Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Jean-Pierre Boulic

jeudi 5 mai 2022, par Cécile Guivarch

Jean-Pierre Boulic est né en 1944, d’une famille d’origine brestoise. Il s’est installé en Pays d’Iroise (Finistère), dans un modeste bourg « au bout du monde » depuis la fin de ses activités professionnelles. Il marque un intérêt soutenu aux œuvres de Georges Bernanos, René Guy Cadou, Marie Noël, Patrice de la Tour du Pin, Maurice Zundel, Jean-Claude Renard, Jean-Pierre Lemaire, André Henry, Jean Vuaillat, Charles Le Quintrec, Gérard Bocholier. Depuis 1976, date de parution de l’ouvrage Anne de la mer, une bonne trentaine de recueils (dont six bilingues français-breton) jalonnent son parcours poétique. Il collabore régulièrement avec compositeurs de musique, peintres et graveurs. Alors que Jean-Claude Renard écrivait que ses poèmes témoignent « de la beauté et du sacré dont ce monde a plus que jamais besoin », Alain-Gabriel Monot souligne dans la remarquable revue Armen que « La musique pure de sa langue juste nous retient, nous étreint ».

Site : http://perso.numericable.fr/npodt

Extraits de La Lumière du temps – éd. Caractères (1995)

L’AMOUR SIMPLE

Je suis l’enfant d’un bonheur simple
Je ne suis que talus de simples
Je suis ce lent bonheur tout neuf
D’aimer les âmes et Rutebeuf
Le royaume des passereaux
Le dit bien simple du sureau
Des arbres où la bruine estampille
Le haut silence des jonquilles.
Je suis cette âme simple
Qui sait encore un regard simple
L’amour des arbres et les grillons
La gloire ardente des Villons.
Lié dans la gerbe des jours
Verbe du temps et de l’amour
J’ai revêtu l’habit d’été
Le silence reclus des versets
Afin d’aller l’âme sans âge
Coudre le sarrau des nuages.

 

LE VENT DE LA MER
Je viens dire mes poches de rosaire
Le long des mares
L’heure est immense et sonore
De Callac au Goëlo
Les genêts parlent en secret
De patience et de partance
Tout là-haut
Pays de bois
Pays de mer
La galoche buissonnière
Je viens dire des princes des oiseaux
Qui vont et parlent d’aurore
Dans leur château d’amour
Où marche parfois le vent de la mer.

Extrait de Un brin d’invisible – éd. Les Cahiers bleus (2002)

DANS NOS MAINS NUES
à Yves Loisel

Tu vois
ici-bas
il y avait autrefois
dans nos mains nues
un verger d’étoiles
d’immenses prairies d’oiseaux
Nos mains s’envolaient
sous le vert préau des ciels
dans nos cris dans nos airs
tintaient les clarines de l’enfance
Dans le creuset des mains
les ruisseaux s’approchaient
l’éternité nous appelait
ô voix d’un clair secret
Aujourd’hui
sous le givre des prairies
tu vois glisser de nos doigts transis
la musique des souvenirs.

Extrait de Royaume d’île – éd. Minihi Levenez (2004)

Le vent de mer psalmodie
Murmure avec la bruyère
Et les chardons endormis
Des nuages en surplis
L’air encense le silence
Et l’ombre de la falaise
Ouessant s’éprend contemple
Toute la lande d’amour
Son chuchotement d’amie
Un prodige au creux de l’être.

Extrait de L’Instant si fragile – Le Nouvel Athanor éd. (2005)

La neige se pose ici
Avec lenteur
Un simple habit de silence
Étale son souffle blanc
Inlassablement
Délie le temps
Ébloui
L’oiseau se tapit
Pensif sous le lierre
Où l’ombre s’étend
L’au-delà frissonne et vibre
En filigrane.

Extrait de En marchant vers la haute mer – éd. La Part commune (2008)

CHANT

Oui rien que le jour et son ombre
Rien que la nuit
Le vent la pluie
Un chêne
L’orme et les grands tilleuls
Une voix se répand
Dans la futaie
Des mots paisibles glissent
Sur les versets transfigurés
Le chant court des mésanges
Par vent et pluie
S’épanche sans affolement
Rien que le vent la pluie
Le jour la nuit
Vibre un chant inouï
Qui entend qui
Et sans se dérober
Écoute qui ?

Extrait de Le Chant bleu de la lumière – éd. Minihi Levenez (2009)

LE CHANT DE LA CONSTANCE

Ainsi mon âme voit
Venir l’imperceptible
Sans commune mesure
Dans les signes du temps
Si je fus de ce monde
Qui n’avait pas le temps
Allant couteaux tirés
Tout à se démesure
Je me suis arrêté
Sur un chemin de lande
Il borde les falaises
Et les rives du cœur
Il veille l’océan
Le flux de haute mer
Charrie sa plénitude
En habit de lumière.
Le chant de la constance
Croise dans les parages
L’écho de l’éternel
Se répand sur les eaux.

