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Pierre Dhainaut (Poèmes inédits)

samedi 31 octobre 2020, par Cécile Guivarch

Pierre Dhainaut, né à Lille le 13 octobre 1935, vit à Dunkerque, la ville des dunes et des vents. Il découvre très tôt la poésie, en particulier celle de Victor Hugo (en classe de cinquième) à qui il consacrera un livre. Plus tard, il rencontre André Breton et se lie aux poètes surréalistes, dont il ne tardera pas à s’éloigner.
Une autre rencontre marquante sera celle de Jean Malrieu. Grande amitié, profonde et durable. Pierre Dhainaut a dirigé l’édition de nombreux textes posthumes, ainsi que celle des œuvres poétiques publiées complètes de son ami Jean Malrieu.
D’autres poètes l’ont accompagné dans son œuvre et sa quête, comme Bernard Noël.
Une anthologie rappelle quel fut, de 1961 à 1991, son parcours, Dans la lumière inachevée (Mercure de France).
En 2009, il reçoit le Prix de Littérature Francophone Jean Arp pour Plus loin dans l’inachevé (Arfuyen), en 2013 le Prix de la SGDL pour l’ensemble de son œuvre et en 2016 le Prix Guillaume Apollinaire pour Voix entre voix (L’herbe qui tremble).

(Photographie prise par Isabelle Lévesque sur la plage de Dunkerque, le 10 août 2015)

UN SEUIL AUX CONFINS
Poèmes inédits

Une ombre évidemment est inféconde,
on la remarque à peine entre tant d’autres,
à terre, pas plus loin que la terre,
elle a le poids et la fragilité

du mot lui-même, qui se métamorphose,
le sable, la cendre, l’argile ont pour fonction
de la multiplier en frémissant,
les détritus la recevront aussi,

c’est bien la nôtre : l’écriture en laisse une
dont le devenir est semblable, heure après heure,
de la matinale à la plus tardive,

que nous offrions un visage ici aux vents
et là aux murs, mais redire « ombre »
à la fois nous alarme, nous affermit.

Il est ce qu’il doit être, immensément
mobile en cette dimension, cette autre,
comment le qualifier, ce lieu où sans cesse
nous passons, accompagnant le matin ou le soir ?

frimas, lilas, samares, averses,
tous les temps favorables, tous expriment
la splendeur, la parfaite ignorance
d’une cime à rejoindre enfin,

progresser, ne penser qu’à l’air
comme à l’espace intact : au premier pas,
nous voici hors de nous, voici

que nous reprenons souffle avec le droit
de descendre, de monter les marches
dans la prononciation de « seuil ».

Se tendre, se tendre, sans s’interrompre,
la main croyait en la présence
à la frontière obscure de ces pages,
très bas, d’une autre main qui pourrait la tenir

jusqu’à ce qu’elle soit légère, lucide,
elle reculait par saccades :
nous n’avons jamais eu le choix, pas plus
du mot que de l’instant où tout s’ébranle,

tout se réoriente, un secret
au grand jour, un chemin dans le labyrinthe,
chaque crépuscule une apparition

ayant même puissance…la main n’a pas
réalisé son rêve, son œuvre,
quelle lettre aurait pu la mettre en sang ?

Plus qu’un présage, une promesse,
et plus qu’une promesse, tout un dictionnaire
se refonde, nous devient inconnu
de poème en poème : silence, silence,

par exemple, nous n’avons aucun mal à traduire
naissance, naissance, nous répétons
sans nous préoccuper de l’ordre, sans craindre
l’épuisement, l’étouffement

avant la ligne où nous recommençons,
mieux vaut de plein gré en conscience :
l’arbre où grimpe un enfant s’épanouit,

l’idée d’un abandon est étrangère,
en avril, en décembre, quoi qu’il arrive,
le poème est chez lui dans un poème.

Ce qui vient du cœur et qui va au large,
le tremblement d’un frêne à nos côtés
s’accroît parce qu’il se contente en ses limites
de la patience, exigeons-la de nous,

laissons s’accomplir la parole
que nous adresserons au noir, au froid,
tant mieux si nous allons en tâtonnant,
gardons-nous d’allumer une veilleuse,

nous partons avec elle au rendez-vous
des enfants que raidit un mauvais rêve,
les ponts n’atteignent pas la berge

d’en face, elle essuie la sueur des fronts,
carres les paupières, insuffle
ce qui vient du large et va au cœur.

Le jour commence avant le jour et le poème
avant le poème, ils ont pour origine
plus que la nuit muette, ils vont
de l’un à l’autre ou l’un vers l’autre,

sans doute est-ce pourquoi nous admirons
le chant annonciateur d’une aube
et pourquoi nous ne cherchons pas à voir l’oiseau
qui glorifie l’esprit de la surprise,

qui se taira, qui continuera de chanter :
chaque poème ou chaque jour réclame
haleine, allégresse, don de soi

dans le mot « perte », dans le mot « résurgence »,
de pair, prodigues, nous avons tout,
tout à comprendre encore, encore.


