Présentation
Née à Saigon en 1972, Sabine Huynh a grandi en France avant de partir vivre ailleurs (Angleterre, Etats-Unis, Canada, Israël). Elle a fait des études de littérature anglaise, de sciences du langage, de F.L.E., et de linguistique. Elle a obtenu un doctorat en linguistique de l’Université Hébraïque de Jérusalem, où elle a enseigné (2002-2008), avant de faire de la recherche post-doctorale en sociolinguistique à l’Université d’Ottawa. À partir de 2011, elle a commencé à lâcher les rênes universitaires pour se consacrer uniquement à sa fille (née la même année), à l’écriture (qui la soutient depuis l’enfance), et à la traduction littéraire (une passion, une école). La plupart du temps, elle écrit en français et en anglais et traduit de l’anglais, l’hébreu et l’italien. Il lui arrive d’animer des ateliers d’écriture. Prix européen du jeune talent littéraire francophone Calliope 2015, Prix du CoPo 2016 pour son recueil Kvar lo (Æncrages & Co, 2016).
Outre dans ses livres publiés aux éditions Æncrages & Co, Voix d’encre, Publie.net, Maelstrom, Galaade, etc., on peut lire son travail (poésie, fiction, traduction, essais, chroniques) dans bon nombre d’anthologies, d’ouvrages collectifs, de revues papier et en ligne. Son site officiel : Presque dire.
(Photo © Anne Collongues, 2011)
Extrait de pas d’ici, pas d’ailleurs
Qu’as-tu fui sinon les souvernirs
qui t’ont fait vieillir
faut-il revenir ou encore repartir
comment son nom dire sans disparaître un peu
je sais, tant de fois tu es morte pour tes vies
inoubliables vécues au loin
[...]
te reverrai-je ?
ce serait comme si la pression
de tes doigts autour des miens
avait été une promesse
dans l’immensitédu regret vacillant.
Extrait de Scilly, Écrire au bord
Après les naufrages / ces vagues / elles roulent dans la gorge / vocalises round and round / jusqu’au silence / l’appel du cri / Se réfugier sur l’île pour écrire / Écrire
sur l’eau / creuser sa trace / planter des narcisses dans le granite / des anémones sous la houle / des giroflées sur les alizés / Écrire
luxuriant / sub-tropicalement / laisser éclore / sur cette couche nue / un jardin de brisants / Chasser les goélands / écrire sans église / sans noyade et sans loup / Écrire
dans l’urgence et dans l’émergence / de contours aussi sauvages / que ces oiseaux perdus en mer / figures de proue vaincues / aveugles et somptueuses / exsangues /
Sirica & River Lune / Jane Owen & Flora / Mary Hay & The Puritan Lady / Rosa Tacchini en robe de bure / fleurs coupées rousses ou brunes de Valhalla / grâce et geste élégiaques / de reliques spectrales
pressant une rose sur leur sein / Au bord des terribles lèvres-récifs / lèvres du silence et de la fureur / lèvres de la solitude et lèvres du monde / où naît l’écume et meurent les nuées / Écrire /
et l’horizon devient ligne de vie.
Extrait de La mer et l’enfant
Cessons d’écrire, cessons de lire, et c’est la mort assurée. Il n’y a rien, ni avant, ni après le point final. La vérité ne se trouve pas dans les mots, la délivrance non plus. L’écriture sera toujours tissée de tout ce que nous souhaitons oublier pour pouvoir continuer à vivre.
Extraits de Les colibris à reculons
Le jardin
l’heure de la sieste
les geckos gris gobent
la musique des moustiquesNatte et grand-mère
endomie délaissées
les enfants sautillent vers la mare
le cœur enflé comme une carpeles tétards frétillent
remous dans le silence tiède
qui n’est pas une solitude.
Dans l’espace
entre le connu et l’inconnu
le nécessaire et le surplus
les chauves-souris volent en rond
les colibris à reculonsLeurs ailes arrachées
repoussées invisibles
ils volent sur place
s’activent dans l’insuffisance
du jour le plus long
aussi court
qu’un tiret bleu-nuit.
De gauche à droite à gauche
sur ma page migrent
des mots vagabonds
poches vides et or terni
au fond de rétines décollées.De haut en bas en bandes
ou en zigzags solitaires
à pied à la nage par bonds
dans la marge face au vent
plomb dans l’aile sang
sur les doigts palmés larmes
baignant le bec serré.D’un temps à l’autre
ils tombent
à travers les lignes interminables
ciel terre ciel terre sans retour
semant des cicatrices-ratures
de batailles amours familles
perdues accrochées décharnées
aux branches racornies
de l’arbre de la vie.
Berge du lac de l’Ouest
rouges et bleus
tabourets d’enfants en plastiquethé aux pétales de lotus
son or entre les dents noires
des femmes aux yeux cataractésà la noix d’arec le café
les grains de sucre raclent
le gosier des hommes silencieux.
Extrait de Tel Aviv / ville infirme / corps infini
Trébucher n’est pas écrire / écrire n’est pas découvrir
écrire en regardant la face interne de son effondrement
écrire pour libérer le ciel qui se trouve dans chacun de ses fragments de rebutc’est ça et pas tout à fait ça / ce corps fuyant au ras de la page
jamais vraiment ça / pas ça du tout à la fin / puisque c’est toujours comme ça que ça commence / par la fin//
À la fin c’est toujours la mer / c’est toujours recommencer / patauger dans ce ressac / les bifurcations du dire
Bibliographie
- Tu amarres les vagues, poèmes, avec des photographies de Louise Imagine. Préface : Isabelle Pariente-Butterlin (Jacques Flament éditions, 2016)
- Kvar lo, poèmes, avec des peintures de Caroline François-Rubino. Postface : Philippe Rahmy (Æncrages & Co, 2016)
- La sirène à la poubelle, journal (E-Fractions éditions, collection Fugit XXI, 2015)
- Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg, essai (Recours Au Poème Éditeurs, 2014, puis republié aux éditions Maelstrom en 2016)
- Ville infirme / corps infini, poèmes (La Porte, 2014)
- À la langueur, poésie, peintures d’André Jolivet (Voltije Editions, série « Eros », Coll. Little big book Artist, 2014)
- Tel Aviv / ville infirme / corps infini, poèmes, peintures d’André Jolivet, traduction en hébreu : Sabine Huynh et Hillel Halkin (livre d’artiste bilingue français-hébreu, Voltije Éditions, 2014)
- Les Colibris à reculons, poèmes, craies noires de Christine Delbecq (Voix d’encre, 2013)
- SCILLY Écrire au bord, poésie, peintures d’André Jolivet (Voltije Editions, série « Le monde des îles », Coll. Little big book Artist, 2013)
- En taxi dans Jérusalem, récit, photographies : Anne Collongues (éditions publie.net, 2013)
- La Mer et l’enfant, roman (Galaade Éditions, 2013)
- La migration des papillons, poèmes écrits à deux voix, avec Roselyne Sibille (La Porte, 2013)
- pas d’ici, pas d’ailleurs, anthologie mondiale de poésie féminine en langue française, co-auteures/éditrices : Andrée Lacelle, Angèle Paoli et Aurélie Tourniaire (Voix d’encre, 2012)
Site de Sabine Huynh : presque dire
Facebook : Sabine Huynh
Twitter : @SabineHuynh