Extrait de Patiente variation – éd. La Part commune (2010)

Voyez le ciel est si beau
Si haute la nuit de mai
Au-dessus des champs se tiennent
Milliers et milliers d’étoiles
Voyez la nuit est si claire ici
À l’instant où se grisent les orges
Si haute la nuit de mai
Sur l’ombre du monde
Dans le jardin la tige brisée
D’un bouton de rose rouge
Se penche épuisée
Voyez le ciel est si beau
Une étoile est née elle paraît
Et veille apaisée
Voyez le ciel, l’Ange nous devance.

Extrait de Sous le regard des nuages – éd. Minihi Levenez (2014)

Avec les nuages
Ces messagers éblouis
Tu vas par ces terres
Tu apprends ce qu’il est dit
Tu sens tu le vois
Quelque chose qui te dépasse
Quand le vent parle aux oiseaux
Dans le vaste espace
Et vers l’océan
Tu vas en disant
Avec les grains de ta vie
Les mots si pauvres de l’âme.

Extraits de Cette simple joie – éd. La Part commune (2015)

J’écrirai de la manière
Qui m’est révélée
Et de ma ferveur
J’écrirai un amour de la terre
Âme entends-tu ? Chaque mot
Est l’épithalame
Qui s’envole vers
Le fronton du monde émerveillé
Mon corps se fera désir
D’exulter ainsi
En un seul prélude
Le cœur épris d’un chant d’alouette
Et les sources d’eau vivante
Renaîtront aussi
Dans l’humble pays
De chênes d’argile et de lumière
J’écrirai de la manière
Qui m’est révélée
Sur ce parchemin
Où s’enluminent parole et joie.
***
Comme une ode à la lumière
À la chute de ce jour
Il faudra que le poème
De son chant émerveillé
Dans le bleu nuit de nos songes
De l’orient aux ciels du ponant
Retienne la joie
Qui ne meurt pas.

Extrait de Prendre naissance – éd. La Part commune (2017)

En le disant
Ce n’est que l’ange qui passe
À l’instant
C’est l’heure
C’est maintenant
Les yeux de la rosée s’émerveillent
De la clarté de l’herbe
C’est l’heure
Des mots lumière
Sur lèvres et pétales
Qui s’en étonne
Sinon l’aubépine radieuse
Du cœur des talus mouchetés
De mille primevères ?

Extrait de Petites pièces pour instruments à voix – éd. Pétra (2018)

Une vie simple
Jamais recroquevillée
Sur le quant-à-soi
Une vie simple
Sans huis-clos
Elle éclabousse
De ce qui est donné
Non de ce monde
Mais de l’intime
Une vie simple
Sans ombre portée
Pour le monde à inventer.

Extrait de L’eau de la grève est si bleue – éd. Des Sources et des Livres (2018)

La cour de récréation
Hortensias fanés
Déjà les prunus en sourdine
Hirondelles parties
Le laitage du brouillard
Vents et océan à la porte
Voyelles qui vous envolez
Ô pauvres signes précurseurs
Je vous donne à l’oreille
L’enfance du poème
De ce mystère où s’auréole
L’âme jusqu’aux confins des heures
Comme palpitent mes pensées
Qui s’élèvent au-dessus du toit
Le vieux lichen des moellons
Du préau où traînent mes songes
Façonne l’horizon
Que fend un oiseau blanc.

Extrait de Laisser entrer en présence – éd. La Part commune (2019)

Ce qu’il vient te dire
Dans le secret
Qu’il te laisse entendre
À chaque instant
Le vent
Comme il sème ici
Ce qu’il murmure
D’un chant d’oiseau
À la terre entière
Le vent

Il n’est qu’une voix
À te souffler
D’être en ce monde
Sans être du monde
Le vent
Le vent
Jamais enchaîné
Le vent t’appelle
À consoler
La plainte des hommes.

Extrait de Tisser les couleurs du silence – éd. L’enfance des arbres (2020)

Quand il est dit que l’ange la quitte
Dans le bruissement d’un printemps
L’inattendu en elle se pose
D’une inflexion inespérée.
À peine le souffle d’un murmure
Viendrait-il s’épancher sur sa grâce
Qu’elle s’émerveille d’être ainsi
Insérée au présent éternel.
Le silence en elle s’interroge
En baissant les yeux vers l’invisible
Et Femme soudain elle respire
Cœur à cœur avec l’imprévisible.

