Écrivaine poétesse et performeuse aveyronnaise, Hortense Raynal habite aujourd’hui en Provence dans un lieu collectif et artistique en milieu rural. Elle a étudié la littérature à l’ENS Ulm Paris et, aujourd’hui, écrit et lit sur scène, joyeusement et sérieusement. Elle s’est formée et continue de se former à diverses techniques corporelles (danse, butô, clown, théâtre physique…). Son travail s’articule autour d’une écriture et d’une théorie géopoétiques et d’un geste performatif adoptant une posture affranchie de la norme. Elle pratique ainsi une poésie scénique avec un lien très physique aux syntagmes : son “écrire” explore le “dire”. Elle explore dans ses recherches performatives le rythme du corps lisant, le lien public-poésie-poétesse, la présence de l’objet livre, la saturation, la matière physique et le mouvement de l’écrit. Elle « mouvemente les mots » et se demande : comment investir la poésie ?
Son premier livre, Ruralités, paraît en 2021 aux Carnets du Dessert de Lune (Prix 2022 du Premier Recueil de Poésie de la Fondation Labbé). Elle publie Nous sommes des marécages deux ans plus tard chez Maelström, il est finaliste du Prix CoPo. Son troisième texte, bouche-fumier, est paru chez Cambourakis dans la collection Sorcières en mars 2024.
Elle a publié dans de nombreuses revues, comme Sabir, Sève, Olga, Carabosse, L’Echarde, DOCK(S), Teste, Les Bacchanales2...
Son travail a été présenté dans la presse : Libération, France Inter, La Croix, Reporterre, Matele.be, La Provence. Elle est invitée à parler poésie régulièrement : Marché de la Poésie de Paris 2023, The Living Library 2023... Elle a réalisé de nombreuses performances inédites : Le Générateur (Gentilly), [Cargo] (Paris), Mange tes mots (Paris), Le Lieu Unique (Nantes), Points Communs (Cergy), Les sources poétiques (Lozère). Elle collabore régulièrement avec des poéte.sse.s ou des artistes venant d’autres disciplines et fait partie de programmations de festivals de spectacle vivant autant que de poésie.
Elle est résidente 2020 et 2021 à La Factorie, Lauréate Création en Cours des Ateliers Médicis 2023, résidente 2022 à La Colle Begat Theater, résidente 2024 à La Marelle à Marseille. Le CNL soutient son travail poétique.
Elle crée le cycle de rencontres poétiques Mater en 2021. Elle crée la compagnie La Déformeen 2023.
Extrait de Ruralités, Les Carnets du Dessert de Lune, 2021.
Et je cuisine des ronces oubliées
pendant qu’il pique le futur
Dans la souillarde occitane.
La carte postale est décédée et les plantes malades me
regardent à l’ombre.
Dans le cercueil, des odeurs de faux, de bruits de pas, de
fouillis chaud et humide.puis
Le Père.
Dedans.
Le Berger.
À côté.On chemine vertical entre les guêpes et les amoureux,
les amoureux et les guêpes, et puis une entaille de trop et
hop.
On avoue.
Aveu louable mais seul. Louable mais silencieux.De toute façon la vie, c’est souvent du silence.
Il a détruit la tranquillité fleurie de l’enfance et des blés
qui fouettaient ses cuisses.
Berger seul. Berger Silence.Le retard est désagréable et les miettes sont vertes
mais
Qu’est-ce que c’est que
de forcer les attaques à répétition ?
De creuser un roseau déjà vide ?
De sauter quelques notes ?Le troupeau sait le troupeau sent
Il s’écarte quand il arrive
Moi plus douce avec mes pieds
Lui rocailleuxIl a détruit la tranquillité fleurie de l’amour et de la
luzerne
qui fouettaient nos cuisses réunies nos cuisses fécondes
Berger vide. Berger sans amour. Sans désir.
Je lui dis :
J’ai trop dialogué à hauteur de moucheron.
Donne-moi les rapaces !Et le troupeau s’épaissit.
Extrait de Ruralités, Les Carnets du Dessert de Lune, 2021.
Je ne saurais comment vous dire ce qu’est la vie en ce
moment
Est-ce l’avant est-ce l’après est-ce le blanc est-ce le vent
Est-ce la mer est-ce la neige
Et ce qui était il y a un an
?
