Une leçon de sève (extrait)
Il est des vies inquiètes
retenues dans l’ombre,
des jardins, des êtres
cousus de silence.Il faudrait baisser la voix
pour dissiper tant de brumes.Il faudrait baisser la voix
devant tant de beauté peureuse
purgeant sa peine dans le gel.Comme enfant tu essayais
toutes les pierres du ruisseau une à une,
avant de traverser, tu saurais
reconnaître le chemin de l’épervier
dans sa chute lointaine.Tu saurais faire un feu
de ta propre chute hors des choses
apprises, revenir aux clartés
semées là, au hasard du cerfeuil.Le jardin cette nuit s’est voilé
d’une trop grande
montée d’énigme.Puise dans tes réserves d’aube,
dans l’inaccompli, de quoi survivre
au poids
de tant d’opacité.(Éditions Henry, 2011)
(Prix des Trouvères des Lycéens 2011)
Haute trahison
Tu n’as pas pris soin
ce matin
de la beauté du monde,
tu as laissé
la page
des oiseaux s’écrire
sans toi,
la page bleue
toujours
recommencée,tu n’as pas battu
avec le cœur de
l’aube et des
jardins,
tu n’as pas encore
cueilli
sur tes paupières
toute la fraîcheur
connue.Qui aurait pu
faire cela
pour toi ?
Tu portais toute la
lumière possible,
un regard
aujourd’hui
a manqué à la terre
si près de se
faner.(Europe n°1009, mai 2013)
Celui qui passe
Celui qui passe a laissé
un peu d’herbes et de racines
sur nos seuils, il a semé
pour qui viendra
ses astres, ses chansons muettes.Tout en lui fut douleur et fête.
Sa joie, ses lueurs, ses sources
sont le jardin où vous entrez
sans l’avoir jamais vu.(Europe n°1009, mai 2013)
Quelques cendres et si peu de sources (extrait)
La maison, cet après-midi,
s’est laissée prendre
comme une mouchedans la tristesse
aux paumes grises.L’obscur, un homme
lui jette peu à peu
ses lueurs, sa voix.Se peut-il que l’on règne
sur de si grands
territoires d’opacité ?L’obscur, un homme
y perpétue la douleur,
les remuements.Il ne nous est plus permis
à présent de voir
clair dans cet amas
d’os et de larmes.Un homme soudain
n’est plus rien que sa
peur, elle le creuse,fait de lui un
immense fossé
ruminant au ras des routes.Il n’est plus en lui
de lieux de semaison.La folie, maintenant, le défigure.
Le monde, laissé
dans l’inquiétude
des chemins
vides,s’est réduit
à une chaise, un lit
et quelques pots de fleurs.(La Porte, 2013)
Frères (extrait)
Je voudrais rendre au matin
toute la lumière
que je lui dois,
à la pluie d’été
un peu de sa
fraîcheur,tendre au cerisier une main
nue, ouverte comme
une nuit d’avril,au myosotis
tout le bleu des
regards,je voudrais être l’ami
de ce qui m’est donné
chaque jour
à aimer.(Éditions Henry, 2015)
Déboutés (extrait)
Je suis du silence
de ceux-là
qui traversent nos vies
sans laisser de traces,
de ceux qu’on a secourus,
alignés, comptés, accusés,
à qui l’on a donné
des vêtements chauds,
de l’espoir,
une tente dans la boue,j’ai dans le sang leur nuit,
les frontières,
le racket, la torture, le viol
en attendant de passer,je suis de même rive,
de même errance,
de même humiliation,
de même boue
que ceux qu’on insulte
et qu’on trie,nous sommes de même voix,
de même amertume,
de même saccage,
leurs barreaux sont les miens,
leurs barbelés,
leurs corps maigres,
leur soif est ma soif,je suis inlassablement
l’étranger
roué de coups à Calais,
qu’on a soigné,
remis sur pied
et qu’on raccompagne aux frontières,je suis le corps
de ceux qu’on repêche,
dont l’image nous émeut
et qu’on enterre à la hâte,
je suis leur visage,
leur fatigue,
leur peur,
inexorablement,
et je porte leur nom.(Éditons Henry, 2018)
Bibliographie
- Qui, de ses mains nues…, L’Arbre à paroles, 2004.
- Toi, les brisants, L’Arbre à paroles, 2006.
- Matin de neige et de sauge, L’Harmattan, 2009.
- Une leçon de sève, Éditions Henry, 2011. (Prix des Trouvères des Lycéens 2011)
- Quelques cendres et si peu de sources, La Porte, 2013.
- Frères, Éditions Henry, 2015.
- Déboutés, Éditions Henry, 2018.