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Sandra Lillo

jeudi 9 février 2023, par Cécile Guivarch

Sandra Lillo est née à Nantes. Comme dans un journal intime, elle publie et partage presque chaque jour un nouveau poème sur les réseaux.
Les bonbons pleurent est son premier recueil paru chez le Castor Astral. Repérée sur Facebook par Valérie Rouzeau, la poétesse avait publié trois ouvrages, Les bancs des parcs sont vides en mars, Le silence coule sous les branche (Editions La Centaurée), et On a rien ramené de là-bas (Editions du Petit Flou) .
A travers la poésie, elle aborde le quotidien et convoque ses souvenirs. Elle parle des vivants et des morts, de la famille et de la solitude, du courage pour dire les choses et survivre au jour le jour.
Elle dit écrire de la poésie parce qu’elle a le sentiment d’être au bon endroit, au bon moment, d’avoir trouvé sa place.

Photo

Extraits de Les bonbons pleurent, Éditions Le Castor Astral

Avant je te disais

Je n’aime pas la perfection
mais j’aime l’absolu

J’ai vieilli et tout est devenu
flou

comme les nuits d’hiver quand on
n’ose plus s’éloigner de la lampe

de la chaise

de peur de passer le brouillard entre
les vivants et les morts

 

*

 

Septembre est à l’heure et je ne suis
pas prête

Je me souviens marcher vite tôt le
matin

rentrer et me réveiller dans le

tramway une station après la
mienne

les yeux embués sur la Loire

Ce matin le soleil entre dans
le salon

en août il entrait par la cuisine

Le café est brûlant

Il me reste cinq cigarettes et un
sachet de pains au chocolat à un
euro cinquante

des rêves d’amour

des peurs d’enfant

et j’aurais tellement voulu les
séparer

 

*

 

Quand j’étais malade je disais
à ma mère

J’ai le goût

Elle me donnait des granulés jaunes
dans une grosse cuillère

J’avais les joues brûlantes et des larmes
de chaleur dans les yeux

Le ciel est bleu

On dirait qu’il penche derrière les toits

Avant- hier un ange a glissé
sur la pente

il n’avait pas d’ailes

Il est sur terre depuis un jour
et il a le goût

 

*

 

Je dois faire un cv

j’ai écrit

Je n’ai pas beaucoup travaillé
à l’école

et je suis toujours paresseuse

Emma pense que j’ai inventé
la galette de semoule

moi je ne me souviens plus d’où
la recette est tombée

J’ai déménagé douze fois

D’une adresse à l’autre

j’ai laissé une boîte à musique

des livres

et des pulls

Un jour j’irai les chercher
derrière les ours marron

les poupées sans maman

Je resterai

Comme travail je ferai Objet perdu

 

*

 

Je ne veux pas travailler

je veux des murmures

regarder la lumière mourante à la fin
du jour

mais ne pas voir la mienne décliner

de gestes mesurés
de peines réduites

Je suis en vacances

J’honore la mémoire de la petite soldat
qui disait

devant la nuit en feu des larmes rouges
dans la bouche

Si je vis jusqu’à demain je prendrais des
notes

 

*

 

J’entends les bruits de la circulation

A chaque fois je pense à mon enfance
quand on traversait les routes en voiture

Les odeurs de tabac froid et d’hiver se
mélangent à l’ombre de mes parents

La nuit cache la laideur des gens des choses
des immeubles

et je reviens au présent

comme quand mon père garait la voiture
avec le même étonnement
la même peur

Où dorment les rêveurs

Extraits de Les bancs des parcs sont vides en mars, Editions La Centaurée

Tu es las des révoltes programmées
entre midi et deux

des vestiges du passé quand le présent s’écroule
toujours plus famélique

de moins en moins familier

de la condescendance du monde quand il prend
racine dans la fuite en avant

Tu veux la richesse des nuits d’été
le saccage de tes désespoirs

faire l’amour avec ta terreur d’être vivant

 

*

 

Exaspérée par le bruit et le silence

tourner autour du taillis des questions
sans réponses

En rester là à l’heure qui précède le soir
sous la lumière allumée au-dessus du bureau

L’angoisse traîne de ne pas être à la hauteur

d’un baiser prolongé

d’ un acte de résistance

 

*

 

