Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Mathias Lair

jeudi 28 octobre 2021, par Cécile Guivarch

 

Mathias Lair écrit des poèmes, des romans et récits, du théâtre. Il a publié une trentaine de titres à ce jour et collaboré à de nombreuses revues, il tient une chronique dans la revue DECHARGE, une autre dans la revue RUMEURS.
Sous le nom de J.-C. Liaudet, il a publié une quinzaine d’ouvrages traitant de psychanalyse et de politique.
Soucieux du sort des écrivains, il a fondé le CALCRE (Comité des Auteurs en Lutte contre le Racket de l’Édition) et participé aux activités du SELF (Syndicat des Écrivains de Langue Française), de l’Union des écrivains, de la SGDL (Société des Gens De Lettres), du Pen Club.

Extrait de Ainsi soit je, La rumeur libre, 2015
Les mains          jointes tu
te retrouves      face
au ciel les         yeux
levés mais        non
pas d’âme         errante
au lieu              des morts
une aile            passe
à table             devant
la fenêtre        (ah Mallarmé
trop souvent    renvoie
le carreau       en écho
pris à sa propre image)

            ici traverse
au ciel                le miroir vide
ouvert                directement
où suis-je            là
bas ou là                           dedans
derrière                          la fenêtre
comme un           redoublé
des yeux                         je vois
d’où je vois          rencogné au fond
du cercueil          crânien
j’étouffe
            au ciel
lancé autant que dans l’obscur
      mains pointées
au ciel comme   ça le geste
avant moi    qui le trouve
là donné
      scenario
à la table                devant
la fenêtre                au ciel
pas à portée    je sais
mais le regard             ne connaît
pas la distance            y vais
je ou vient-il

 

Voilà que ça       revient
du haut bord       ravagé
une lame         submerge là
en pleines côtes      le vide
planté         plus de cran
d’arrêt ne veux      plus que
le ravage         qu’elle va
me faire dans ce       néant
exactement là     où ça
manque comme        un rien
        en appel
d’un tout qui       va qui
vient qui va       venir où
le chercher       par tous
les chemins du    corps possible

 
Extrait de Ecrire avec Thelonious, Atelier du grand Tétras, 2019

Donc j’avais pensé
écrire comme Thelonious
là il y avait art
poétique sans nul doute
j’avais oublié

                  pourtant
après des années
y a d’ça

 

Pas l’amble non
ça coince ça bloque
et ça reprend
parfois
ça balance du oui au
non au oui
ça ne va
pas en sortir
                  puis reparti
guilleret blue monk
oublie le fil
à la patte sautille sur les notes
tant pis pour les grandes
envolées

 
En quoi Monk poète il ne reste
pas dans les croches fait remonter
ce qu’il y a entre les touches un poème
pareil respire entre les mots

 
Harmoniques fêlées
d’un métal
déchiré
ne sonne plus mais s’éraille
hérissée
en bataille
diffractée la brisure
pas très nette
a laissé des
épissures cela fait un
bruit de bastringue
de vieux
piano mécanique dézingué
il faut supporter

pour sortir de la rondeur
satisfaite qui guettait
on allait
tourner rond en rond
chaque chose à
sa place
il n’y aurait plus
de respiration

 

Extrait de Du Viêt Nam que reste-t-y, Pétra, 2021

On est venus pour saluer l’oncle Hô
L’honorer de quelques bananes et baguettes
D’encens puisqu’il est dans le culte malgré lui
Voulait ses cendres au vent mais non
Les camarades l’ont consigné
Dans le grand livre des ancêtres
Selon l’antique tradition puisque
On ne meurt pas
Au Viêt Nam on vit
De l’autre côté de la mort
Pour quatre vingt dix
Millions de vivants par ici
Bien plus d’âmes par-delà
Depuis tant de générations

Parmi nous sur les autels domestiques
Leurs portraits encensés leurs âmes restent
Dans leur maison rôdent dans leur lit
Le nôtre maintenant tant et si bien
Que si nous aimons c’est pour leur donner
Une descendance propre à les honorer
On sent même leur souffle
Dans nos moments génésiques
Nous sommes plus que deux

