Née à Yverdon-les-Bains (Suisse) en 1942, Claire Krähenbühl a publié des poèmes et des nouvelles chez divers éditeurs de Suisse romande. Elle vit à La Sarraz au pied du Jura vaudois (Suisse). En 1992 elle reçoit le Prix Louise Labé pour La rebuse de l’épine noire , paru aux éditions de l’Aire (Vevey). En 2002 paraît, toujours aux Editions de l’Aire, Le Piège du miroir, sur le thème de la gémellité, écrit avec sa sœur Denise Mützenberg. Elle a été l’invitée de plusieurs Festivals de Poésie dont Medellin (Colombie) et Trois-Rivières en 2003. En 2004, dans le cadre de la Francophonie, elle a donné des lectures au Moyen-Orient et dans quelques états du Golfe. De 2004 à 2018, avec sa sœur Denise Mützenberg, elle est coéditrice des éditions Samizdat à Genève. Parallèlement à l’écriture, elle poursuit une activité artistique intermittente concentrée avec le temps sur le collage, autre forme de poésie. Parmi ses dernières parutions : La Bague de Lumnie (2015) et Entre deux Passantes (2018) alternent poèmes et dessins. Elles sont le fruit d’une collaboration avec Gisèle Poncet. Illustré par la même artiste, elle publie en 2019, Chemin des épingles, (petites proses) dans la toute nouvelle maison d’édition Les Troglodytes créée avec Denise Mützenberg.
Extraits de Chemin des épingles, Les Troglodytes, 2019
Maman t’es où ? Qui a rangé le monde et retiré l’échelle ? C’est trop haut pour sauter, maman. Qui a rangé la vie, défait la cabane, plié les couvertures râpées. Grises, rêches. Trous de mites, bords effilochés, c’est l’éternité sans bords de l’été. Calme plat. Le corps se souvient alors de l’ordre clair du monde : grands ménages, grands mouvements circulaires autour de la planète. Là-haut.
Ce qu’on n’ose pas dire, ce qu’on ne dit pas, je l’ai brodé en lettres de feu sur une transparence vite réduite en cendres : elle est morte d’un cancer et d’amour (dans ma mémoire un petit flambeau brûle). Elle l’appelait voix de velours. Il n’est jamais venu. Sur le cercueil, des roses de Noël. Autour, les berceuses qu’elle nous chantait.
Fin de nuit. Motel Adora, je t’ai retrouvée. Chambre 14 du motel Adora à Xerxé. Au réveil de la troisième nuit tu étais là ; comme une enfant dans le grand lit des parents. Et moi, contre ta peau, entre ton corps et les histoires ; les vraies. Maman.
Enfin tu es venue.
Extraits de Entre deux passantes, Trait noir éditeur, Fribourg, 2018Sauver le jour
l’emporter dans un bol de cristal
ne plus allumer la lampe avec la pierre
qu’on dirait fossile sans fougère
garder le jour qui tremble entre les paumesSaving daylight
traverser portant le fragile sans tomber
écrire delight en suivant bien les bords
de ce mot impossible à traduire
the bliss
Sauver le jour dans un bol transparent
allumer
la lampe avec la pierre sans blesser nos mains
porter le jour qui tremble dans l’eau claire
the blissSaving daylight sans rien renverser
de l’été
dire delight en gardant bien l’écart
entre les langues the bliss égale
félicité
Extrait de Comment c’était, Le Miel de l’Ours 2010Voir du Nord vers le Sud
s’accouder tant bien que mal au monde
qui se défait se pencher sur
« comment c’était avant ? comment c’était ? »
désaccordés aux cris qu’on se lançait
d’un bord à l’autre du mondeComment c’était avant les
trous des petites chaussures
dans la neige ?Qu’aurions-nous dû changer ?