Extrait de L’Offrande des lieux – éd. La Part commune (2021)

PETITS POÈMES

Tu rêvais d’édifier une cathédrale poétique. Un retournement de pensée, tu ne sais, s’est imposé. Doucement. Une réalité bien plus humble a laissé entrevoir autre chose. Tu t’es alors senti appelé à écrire de petits poèmes. Ceux-ci devenaient semblables à d’infimes chapelles. Celles que l’on déniche souvent parmi les landes bretonnes. Tu sais que vécurent auprès d’elles des saints et des ermites passionnés de l’infini silence. Ils avaient reçu le don de voir les choses du monde à l’envers. Vivants de l’esprit d’enfance, ils conduisaient des fidèles de plus en plus nombreux à la patience, à la douceur. Aujourd’hui, on aimerait bien planter sa vie en ces lieux transfigurés aux couleurs d’hortensias. Leur présence surabonde parce qu’elle parle avec le souffle du poème. Il est heureux de partager des heures signifiantes, des instants inespérés, une parole irréductible passant les dunes et les landes jusqu’aux genêts des vieilles montagnes noires. Être présent au monde sous le mode mineur de la poésie, mais qu’y a-t-il d’autre à embrasser ?

Extraits de Sentiers – éd. L’Atelier des Noyers (2021)

La terre des mots
l’humus du verbe à venir
que tu vas nommer.
Écrire c’est murmurer
au secret d’un pauvre instant.
***
Remuement des saisons
parmi les arbres en novembre
quand la pluie chasse le vent.
Le passant se retrouve à contempler
infiniment et sans illusion
le visage des choses de la terre.
***
Rehaussé de bleu
l’émail d’un poème
ouvre à l’intelligence des temps.

Bibliographie

  • 1976 – Anne de la mer, éd. CLD Normand et Cie
  • 1995 – La lumière du temps, éd. Caractères
  • 1999 – Seul un silence médite, éd. La Bartavelle
  • 2002 – Un brin d’invisible, éd. Les Cahiers bleus
  • 2003 – Reflets des mots, avant-dire de Michel Scouarnec, Le Nouvel Athanor éd.
  • 2004 – Royaume d’île, éd. Minihi Levenez
  • 2005 – L’Instant si fragile, avant-dire de Gérard Bocholier, Le Nouvel Athanor éd.
  • 2007 – Une île auprès des ciels, photographies de Marie-Hélène Grange, après-lire d’Alain-Gabriel. Monot, éd. Minihi Levenez
  • 2008 – En marchant vers la haute mer, avant-lire de Gilles Baudry, éd. La Part commune
  • 2009 – Le Chant bleu de la lumière, éd. Minihi Levenez
  • 2010 – Patiente variation, avant-dire de Jean-Pierre Lemaire, éd. La Part commune
  • 2011 – Un petit jardin de ciel, éd. La Part commune
  • 2012 – La Fresque, éd. Minihi Levenez
  • 2012 – Je vous écris de mes lointains, éd. La Part commune
  • 2014 – Sous le regard des nuages, éd. Minihi Levenez
  • 2015 – Cette simple joie, éd. La Part commune
  • 2016 – Ouessant sans fin, éd. Minihi Levenez
  • 2017 – Prendre naissance, préface de Pierre Tanguy, éd. La Part commune
  • 2018 – Petites pièces pour instruments à voix, préface de Jacques le Goff, éd. Pétra
  • 2018 – L’Eau de la grève est si bleue, dessins de Nathalie Fréour, éd. Des Sources et des Livres
  • 2019 – Laisser entrer en présence, éd. La Part commune
  • 2020 – Tisser les couleurs du silence, aquarelles de Marie-Gilles Le Bars, éd. L’enfance des arbres
  • 2021 – L’Offrande des lieux, éd. La Part Commune
  • 2021 – Sentiers, aquarelles d’Anne Le Maître, éd. L’Atelier des Noyers

Prix de poésie 1996 de l’Association des Ecrivains de Bretagne
Grand Prix de poésie Louis Montalte de la Société des Gens de lettres 2010 pour l’ensemble de l’œuvre
Prix Yves Cosson de poésie 2014 de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de la Loire pour l’ensemble de son œuvre

Livres d’artistes

  • 2013 – Oiseau fol – 9 ex. peinture de Michel Remaud
  • 2018 – Îles écorchées – 5 ex. peinture de Michel Remaud
  • 2019 – Falaise harcelée – 5 ex. peinture de Michel Remaud
  • 2019 – Porche – livre-pliage de Ghislaine Lejard, collection Fy (Bibliothèque Forney)
  • 2019 – D’herbes et de branches – avec gravures de pointes sèches d’Éric Saignes
  • 2019 - Des riens des rêves – avec gravures de pointes sèches d’Érik Saignes
  • 2019 – Regards croisés – 10 ex, avec gravures de Serge Marzin

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