Les camarades n’ont pas voulu
Que son âme vole ça et là sans cesse
Il se serait mêlé de leurs affaires
Dans son testament ses cendres il voulait
Éparpillées aux trois Bo
Du nord au sud le Bac Bo tonkinois
Le Trung Bo annamite le Nam Bo
De Cochinchine partout et nulle part
Les camarades n’ont pas voulu
Ils l’ont serré dans son cadavre
Plus ici mais pas au-delà
Dans le frigo de son mausolée
De granit place Ba Dinh
Couché dans son sarcophage
(Mangeur de chair dit l’étymologie)
Ni mort libéré de son corps
Errant d’autel en autel
Se mêlant de tout
Ni vivant

On voulait le voir mais non
Etait en travaux de réfection
(Un peu de cire par ci
Dépoussiérage par là
Un coup de peigne et voilà)

Ses anges gardiens nous ont dit pas possible
En bel uniforme blanc comme des oies
Au pas menant leur ballet
Sur la place Ba Dinh si vaste
Pour accueillir les masses prolétariennes
Le 2 septembre 1945 applaudissent Hô disant
L’indépendance mais vide aujourd’hui nous étions
Seuls alors on est allés voir son musée
Est-ce l’effet du décalage horaire
Nous l’avons rencontré assis
À sa table de travail façon
Musée Grévin l’oncle ascète et célibataire
Les camarades n’ont pas voulu
Qu’il se marie sa future assassinée
À point nommé d’un banal accident
De la circulation il aurait eu
Un fils caché (secret d’État)
Qu’est-il devenu aujourd’hui plus
De quarante ans après qui se souvient
Des trente ans de guerre contre
Les japonais les français les états-uniens
Tous débandés comme
Autrefois l’Empire du milieu
En 1975 Hô n’a pas vu le Viêt Nam
Libre et réunifié a-t-il ri
Dans son sarcophage on voit
Quelques anciens mutilés l’État
Reconnaissant à fait cadeau de tricycles
À ceux qui ont perdus leurs jambes
Mais les jeunes de quarante ans
N’ont connu que l’essor du business
Ayant troqué leurs bécanes pour des motorbikes
Les rues comme des fleuves en pétarades
Et klaxons au beau milieu quelques gros
Poissons en Porsche Cayenne et
Nissan X-trail Suzuki S-cross
Avec vitres teintées et chauffeur
Les camarades pratiquent la discrétion
Quelques paysannes encore poussent leurs vélos
Chargés de fruits et légumes sans oublier les fleurs
Mangos et ramboutans caramboles
Pitayas courges et patates douces
Liseron d’eau chrysanthèmes et carottes
À Dien Bien Phu les militaires français
Pensaient que les Viets ne pourraient
S’approvisionner pas plus de cinquante
Kilos d’armes et de munitions croyaient-ils
Sur un vélo mais avec quelques planches
Pour renforcer et du fil de fer
Les bécanes devenaient de petits camions
Cent cinquante kilos de charge poussée
La nuit à l’abri des feuillages
À bras d’hommes et de femmes
C’est du passé ni les enfants ni les adultes
N’ont connu la guerre et l’oncle Hô
Est devenu un ancêtre dont le portrait
Orne les supermarchés

Extrait de Amour dépris, La Cour pavée, 2017

Quand je t’ai
vu tu es né
en moi quand tu fus
en moi j’ai voulu
naître en toi
que tu m’inventes

Jamais la voix
n’y est allée
personne ne sait
ce lieu gravide
immobile ton
chemin à la nuit
m’entraîne sans limite
je m’étends

De nos corps
la boucle
terrible autour
règne sans fond
emportés sans forme ni lieu
l’anneau merveilleux
nous jaillissons sans
source

D’un troisième la bouche
au fond sans fond
en toi s’ouvrant
retournés nous sommes
immobiles
au commencement

Fais de moi
comme tu veux
entre et sors
puise en moi
perds-moi en moi
que je te trouve

Extrait de Pas de Mot pour, Éclats d’encre, 2011

— Écrire ça tu dis
je n’ai pas de mot
ne voudrais pas que
cela se sache
ne peut être vu peint
peut-être mais pas les mots
trop crus les couleurs oui
celles que j’aperçois et
les formes comme
ça se passe je vois
des couleurs des formes