Minuit

musique de l’autre côté de la rue

la table est desservie depuis des
heures

Il faudrait que je dorme sans ajouter
un mot

entre le croissant de lune la terre
mouillée

Il faudrait s’asseoir souffler sur les
bougies du monde

croire encore une fois aux gestes
aveugles

au triomphe de quelque chose

Extraits de Le silence coule sous les branches, Editions La Centaurée

Les toits rongés par le silence des
chambres

où l’on rêve de partir en emportant
la maison

la fenêtre du rez-de-chaussée
la rue qui coulait sur le pont

ce qu’il y a eu de soleils de nuits

ne leur appartiendront jamais mais le
vide qu’ils répandent

quand ils disent

ils ont volé les chevaux

 

*

 

Premier jour du printemps

Les oiseaux chantent à cinq heures

il reste des plumes de nuages sur les
ardoises

Tu penses à lui dans la rame du
tramway qui part vers Hôtel Dieu

il répond comme un peuple perdu qui
chante au fond de toi

Extraits de On a rien ramené de là- bas, Éditions Le Petit Flou

Les gens seuls tournent le dos à la danse
dont ils ont oublié le pas
Ils ont créé des personnages à qui ils
parlent mais ils ne sont jamais semblables
aux gens

Qui vient quand on l’appelle chante
quand il pleut
qui rivalise avec le spectacle

la mer s’est enfuie sur ses talons
faisant clap-clap sur les glaciers

le ciel a répondu une seule fois
L’oiseau est sorti de sa cage et y
est revenu plus seul qu’avant

alors ils portent une armure
la joie de vivre qui épuise

 

*

 

Les nuages font un col laiteux
au-dessus des toits
On dirait que la maison est plus petite
On dirait que la maison est la chambre

et tu dors
tu ne te vois plus
comme une image dans une boîte
avec des bons points et des allumettes

 

*

 

Rien n’a de sens
les enveloppes les livres comme un
petit magasin au bout de la table
le poème qui passe sans laisser de trace
de pinceau
mais la lune ressemble à la petite
statuette de la Vierge Marie qui brillait
dans la chambre
la nuit avec son écharpe bleue

Extraits de Rosetta, à paraître en 2023 au Castor Astral

Je ne trouve pas le poème

les mots comme des faons s’échappent
quand je m’approche

Peut-être je fais trop de bruit

j’écrase des brindilles

l’oiseau blanc qui vole seul à
6 heures

et moi qui bois mon café seule

J’ai peur quand je ne trouve plus la
poésie

plus rien ne brûle ni ne brille

on dirait qu’il n’y a plus de désir

de minutes sacrées

c’est comme une religion qui s’en va

 

*

 

Je dois faire une piqûre demain

dans la salle où on allait voir les
concerts avant

avec les enceintes qui crachaient la guitare
électrique

et la voix du chanteur qui roulait sur
la scène

comme une grosse voiture américaine

J’ai vu que je croyais encore aux droits

et ça m’a fait pleurer

et partout

sous le lit

dans les tiroirs

dans la poche de ta chemise

je cherche le poème

Je ne sais pas si je le trouverai j’ai perdu
ma médaille de Saint-Antoine

mais le soleil fait un trou dans les nuages

qui donne envie de se pencher

et demander

Est-ce que quelqu’un a vu le poème

Est-ce que quelqu’un a vu le capitaine

 

*

 

Je regarde dehors et je détourne les yeux
du béton

en pensant

Dans la nuit
nous sommes aussi la fenêtre qui brille

Pour celui qui rentre à pied
nous sommes peut-être

la maison pour laquelle tout est en ordre

le pot de farine

le bol de lait du chat

mais chez nous aussi

on ne peut pas retenir ce que l’on a
sur le cœur

et les mots sortent comme des vélos

et des planches à roulettes

on tombe

et je pense à la mer

qui monte et recule

peut-être elle goûte le monde

 

*

 

Au Japon

dans une ville du Nord

un homme a installé une cabine téléphonique
dans son jardin

Il y a un gros téléphone à l’intérieur
dont le cadran ne fait jamais
un tour complet
pour revenir au zéro

C’est la Cabine du vent

Les femmes

les hommes et les enfants
d’Otsuchi

y viennent pour parler aux morts

car il y a eu le tsunami au mois
de décembre

Je pense aux gens dans l’abri

Les choses disparaissent de la vue
quand on parle

Un poisson nage

un ange tousse

au-dessous la surface

puis on remonte comme un petit soldat
qui a perdu sa montre


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