Bibliographie de Pierre Dhainaut

  • Le poème commencé, Mercure de France, 1969
  • Bulletin d’enneigement, Sud,1974
  • Efface, éveille, Seghers, collection froide, 1974
  • Jour contre jour, Oswald, collection J’exige la parole, 1975
  • Bernard Noël, Ubacs, 1977
  • Coupes claires, Le Verbe et l’Empreinte, 1979
  • Au plus bas mot, J.-M. Laffont, collection Poésie / Le grand écart, 1980
  • Le retour et le chant, Thierry Bouchard, Collection Terre, 1980
  • Pierre Encise, Le Regard, la nuit blanche, dessins de Jacques Hérold, Vrac, 1981 (et EST, 2006)
  • L’âge du temps, Sud, 1984
  • Terre des voix, Rougerie,1985
  • Pages d’écoute, Dessins de J.-M. Staive, Dominique Bedou, 1986
  • Chemins d’Aubrac, photographies de Brigitte Julien, éditions du Rouergue,1987
  • Fragments d’espace ou de matin, illustrations de Pierre Souchaud, Hautécriture, 1988
  • Un livre d’air et de mémoire, Sud,1990
  • Prières errantes, Arfuyen,1990
  • Le don des souffles, Rougerie, 1990
  • Mise en arbre d’échos, MØtus, 1991
  • Fragments et louanges, Arfuyen,1993
  • Dans la lumière inachevée, Mercure de France,1996
  • Passage par le chœur, La Bartavelle, collection Le Manteau du berger, 1996
  • Paroles dans l’approche, L’Arrière-Pays,1997
  • À travers les commencements, entretien avec Patricia Castex Menier, Paroles d’Aube,1999
  • Introduction au large, Arfuyen,2001
  • Relèves de veilles, peintures de Jacques Clauzel, Alain Lucien Benoît, 2001
  • Entrées en échanges, Arfuyen, 2005
  • Au-dehors, le secret, aquarelles de Marie Alloy, Voix d’encre, 2005
  • Pluriel d’alliance, L’Arrière-Pays,2005
  • Dans la main du poème, Écrits du Nord, Éditions Henry, 2007
  • Jean Malrieu, Éditions des Vanneaux, collection Présence de la poésie, 2007
  • Levées d’empreintes, Arfuyen,2008
  • Sur le vif prodigue, dessins de Gregory Masurovsky, Éditions des Vanneaux, collection l’Abreuvoir,2008
  • Plus loin dans l’inachevé, Éditions Arfuyen, 2010
  • Le poème des blés, Alfred Manessier, Blés après l’averse, Éditions Invenit, collection Ekphrasis, 2010
  • La Nuit, la nuit entière, dessins de Nicolas Rozier, Æncrages& Co,2011
  • Vocation de l’esquisse, encres d’Isabelle Raviolo, La Dame d’Onze Heures,2011
  • Rudiments de lumière, Arfuyen, 2013
  • La parole qui vient en nos paroles, illustrations de Marie Alloy, L’herbe qui tremble,2013
  • L’autre nom du vent, photographies de Manuela Böhme, L’herbe qui tremble, 2014
  • De jour comme de nuit, avec Mathieu Hilfiger, Le Bateau Fantôme, collection Vita poetica, 2014
  • Progrès d’une éclaircie, suivi de Largesses de l’air, Faïfioc, 2014
  • Gratitude augurale, Le Loup dans la véranda, 2015
  • Voix entre voix, peintures d’Anne Slacik, L’herbe qui tremble, 2015
  • Voies d’air, Tipaza, peintures de Philippe Croq, 2016
  • Paysage de genèse, Voix d’encre, aquarelles de Caroline François-Rubino, 2017
  • Un art des passages, L’Herbe qui tremble, 2017
  • État présent du peut-être, Le Ballet Royal, peinture de Caroline François-Rubino, 2018
  • Ainsi parlait Victor Hugo, dits et maximes de vie choisis et présentés par Pierre Dhainaut, , Arfuyen, coll. « Ainsi parlait », 2018
  • Et même le versant nord, Arfuyen,2018
  • La grande année, avec Isabelle Lévesque, L’Herbe qui tremble, 2018
  • Après, aquarelles de Caroline François-Rubino, L’Herbe qui tremble, 2019
  • Transferts de souffles, postface d’Isabelle Lévesque, L’Herbe qui tremble, 2019
  • Pour voix et flûte, encres de Caroline François-Rubino, Æncrages & Co, 2020
  • Une porte après l’autre après l’autre, Faï fioc, 2020

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