Extraits de La Table des liens, L’Aire 2006
LE TATOUAGE
Je voulais te faire une fleur
ou un mouton
et voilà ! je t’ai dessiné un couteau
je voulais te faire quelque chose de gai
ou de laineux
j’avais oublié qu’on ne peut aimer sans haine
Je t’ai pris dans la bouche doucement
j’avais oublié qu’on aime avec les dents
les ongles avec
cette vieille rancœur venue des famines
des premiers froids du sable sec
après la mer
j’avais oublié le rouge du meurtre
au cœur de la petite fleur bleue
L’araignée a fini son raccommodage
Je recouds des boutons
Je pense à la mort à la vie
-ce jour où mon petit-fils est né
un homme s’est pendu-La vie tient à un fil une corde un
souffle une infinie patience
L’homme était sourd il aimait vivre
dans le bruit des mots -lire sur les lèvres
est fatigant -Je me penche sur l’enfant d’une
semaine je l’écouteEst-ce qu’il respire ?
Extraits de La Renouée, Editions de l’Aire 1997Envoi
Le défi de votre silence
à mon silence je le relève
Il me va comme un gant de fête
Je rêve au temps des rêves
où vous disiez : « notre » silence
l’opposant à celui des astres
le glacéle nôtre était la tiédeur même
celle des feuilles immobiles
de l’eau dormante
le nôtre était plus volubile
qu’un vol d’étourneaux
plus parlant qu’une voix
le nôtre était plus troublant
qu’une haie de liserons blancsJe vous l’envoie
PentecôteElle attend les langues de feu
à l’heure du courrier
alanguie par le foehn elle attend
n’importe quel prodigeIls partagent la langue et le signe
mais le temps ?
Ah ! non ! quand elle dort dans son passé
simple ou remue la veille qui se trouble
déjà il joue dans l’après-demain gorgé
d’eau et de sens quand elle piaffe
il enfourche ses grands chevauxIls partagent la langue et le signe
mais l’espace ?
Parfois leurs lettres se croisent
leurs hasards ne font qu’un
leurs faims se recoupent
Parfois entre deux trains deux draps
- entracte ou reposoir -
ils se rencontrent et se reconnaissent
au premier regard
Extrait de Brisants, Editions de l’Aire 1993Poèmes vivants. Poème l’un à l’autre
Est-ce orgueil de le dire à voix haute ?
Est-ce aveu de lectrice à lecteur ?
Quand vous montrez l’entaille ancienne
-la cicatrice-
Quand vous gardez les vieilles fleurs
ou quand vous les jetez (comme on jette
une fille sur les feuilles)
Quand vous enveloppez mon corps
d’un manteau
Vous êtes
Une chanson de geste
Une élégie -un canto-Et moi qui reste à lire
livre ouvert page noire
je me donne en lecture comme
on se donne à boire
Extraits de La rebuse de l’épine noire, L’Aire 1991Un jour ma vie sera creuse
de vous
et dans le creux je mettrai
vos paroles la cendre par-dessus
pour les garder brûlanteset si le vent disperse tout
dans le creux je mettrai vos silencescomme une cigarette allumée en secret
Extrait de Terre d’autre langue, Ed. Eliane Vernay 1988à fendre l’abricot
-joue rousse tavelée-à déloger l’amande
à force d’ouverture duveteuse
et partage du fruitremontent des rumeurs
rêveusement liées au gestem’appelant
-sans raison claire-
Dans l’eau verte d’une histoire
Extraits de Le désir hors la loi, Editions Eliane Vernay 1983Passé recomposé
Enfant j’étais la raconteuse
Pour vous j’ai repris
la route écolière des histoires
feuilleton qu’on savoure ou dévore
c’est selon la lumièrePour vous j’ai repris mes comptes
d’effeuilleuse
de la corne aux sarmentset la fin retenue pour que la vigne flambe
Entre les souches
s’épelaient les secrets translucidesDire sans effacer la pruine
Parfois
saccager la vigne
Extraits de Du miroir la ronce, Editions Eliane Vernay 1982
Dire la corolle des bêtes
Les rites éblouis
Dire je comme une offrandeLa mémoire des appels
Blesse trop fort
Il ne faut pas nommer les bêtes
Ni les amours
Qui les prendra d’assaut, les écumera
Mes veines mes vaisseaux
Chargés d’or
De pierraille
Et de princes étrangers ?Qui violera mes grottes peintes
Leurs grands bisons tendus
Leurs arcs
Signes de guerre et d’amour ?Qui me rendra mon alphabet
Soupe aux lettres
Dans une assiette de porcelaine blanche ?Quelles rivales viendront me border
Quand le lac se fait sauvage ?
