Sandra Lillo est née à Nantes. Comme dans un journal intime, elle publie et partage presque chaque jour un nouveau poème sur les réseaux.
Les bonbons pleurent est son premier recueil paru chez le Castor Astral. Repérée sur Facebook par Valérie Rouzeau, la poétesse avait publié trois ouvrages, Les bancs des parcs sont vides en mars, Le silence coule sous les branche (Editions La Centaurée), et On a rien ramené de là-bas (Editions du Petit Flou) .
A travers la poésie, elle aborde le quotidien et convoque ses souvenirs. Elle parle des vivants et des morts, de la famille et de la solitude, du courage pour dire les choses et survivre au jour le jour.
Elle dit écrire de la poésie parce qu’elle a le sentiment d’être au bon endroit, au bon moment, d’avoir trouvé sa place.
Extraits de Les bonbons pleurent, Éditions Le Castor Astral
Avant je te disais
Je n’aime pas la perfection
mais j’aime l’absoluJ’ai vieilli et tout est devenu
floucomme les nuits d’hiver quand on
n’ose plus s’éloigner de la lampede la chaise
de peur de passer le brouillard entre
les vivants et les morts
*
Septembre est à l’heure et je ne suis
pas prêteJe me souviens marcher vite tôt le
matinrentrer et me réveiller dans le
tramway une station après la
mienneles yeux embués sur la Loire
Ce matin le soleil entre dans
le salonen août il entrait par la cuisine
Le café est brûlant
Il me reste cinq cigarettes et un
sachet de pains au chocolat à un
euro cinquantedes rêves d’amour
des peurs d’enfant
et j’aurais tellement voulu les
séparer
*
Quand j’étais malade je disais
à ma mèreJ’ai le goût
Elle me donnait des granulés jaunes
dans une grosse cuillèreJ’avais les joues brûlantes et des larmes
de chaleur dans les yeuxLe ciel est bleu
On dirait qu’il penche derrière les toits
Avant- hier un ange a glissé
sur la penteil n’avait pas d’ailes
Il est sur terre depuis un jour
et il a le goût
*
Je dois faire un cv
j’ai écrit
Je n’ai pas beaucoup travaillé
à l’écoleet je suis toujours paresseuse
Emma pense que j’ai inventé
la galette de semoulemoi je ne me souviens plus d’où
la recette est tombéeJ’ai déménagé douze fois
D’une adresse à l’autre
j’ai laissé une boîte à musique
des livres
et des pulls
Un jour j’irai les chercher
derrière les ours marronles poupées sans maman
Je resterai
Comme travail je ferai Objet perdu
*
Je ne veux pas travailler
je veux des murmures
regarder la lumière mourante à la fin
du jourmais ne pas voir la mienne décliner
de gestes mesurés
de peines réduitesJe suis en vacances
J’honore la mémoire de la petite soldat
qui disaitdevant la nuit en feu des larmes rouges
dans la boucheSi je vis jusqu’à demain je prendrais des
notes
*
J’entends les bruits de la circulation
A chaque fois je pense à mon enfance
quand on traversait les routes en voitureLes odeurs de tabac froid et d’hiver se
mélangent à l’ombre de mes parentsLa nuit cache la laideur des gens des choses
des immeubleset je reviens au présent
comme quand mon père garait la voiture
avec le même étonnement
la même peurOù dorment les rêveurs
Extraits de Les bancs des parcs sont vides en mars, Editions La Centaurée
Tu es las des révoltes programmées
entre midi et deuxdes vestiges du passé quand le présent s’écroule
toujours plus faméliquede moins en moins familier
de la condescendance du monde quand il prend
racine dans la fuite en avantTu veux la richesse des nuits d’été
le saccage de tes désespoirsfaire l’amour avec ta terreur d’être vivant
*
Exaspérée par le bruit et le silence
tourner autour du taillis des questions
sans réponsesEn rester là à l’heure qui précède le soir
sous la lumière allumée au-dessus du bureauL’angoisse traîne de ne pas être à la hauteur
d’un baiser prolongé
d’ un acte de résistance
*
Minuit
musique de l’autre côté de la rue
la table est desservie depuis des
heuresIl faudrait que je dorme sans ajouter
