moque un peu de nos jours, on se fait sauter de plus en plus, si j’en crois les journaux ou la télé. Avant que tout ce beau monde ne s’agite, j’étais plus tranquille à rêver, mes sabots aux pieds. Je n’avais des choses à dire qu’au curé, le soir à vêpres. Libre dit-on de moi. C’est parfois lourd à porter, alors, je cherche ma proie pour partager mes soirs d’hiver. J’économise d’autant que le gibier se fait rare. Mais j’insiste, avant que la chasse ne soit interdite…
Extrait de Ce n’est pas parce que la porte s’est refermée… - Ed. Rumeur des Ages - 2003
Je marche pour oublier
Les heures de ruine
Jusqu’à l’envers du lac
Ou l’envers du ciel
Je ne sais plus qui croire
En l’hirondelle
Et
Son histoire de printemps
Ou en l’homme agenouilléLà
Comme s’il avait quelque chose
À dire à la terre
Pour se faire pardonner.
Extrait de Les Amulettes - Ed. Encre et Lumière - 2010
(avec des peintures d’Hamid Tibouchi)Comme le tatouage sur la peau
Je me souviens de nos identités
Je n’attends plus personne
Ramène-moi
Vers la maison de notre enfance.
Extraits de Taire le Temps - Ed. de l’Atlantique - 2012
À Serge Wellens
Vois comme tu fais silence en bord de Sèvre
je ne sais plus si ta barque échouée comme
on abandonne les rives pourra
entendre mon criPoète serais-tu caché
sous le grand saule qui habite ses mystères
ou serais-tu parti vers ce Grand Nord où tout se passe
disais-tuFais-moi signe
tes bras ouverts vers ce monde que tu as quitté
j’entends le rire des mésanges
je te sais à l’écoute dans le souffle du poème
je t’entends !*
On parle d’hier cadenas posé sur ce temps qui n’est plus
Reliquat d’ombres grises sans ce ciel des heures gourmandesPlus rien ne m’inquiète
faire comme si
c’est taire les jours
c’est taire ce temps qui fuit…*
Est-ce que le silence
Est là
Comme cette porte
Claquée
Je n’entends plus rien
Et ce rien
Abrite mes jours.
Extrait de Un jour comme les autres - Ed. Petit véhicule - 2014
Ramasser les brindilles
Se servir de ce presque
Rien
Ne pas oublier la pelle
Et balayer ce vent
Qui n’apporte
Que doutesDire non
Encore et toujours
En lançant ce rire
Qui nous étouffe.*
Repousser les feuilles
Du papier rayé
De mots
On pourrait presque dire
De mauxFaire comme si
La musique résonnait
D’une approche
De l’autre
Jamais venu
Quand les mots sont là
Seuls
Déjà pauvres…
Extraits de Le vent nous conduira vers le désert en Algérie - Ed Edi’lybris - 2015 (sur des photos de Houari Bouchenak)
Lorsque souffle le vent
Venu du sudQue le navire des chameliers
S’enfonce dans le sableLa toile du désert m’appartient
Et devient ma demeure.*
J’irais encore dans mes rêves
mêler mes pas
aux tiens
Femme de là-bas
je serais l’ombre furtive
dans le chuchotement
de ce silence qui me parle
Moi l’étrangère !*
Le soleil creuse le sol
D’un rouge ancien
On dirait que le silence
Multiplie l’horizonToi la gazelle
Connais-tu la course du temps ?*
Je vous salue hommes d’avant
mes frères
ici le temps n’a plus d’importance
chaque stèle en son attente
berce la prière de l’oiseau.
Extrait de Alipio - Ed. Vagamundo - 2016
[Notes de l’éditrice :
Fille d’une mère française et d’un père portugais, l’auteur nous livre ici, par la voix du poème, un émouvant hommage à son père, Alípio. Un prénom qui dit, avec beaucoup de tendresse et de pudeur, son attachement au pays-racines, « son » Portugal où elle revient souvent interroger les gens, les pierres, le paysage, la langue jamais apprise et pourtant familière.]Au dessus du village
la vigne et ses grappes
Tu es là
presqu’inconnu
ton long voyage
a commencé
une tombe
une pierre
quelques fleurs
Mes ancêtres reposent
dans le silence*
On dit que le printemps est en fleurs
parce que les coucous ont chanté tôt cette année
la terre prépare sa noce
Attendre à tes côtés
que la terre retrouve son rire de jeune fille
Saudade
les loups hurlent derrière la montagne
laisse-moi père
te soustraire à la horde
Je suis ton pays
je souffle sur les ombres qui te cernent
je suis toi
je cours pieds nus dans le rio
le Tamega m’emporte
granit de tes rives
je suis le chant des lavandièresje porte ta parole
*
Je crie pour me souvenir
de ce village blotti
au creux de la montagne
Ciel de carte postale
où tout est dit
dans le silence
de la roche*
Les pierres marquent
les ombres
fenêtres sans regards
pour dévisager la nuitEt je passe presque étrangère
Moi
dont le sang coule d’ici !*
Je passe sans maison
sans ailleurs
Où se situe ma terre
si personne n’est là
pour traduire la langue de mon père ?*
Un vol de pigeon
raconte l’histoire
Bragança des terres froides
quelques fleurs font
danser les ruelles
chaque maison
porte l’ombre de son passé
et tu me dis
que je suis d’ici
tu parles une langue qui est mienne
Et que je ne comprends pas.*
Je suis celle qui vient
de l’autre pays
partagée entre le père
et l’enfance
Je me sais sans terre
ni ciel
n’appartenant qu’à l’instant
qui me voit vivreVenue d’ailleurs
jamais au bon moment
jamais au bon endroit
toujours étrangère
avec quelque chose de moins
avec quelque chose de plus
jamais d’accord
mais fière d’être !
Bibliographie
Dernière parution : Alipio en français/portugais (préface de Nuno Judice) - juillet 2016 - Editions Vagamundo
Poésie :
• Le vent nous conduira vers le désert en Algérie sur des photos de H. Bouchenak - Ed Edi’lybris - 2015
• Un jour comme les autres - Ed. Petit véhicule (coll. Chiendents) - 2014
• Taire le Temps - Ed. de L’Atlantique - 2012
• Les amulettes sur des peintures du peintre et poète H. Tibouchi - Ed. Encre et Lumière - 2010
• Comme une confession de pierres Eldjazaïr (bilingue français/arabe) - Trad. par M. Rafrafi - Ed. Rumeur des Ages - 2003
Recueil collectif (initiatrice et responsable pour la France) :
• Québec 2008 : recueil collectif de poésie franco-québécoise, vingt auteurs des deux continents - Sac à mots éditions/ Ecrits des Forges - 2008
Essai :
• Le Poème Meschonnic - Faire-part Edition - 2008
Récit :
• Bus 25 pour rendre visite aux ombres avec des dessins et peintures de J. Judde - Ed. Rumeur des Ages - 2004
Prose :
• La Grande Boiterie - Ed. Rumeur des Ages - 2006
Autres :
Expositions poésie/ peinture en France et à l’étranger. Co-traductions. Publiées dans diverses anthologies. Livres d’artiste