Veines trop pleines
Laquelle y viendra boire ?
Bibliographie
- 1982 Du miroir la ronce, poèmes, Ed. Eliane Vernay, à Genève.
- 1985 Le désir hors la loi poèmes, Ed. Eliane Vernay.
- 1988 Terre d’autre langue poèmes, Ed. Eliane Vernay.
- 1991 La rebuse de L’épine noire poèmes, (prix Louise Labé 1992), Ed. de l’Aire à Lausanne, Suisse.
- 1993 Brisants poèmes, Ed. de l’Aire, Vevey, Suisse.
- 1993 Le Divan Bleu, contes érotiques. Ed. de l’Aire.
- 1993 Des goûts et des couleurs in Célébration de la lecture, Ed. de l’Aire (ouvrage collectif).
- 1995 Trouble, nouvelles, Ed. de l’Aire.
- 1995 Voix éparses, poèmes, Editions Samizdat, à Genève.
- 1997 La Renouée, poèmes, Ed. de l’Aire.
- 1999 Une si belle soif in Célébration du vin, Ed. de l’Aire (ouvrage collectif).
- 2002 Le Piège du Miroir ou le livre des jumelles, avec Denise Mützenberg, Ed. de l’Aire.
- 2003 Fugato. Recueil de poèmes à trois voix, écrit avec Denise Mützenberg et Luiz-Manuel ; sorte de “chaîne” ou chacun, en alternance, répond ou reprend librement. (Version portugaise de Luiz-Manuel et traduction italienne). Ed. Samizdat.
- 2003 Poèmes du seuil,. Poèmes alternés, écrits avec Gabriel et Denise Mützenberg au cours de l’année 2002. Ed. Samizdat.
- 2004 Les chambres de jour. Nouvelles Ed. de l’Aire.
- 2006 La table des liens. Poèmes. Ed de l’Aire.
- 2010 Une guitare par exemple. Nouvelles. Ed. de l’Aire.
- 2010 Comment c’était. Poèmes. Ed.le Miel de l’Ours, Genève
- 2011 Histoires de Louise. Nouvelles. Ed. Samizdat.
- 2013. Ailleurs peut-être/Vielleicht anderswo. Anthologie bilingue. Traduction Markus Hediger.Ed. Wolfbach/Die reihe, Zürich.
- 2014. La bague de Lumnie, poèmes avec des dessins de Gisèle Poncet, Ed. Samizdat
- 2016. Grève, livre d’artiste à trente exemplaires, poèmes dialoguant avec une gravure originale de Jean-François Reymond. Ed. Tirage limité, UNIL Lausanne.
- 2018 Eurydice nue, livre d’artiste à cinq exemplaires : Un poème accompagnant quatre gravures originales de Danielle Péan le Roux sous emboîtage de l’artiste.
- 2018 Entre deux passantes, poèmes avec des dessins de Gisèle Poncet, Ed. Trait-noir, Fribourg
- 2019 Le chemin des épingles, petites proses illustrées par Gisèle Poncet, Ed. Les Troglodytes
- À paraître : réédition du Livre des jumelles (ou Le piège du miroir) L’Aire janvier 2020
- The Book of days ou jours de Kathe, Ed. Les Troglodytes, automne 2020
Page établie avec la complicité de Françoise Delorme