un motentre le croissant de lune la terre
mouilléeIl faudrait s’asseoir souffler sur les
bougies du mondecroire encore une fois aux gestes
aveuglesau triomphe de quelque chose
Extraits de Le silence coule sous les branches, Editions La Centaurée
Les toits rongés par le silence des
chambresoù l’on rêve de partir en emportant
la maisonla fenêtre du rez-de-chaussée
la rue qui coulait sur le pontce qu’il y a eu de soleils de nuits
ne leur appartiendront jamais mais le
vide qu’ils répandentquand ils disent
ils ont volé les chevaux
*
Premier jour du printemps
Les oiseaux chantent à cinq heures
il reste des plumes de nuages sur les
ardoisesTu penses à lui dans la rame du
tramway qui part vers Hôtel Dieuil répond comme un peuple perdu qui
chante au fond de toi
Extraits de On a rien ramené de là- bas, Éditions Le Petit Flou
Les gens seuls tournent le dos à la danse
dont ils ont oublié le pas
Ils ont créé des personnages à qui ils
parlent mais ils ne sont jamais semblables
aux gensQui vient quand on l’appelle chante
quand il pleut
qui rivalise avec le spectaclela mer s’est enfuie sur ses talons
faisant clap-clap sur les glaciersle ciel a répondu une seule fois
L’oiseau est sorti de sa cage et y
est revenu plus seul qu’avantalors ils portent une armure
la joie de vivre qui épuise
*
Les nuages font un col laiteux
au-dessus des toits
On dirait que la maison est plus petite
On dirait que la maison est la chambreet tu dors
tu ne te vois plus
comme une image dans une boîte
avec des bons points et des allumettes
*
Rien n’a de sens
les enveloppes les livres comme un
petit magasin au bout de la table
le poème qui passe sans laisser de trace
de pinceau
mais la lune ressemble à la petite
statuette de la Vierge Marie qui brillait
dans la chambre
la nuit avec son écharpe bleue
Extraits de Rosetta, à paraître en 2023 au Castor Astral
Je ne trouve pas le poème
les mots comme des faons s’échappent
quand je m’approchePeut-être je fais trop de bruit
j’écrase des brindilles
l’oiseau blanc qui vole seul à
6 heureset moi qui bois mon café seule
J’ai peur quand je ne trouve plus la
poésieplus rien ne brûle ni ne brille
on dirait qu’il n’y a plus de désir
de minutes sacrées
c’est comme une religion qui s’en va
*
Je dois faire une piqûre demain
dans la salle où on allait voir les
concerts avantavec les enceintes qui crachaient la guitare
électriqueet la voix du chanteur qui roulait sur
la scènecomme une grosse voiture américaine
J’ai vu que je croyais encore aux droits
et ça m’a fait pleurer
et partout
sous le lit
dans les tiroirs
dans la poche de ta chemise
je cherche le poème
Je ne sais pas si je le trouverai j’ai perdu
ma médaille de Saint-Antoinemais le soleil fait un trou dans les nuages
qui donne envie de se pencher
et demander
Est-ce que quelqu’un a vu le poème
Est-ce que quelqu’un a vu le capitaine
*
Je regarde dehors et je détourne les yeux
du bétonen pensant
Dans la nuit
nous sommes aussi la fenêtre qui brillePour celui qui rentre à pied
nous sommes peut-êtrela maison pour laquelle tout est en ordre
le pot de farine
le bol de lait du chat
mais chez nous aussi
on ne peut pas retenir ce que l’on a
sur le cœuret les mots sortent comme des vélos
et des planches à roulettes
on tombe
et je pense à la mer
qui monte et recule
peut-être elle goûte le monde
*
Au Japon
dans une ville du Nord
un homme a installé une cabine téléphonique
dans son jardinIl y a un gros téléphone à l’intérieur
dont le cadran ne fait jamais
un tour complet
pour revenir au zéroC’est la Cabine du vent
Les femmes
les hommes et les enfants
d’Otsuchiy viennent pour parler aux morts
car il y a eu le tsunami au mois
de décembreJe pense aux gens dans l’abri
Les choses disparaissent de la vue
quand on parleUn poisson nage
un ange tousse
au-dessous la surface
puis on remonte comme un petit soldat
qui a perdu sa montre