— Je pense
à des chaleurs ta main
qui me prend à pleine
paume tu me tiens
à pleine pâte et ce geste
ne te va pas insoupçonné
ce geste peut-être longtemps
rêvé mettre la main à
ça l’avoir à soi livré
dans ta paume je sens
ta main chaude où
je m’épanouis mais pas un
mot c’est à l’autre bout
de toi tu ne sais pas la chaleur de ta
paume pas de mot
pour ça tu disais et je
pense à la voix chavirée
la chose qui vient
à la gorge comme
un renversement je te tiens
tu as voulu précipitée
ta main encore m’oriente
pour satisfaire ton
avidité soudain il fallait
au plus vite ta main me
guide urgente aussitôt
rendue je jouis de
te sentir toute tu m’as
dit le soulagement de
savoir que je m’en occupe
pas besoin de rassurer stimuler
la marche d’amour tu
n’as qu’à la suivre comme
je la fais tu es assurée
de ça je te contiens
ivresse maîtrisée de te savoir
toute à moi dans mes bras
mes jambes dans ma queue
je te tiens le contact
devenu je ne savais pas
on ne sait pas le mot
le sens le sentir du
contact je vais légèrement
et de ce toucher peut
on imaginer geste plus
simple événement plus anodin
ce contact aveugle entre
nous là où l’on ne peut
voir dans cette caverne d’avant
le jour nous avançons privés
du regard et des mains et d’un
seul toucher pénétrons
tu dis qu’il n’y a pas
de mot pour ça sauf
« poétique » la même découverte
au non sens pour l’instant
je suis contact intégral
d’une peau l’autre
transfuse quel plaisir j’en
vois les signes extérieurs je
tiens ton visage dans mes
paumes comme un cadeau
que je fourre également
de la langue j’ai soif
de tous tes intérieurs tes
cuisses ouvertes comme des
ailes le ventre au creux
de l’arc du corps tendu
tu veux que j’aille
encore plus loin et toute
cette face de peau sensible
nos torses nos ventres
glissant sur douceur
cela cherche à s’ouvrir nous
sommes deux enfants découvrant
les choses de l’amour et
du sexe cette qualité inouïe
sensation bonheur
du matin j’embrasse
le bon pain de
ta chair en fleur c’est
pur bonheur d’éclosion
le mouvement universel les plantes
déjà connaissent ce déploiement
de feuille tournée à
la lumière cette lancée
vient du dedans se gorge
chaque cellule afflue vers
la chaleur la sève heureuse
affolée entre mes corps
qui t’entourent de partout
mes lianes autour en
toi je t’investis je suis
le soleil tu es
à ma disposition entière
j’en jouis j’en profite
égrenant l’un après l’autre
tous tes plaisirs je
chevauche goûtant chacun
de tes souffles accélérant
calmant relançant tes
sensations je les installe
dans mon plaisir cette
note de base en musique
indienne la tampura tu sais
cette onde continuelle ce plan
qui donne juste l’intonation sur
laquelle tu improvises ce resserrement
soudain comme si ton corps
entier se concentrait (je te tiens
je t’entoure comme si je gardais
ta forme en perdition
cette sensation
inconnue va surgir de
l’horizon où tu tends)