C’est pour ça que dans les collines je laisse aller ma voix
devant
mes jambes courent mes yeux divaguent
la vie c’est aussi ces
vaguesLa vie c’est aussi ce son
aussi ce sont
les abris qui feulent
où j’ai caché
tous mes jouets
d’avant, d’avantet ce moment qui désespère
et ce moment qui demeureJe ne saurais comment vous dire ce qu’est la vie en ce
moment
Est-ce dans la bouche l’odeur de vin de noix
Est-ce que ma nuque se repose encore dans le bartasSi ce n’est l’amour qui subsiste dans leur salon ou plutôt
dans leur salle à manger
pas de salon chez eux
c’est bourgeois
une salle à manger sans salon
ça c’est paysanJe ne saurais comment vous dire ce qu’est la vie en ce
moment
car je ne saurais être dans l’aujourd’hui de la ville que
mon corps traverse
je suis là-bas ou plutôt ici c’est mon ici
La vie c’est aussi ici
Extrait de Nous sommes des marécages, Maelstrom, 2023. 1
toute une forêt dans la tête.
en conversant avec les arbres,
je bouleverse avec l’invisible,
j’averse avec les morts.et,
sous cet arbre là,
(je sens)
c’est celui qui m’a fait naître.
j’ai ma mère sur la poitrine
mon père à l’épaule
mon frère à l’oreille
ma sœur dans la main
mon amoureux sur la bouche
d’autres amoureux sur les joues
ma grand-mère dans les côtes
mon grand-père dans le pied
les amis dans les yeux
j’ai des inconnus sur le front
et le reste du monde dans le cœur.toute cette forêt de gens m’habite
jamais ne me quitte,
l’enfer la forêt. les noix.
mais moi aussi je suis un arbre,
je suis l’arbre qui me noie les soirs marécageux
je suis l’arbre qui me noie (généalogie tragédie)
colle à la peau manière de parler
colle à la peau manière de bouger
je suis l’arbre qui me noie
corps façonné à la glaise des utérus,
corps façonné terre difficile de ma naissance.je suis l’arbre qui me broie.
Extrait de Nous sommes des marécages, Maelstrom, 2023. 1
on dit on dit on dit on a une maison,
mais c’est pas vrai on a
tonnes de maisons.
c’est juste qu’elles n’ont pas toutes la même forme.
ici hutte de plaisirs
ici hangar de solitudes
ici abri de fortunes
ici salle des fêtes
ici cahute de douleursc’est juste que maison maison maison
sonmai sonnemai monsai mahison
pas le bon mot.
si ça se construit ça doit bien
se déconstruire
une maison.
après un remuement crac
ça devient un terrain vague
vague et vide, vade et vigue,
évade et digue.
et c’est bien.
(mieux qu’un building)
(je crois)et dans ce sol croît,
possibilité d’autre chose.
encore presque de l’oustal
doux et muet rien qu’à voir
la terre terrain pierre grossière
en attendant on va
dans d’autres bicoques (ralentissement)
après le remuement,on va ailleurs, c’est tout, c’est pas grave.
Extrait de Bouche-Fumier, Cambourakis, 2024.
faire poésie c’est creuser. pour faire poésie, il faut que tu creuses, c’est inévitable. et tu dois le faire pour de vrai. tu peux pas gratter la terre comme ça du bout du doigt, puis t’arrêter, t’as cru quoi ? la poésie c’est salissant. en fait, non. c’est même pas salissant, c’est toi qu’es salissante c’est toi qui dois être sale et salir les autres quand ils elles veulent pas, quand ils elles veulent rester toutes propres, toucher les mots du bout du nez, du bout de la langue, là. toi, tu roules des pelles à la langue, des grosses pelles, des grosses pellasses oui. pilote de la langue. t’es une pilote t’es pas moins, pas plus, mais pas moins. alors oui. ça va vite. et ouais c’est fatigant, c’est du lourd la poésie, - où j’en étais ?
