Albertine Benedetto écrit et enseigne les lettres à Hyères dans le Var. De nombreuses revues ont accueilli ses textes, elle a collaboré à quelques ouvrages collectifs et sa poésie aime voisiner avec la musique comme avec les arts visuels.
Elle a peu à dire sur elle-même, préférant qu’on la lise mais elle aime dire à voix haute toutes sortes de textes.
Extrait de Vider les lieux (éditions Al Manar, 2019)
1- Lieux
Entre deux promenades
nous avons glissé
de saison en saison
à devenir
ce que voilànous étonnent
nos images
lointaines soudainsi peu de traces
et ce poids de nos chairscomme ces maisons
à l’heure du tri
saturées de choses
des petits riens
toutes ces vies
rangées en forme de récits
sur des carnets
illisibles- - - - - - - - - - - - - -
Le mot cheval souffle doucement sur un pré
à la saison incertaine
quelque part
un rideau a bougé
au cadre d’une fenêtre qui regarde la rue
on ne voit que des ombres
passantes sur le pré
des nuages flottentcomme ces ombrelles
ouvertes sur un autre jour
bleu et noir à cause des cyprès
trois morceaux de couleur
vive dans le papier uni d’un ciel d’été
silhouettes découpées sur l’ombre des mursce qu’il en reste
et leurs visages absentsVilla Adriana, pour James Sacré
2- Reliques
On a des meubles
pour y ranger sa viela hache et le billot hors d’usage
à présent qu’on est chez soiloin la forêt prédatrice
enfermée aux pages du contedes meubles domestiques
frottent leurs dos aux mursbuffets pansus et garnis
on s’est mis en ménageêtre dans ses meubles
comme être dans sa peauobjets choses bibelots
d’autres peaux qu’on entassereste une inquiétude tout au fond
des arbres dans le noir- - - - - - - - - - - - - -
Les mots comme des cailloux
pour retrouver le chemin
de la chambre où dorment les parentsdes souffles peut-être animent des ombres
troublent les miroirsmais les mots restent des mots
si sensibles si émouvants
qu’on les croyait capables
d’affronter le vide
de retourner le temps
comme la peau du loupmais l’histoire finit là
devant la pierre qui défend d’aller plus loin3- Je suis là
Vite retenir
avant que le jour ne jette sa chaux
sur les fantômes de la nuit
retenir
un peu de cette vie
furtive échappée de la béance du rêve
où nous avons glissé
avec des gestes fous et des mots
interdits sur nos lèvres muettes
Eurydice n’est pas loin qui tend encore ses bras
retenir ce savoir qui nous initie
à la langue des profondeurs
avant de revenir
errer dans nos ombres pâles
ignorant de quelle déchirure nous sommes faits- - - - - - - - - - - - - -
D’eux il nous reste
les lettres serrées dans des enveloppes fines
le pêle-mêle coutumier
au sillage des morts
photos objets insensés au profaneil reste
une histoire qui s’en va
dans la mémoire friable des hommesreste le trésor de l’enfance
cette force d’amour à l’usage du tempsune furieuse envie de vivre
Extrait de Sous le signe des oiseaux, éditions Ail des ours, 2021
Mouette je funambule
le matin s’allonge
tranquille sur les toits
la lumière s’équilibre sur l’ombrec’est la mer allée avec le soleil
avant que le temps
de nouveau se fissurene m’expulse
vers pensées mauvaisesavant que me reviennent
les incendies les naufrages
le petit rat mangé de mouches
dans la bordure du jardin- - - - - - - - - - - - - -
Nous voilà pris
à la chaîne de nos pieds
et de nos manquesalbatros des temps nouveaux
comme il est gauche et veulenous nous sommes crus
géantsjuste des ogres
prêts à ingérer
la terre entièren’épouvantent qu’eux-mêmes
redevenus petits enfants
sans la grâce
des commencementsin-fans infantiles
ne sachant voler
qu’avec de lourds jouetset pas de mot assez léger sur la langue
pour chanter le printemps- - - - - - - - - - - - - -
La tourterelle n’en finit pas
de venir du Sud
comme ta mère
son voyage fut périlleux
comme loin d’elle fut le tien
à ton tour de demander
que l’enfant
pieds nus pour toujours
la désaltère dans le poèmepour Salah Al Hamdani
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L’espoir d’Orphée
se fit rossignol
pour lui ouvrir la nuit compacte de la mortce soir encore
le chant
cartographie l’espace
desserre l’ombre
ouvre des chemins clairsles oiseaux
apprivoisent le silence
qui se met à brillerautour
la nuit reflue prairie d’avril
où ruisselle le chantdes hommes migrateurs
ont cherché ailleurs
des routes marinesleurs ailes trouées
d’un espoir trop lourd
leur bouche désertée
muette sous la mer
Bibliographie
- 2021 : Sous le signe des oiseaux, avec des œuvres de Renaud Allirand, éditions L’ail des ours
- 2019 : Vider les lieux, illustré par Hélène Baumel, publié aux éditions Al Manar
- 2019 / 2017 : Gérardmer, poème à trois voix – édition trilingue, français-allemand-espagnol, éditions PVST, 2017, réédition 2019 au Mexique aux éditions de La Cartonera
- 2018 : Le Présent des bêtes, illustré par Henri Baviéra, publié aux éditions Al Manar (2016), Paris, Prix Jean Follain de la Ville de St Lô
- 2015 : Alma mater, cinq pauses sur cinq gravures de Nathalie Prats - Polder 167 de la Revue Décharge, nouvelle édition en bilingue (Français-Espagnol) aux éditions PVST (Nice), en 2018
- 2015 : Eurydice toujours nue, revue Chiendents, éditions du Petit Véhicule, Nantes
- 2015 : Sur le fil, collections « Encres blanches », éditions Encres vives
- 2015 : Centenaire, revue Friches, n°117 (« Hors champ »)
- 2015 : Orphée etc., revue en ligne Recours au poème
- 2013 : Glossolalies, éditions de l’Amandier, Paris
- 2009 : Effraction, livre d’artiste en collaboration avec Pascal Fayeton, photographe
- 2008 : Je sors, éditions Les Cahiers de l’Égaré, Le Revest-les-eaux
Certains poèmes ont été mis en musique par :
Bernard Vanmalle (Bleu de sel, éd. Les Cahiers de l’Égaré)
Tristan-Patrice Challulau (Requiem pour une mère, mélodies qui suivent le Requiem pour le Roi Baudoin de Belgique)