dans un effort infini
de jouir désespérée de
cette attente soudain
explosée n’est pas venu ce
à quoi tu aspirais à la place
éparpillée tu ne sais
plus que la couleur
lancée au large te voilà toute
évasée perdue
d’un bonheur insupportable
tu n’es plus
qu’à mon axe tu te perds
te retrouves pendant que
ta chair s’envole dans
ta voix libérée
tu t’évases comme transformation
de matière une vapeur
s’échappe du sol
abandonné ton corps
sublimé de plaisir
se calme à nouveau
la mer entière grosse
de quelle vague potentielle
au fond racle quelle douceur
se forme et monte
à nouveau attentive à
ma chair inconnue cette
volonté douce opiniâtre
brûle comme une eau
qui t’emplit à nouveau
tes bras lancés dans un ciel
nouveau recommence plus
vite cette fois un poignard
tu n’es plus cette
montée lent évasement
gorgé cela te prend
en vrille persécutée tu
te dis à moi
plus vite que cela te
transperce jusqu’au
delà de toi tu veux
te perdre autrement disparaître
follement tu le veux au fond
de cet impossible où mourir
de cette rage explosée
rythmique cela
n’a plus de fin cette onde
qui bat et t’enfonce
tu n’es plus
que cela détermination
furieuse j’ai peur
un instant je cherche à
te rassembler je reste
au bord je te vois disparaître
dans cet rage où tu bats
il n’y a plus
de cesse encore revient
tu resteras et je sens
tu redoubles
encore encore
tu es partie me reste
ta matière brute
en spasme livrée je pense
ton bonheur me fait
penser immense le monde
entier roule tu es
la pulsation du monde
le ciel soudain accélérée
la course des nuages
on ne savait pas
leur vitesse sans cesse
recomposée tu balances
d’un bord l’autre
la marée d’un plaisir au noyau
de la vie cette lame
revient perpétuelle tu n’en sors
pas reviendras-tu
on bien laissant ici ce corps à nu
capté une antenne
où se concentre la vibration
du monde te consume
et je te jouis encore
je t’exténue ravie je t’enfonce
encore dans cette mort joyeuse
où tu m’aspires dans la nuit
de cette onde où je vois
les yeux fermés une autre
vision dans mon corps le tien
résonne et c’est comme si
la terre et l’océan
ne sont plus dans l’ignorance
têtue de l’autre confrontés
toute la côte partait à
la mer la falaise une
vague suspendue s’anime
à nouveau sur le point
de s’affaler mais reviendra
ce n’est plus une chute
ton mouvement me prend
là où je t’ai conduite m’emporte
à mon tour ton corps
me guide ton souffle
le chemin

Bibliographie

Poèmes

  • Du Viêt Nam que reste-t-y, Pétra, 2021
  • Écrire avec Thelonious, Atelier du Grand Tétras, 2019
  • Amour dépris, La cour pavée, 2017 - encres de Jacqueline Ricard
  • Bandes d’artistes 19, Lieux dits éd., 2017 - peintures de Jacques Thomann
  • Ainsi soit je, Ed. La rumeur libre, 2015
  • Pas de mot pour, Ed. Éclats d’encre, 2011
  • Inzeste, Ed. Gros textes, 2010
  • Accords perdus, Ed. Gros textes, 2006
  • Renouer, chez l’auteur, 1988
  • Mes dérobées, Ed. Pierre-Jean Oswald, 1977

Romans

  • Aucune histoire, jamais, Ed. Sans escale, 2021
  • Quand les anges allaient aux femmes, Ed. du Net, 2020
  • Reste la forêt, Ed. Sans escale, 2019
  • L’amour hors sol, Serge Safran Ed., 2016

Récits et nouvelles

  • Sous son masque de cire une lueur subsiste, Atelier du Grand Tétras, 2021
  • Aïeux de misère, Ed.Henry, 2014
  • La chambre morte, Ed. Lanskine, 2014
  • Oublis d’ébloui, cinq récits amoureux, Ed. L’échappée belle, 2013
  • Enfin, Ed. Gros textes, 2012
  • La femme de Kovalam & autres fictions érotiques, Ed. Gros textes, 2009
  • Tamraght, Maroc, août 96 (récit et photos), Ed. Poseïdon, 1996
  • Journal en Lair, Ed. Apostrophe, 1979

Essais

  • Il y a poésie, Ed. Isabelle Sauvage, 2016
  • Écrire sans sujet, Passages d’encre, coll. Trait court, Passage d’encres, 2013
  • A la fortune du pot, anthologie d’expressions populaires d’origine culinaire, rééd. L’Opportun, 2013
  • Jean Isnard, les mains dans l’ombre, Ed. Area, 2004
  • On ne prête qu’aux riches, anthologie d’expressions populaires relatives à l’argent, Ed. Acropole, 1991
  • Chant clos, un atelier d’écriture en prison, Ed. Régionales, 1990
  • Les bras m’en tombent, anthologie d’expressions populaires relatives au corps, Ed. Acropole, 1990
  • Grande et petite histoire des cuisiniers, de l’Antiquité à nos jours, Ed. Robert Laffont, 1989

Théâtre

  • Le jour de l’évaluation, Edilivre, 2018

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