« t’as cru quoi ? » voilà t’as cru quoi, t’as cru que non, avant. mais là tu viens de comprendre t’as la mission de salir les autres t’es une sale-sale, une sauvage t’as une bouche-fumier montagne de fumier bien odorant, et ton rôle, oui ton rôle, c’est de faire en sorte que personne se bouche le nez. tu dois nourrir ces terres que tu dois creuser pour en connaître les entrailles. les connaître de l’intérieur, tes terres. et là, seulement, tu pourras dire que t’as fait poésie quoi. et encore. c’est quand tu auras tout laissé décomposer, quand tu connaîtras les vers qui y vivent. quand tu seras tellement profond que tu pourras même plus rejeter la terre hors du trou, alors tu sortiras ce que tu dois sortir et tu feras pousser ce que tu dois faire pousser, et là, seulement, tu seras bouche-fumier, femme-fumier femme-terre aussi en même temps : les deux. la poésie c’est de la terre creusée, décomposée, la poésie c’est sale. sale et fertile. bouchefumier langue-fumier. langue-tunnel : c’est obscur tu vois rien t’es enfouie. tu continues à t’enfouir. dans la grande terre qui remue. et tu es la somme, la somme de tous les grains de terre – pourquoi on dit grain de sable et pas grain de terre ? alors moi je le dis voilà – de la poésie bien sale, oui. et terreuse, oui. mais si ? mais si toi aussi t’étais de la grande terre qui remue,
de la grande terre qui remue.
Inédit 1 - Journée de grand banditisme
Journée de grand banditisme.
Mon mari est une racine et moi,
Je suis la bandite des grands chemins.J’me casse. Je n’attendrai pas le printemps
pour pouvoir lancer des couteaux,
dents.Et dans la rue un nid, une mousse, un cordage
je sens comme un petit ding-dong chez les gens,
regardez comme la magie peut changer un visage.Un jour de grand danger,
je suis née.Et ici,
depuis les petites fugues,
le quota de larmes,
les pieds sauvages,
les ateliers pour être vivant,
les garçons impénétrables
et ceux, pénétrables,
ma mousseline précaire,
les billets de cinquante,
et ce cancer de se taire,
je veux bien que vous croyiez avec moi
qu’aucune être humaine n’est logique.La météo en majuscule
poursuit une disparition.
Inédit 2 - La voisine du bruit
la voisine du bruit je suis
une cape d’humain du ciel j’ai
une femme-papier qui dingue
tourbillon rondeurs encore toujours
ça tourne ça divague ça solide
ça cadence ça mitraille ça solide
ça arc
ça mains tendues ça choisit
ça perturbe ça dit oui
je m’habille de volonté galactique
et de bruit sidéralflèches carquois jamais lancées.
avancées géographiques d’amplitudes.
rectiligne et ovale en même temps,
c’est possible.
amoureux, amoureuse, ponctuation.
lis dans un sens, lis dans l’autre, peu importe.
lis moi ça, lis moi rien, lis moi tout.
je t’attends, je t’attends, je t’attends.cellule amas, la pluie.
Violet flotte flotte, les points.
Grandit comme morille, champis.
c’est l’univers c’est le cosmos, c’est le.
C’est ce que je préfère être, cette forme.
montée, grouhaha, grou, hou !cellule amas, terre.
chair du sol le bourbier, l’herbe.
évolue rhizomes, atlas de racines.
c’est le noyau, c’est des géosciences.
j’aime grandir ainsi, horizontalement.Je vais visiter le monde parce que je marche sur les ondulations noires des morts.
À paraître – Extrait de Le mot humain n’est pas sûr, éditions Trames, 2024.
La vôtre existence et la vôtre colère.
La vôtre merci. J’ai mon quota
De larmes qui baisse,
Et le loup me laisse parler.J’héberge la vie et j’héberge mes antres,
J’héberge le centre. J’ai des organes
En majuscule. J’ai l’existence qui penche
À gauche. Mes roses en délire s’extrêment.J’impératrice cet homme. La vôtre couronne
Traverse les têtes aussi - il acquiesce. Je mets
Des tapis pour décorer son cerveau. Le vôtre
Organe fait malheureusement des liens adipeux.Le vôtre rêve n’est pas pour aujourd’hui.
La vôtre dernière ligne du reste extrait
La dernière couleur du centre de vous.
Extrait de Qu’est-ce que trace on laisse ? in Les Cahiers de la Vacance (collectif), éditions La Perle, mai 2024.
Qu’est-ce que concert j’orchestre ?
Qu’est-ce que les autres on est ?
Qu’est-ce que pas moi je moi ?
Qu’est-ce portée je note ?
Qu’est-ce groupe on je ?Qu’est-ce pile annule ?
Qu’est-ce que face dérange ?
Qu’est-ce que toi me veut ?
Qu’est-ce que vif on parle ?Qu’est-ce qu’instrument ici ?
Qu’est-ce que planètes en soi ?
Qu’est-ce que système autour ?
Qu’est-ce que cosmos en dedans ?
Qu’est-ce que révolution ?Qu’est-ce que cette plante chante ?
Qu’est-ce que soigne une fleur ?
Qu’est-ce que graine en nous ?
Qu’est-ce que terrain allume ?
Qu’est-ce que pousse repousse ?Qu’est-ce qui chante en moi ?
Qu’est-ce que lutte on danse ?
Qu’est-ce que surprise on peur ?
Qu’est-ce que dague on serre ?
Qu’est-ce que cerveau en trop ?
Qu’est-ce que vie qui meurt ?Qu’est-ce que mystère déesse ?
Qu’est-ce que mon masculin ?
Qu’est-ce qu’écoute ça trouve ?
Qu’est-ce que tangue on marche ?
Qu’est-ce qu’après la brume ?Qu’est-ce que trace on laisse ?
À paraître – Extrait de Abandons, La Crypte, 2025.
quelques vérités labiles
les fleurs poussent et moi pas
les arbres poussent et moi pas
les arbres ont des racines et moi des pieds
on a onze ans et
les terres sont noires quand on les regarde
vertes quand on ne le fait pas
et sous la couleur voilà c’est ta voix
on est la seule désormais
à en inventer la valse verticale
dans la forêt matinale
évaporée
la mienne en poursuite vers
la récupération de cet abandon
mais là dans la forêt sous les pas noirs ;
surgit alors l’abandonnée
Bibliographie
Livres de poésie
Parus.
● Bouche-fumier, éditions Cambourakis, 2024.
● Nous sommes des marécages, éditions Maelström, février 2023.
● Ruralités, éditions des Carnets du Dessert de Lune, juillet 2021. Préface de Marie-Hélène Lafon.
À paraître.
● Le mot humain n’est pas sûr, Trames, 2024.
● Abandons, éditions de La Crypte, 2025.Anthologies
● Inédits in 56 descentes dans le maelström, éditions Maelström, mai 2023.
● Inédits in Anthologie du Printemps des Poètes, Éditions Castor Astral, mars 2023.Prix
● Ruralités a obtenu le Prix du premier Recueil 2022 de la Fondation Antoine et Marie-Hélène Labbé pour la poésie. Remis le 23 novembre 2022 au Centre National du Livre.
● Ruralités a fait partie de la sélection finale des 10 livres pour le Prix Leynaud 2022 remis par l’Espace Pandora, Maison de Poésie de Lyon. Ce Prix s’efforce de récompenser un ouvrage qui leur semble “nécessaire au jour blessé d’aujourd’hui”.
● Nous sommes des marécages fait partie de la sélection finale pour le Prix CoPo 2024 et du Prix Ganzo Révélation 2024.Publications en revue de poésie
● « Pas propre », Revue L’Écharde, juin 2024.
● « Orchestre National Poétique », Revue DOC(K)S, novembre 2023.
● « Les putains n’ont plus de clients », Revue Carabosse, octobre 2023.
● « du vent », Revue Sève, juillet 2023.
● « Rondeurs », Revue Fragile, février 2023.
● « Il y a eu », Revue Miroir, février 2023.
● « Une histoire qui circule », Revue Sabir, juin 2022.
● « Rude », Revue Meteor, mars 2022.
● « ça refuge » et « un sac de tanous », Revue Terre à ciel, janvier 2022.
● « la personne parlée par moi », Revue Gustave, novembre 2021.
● « Cadastrer », Revue Lichen, août 2021.
● « J’aime les bizarres », Revue Tract, juillet 2021.
● « Puech », Revue Teste n°41, 2021.
● « Le Berger et son père » suite, Revue Fragile, mars 2021.
● « Ce que réserve le printemps », Revue Simple things, mars 2021.
● « Le Berger et son père », Revue Point de Chute, décembre 2020.
● « Découvre-l’eau », Revue Fragile, novembre 2020.
● « Oc », Revue Fragile, août 2020.