Né à Paris en 1955 Jean-François Agostini vit à Fiori en Corse du sud entre mer et oliviers. Après une intense introspection, d’environ sept jours, il quitte à 32 ans les artifices d’une carrière administrative pour se consacrer aux arts, poésie et photographie notamment, et tient depuis une paillotte poétique saisonnière sur une plage bordant la Tyrrhénienne, il y accueille ses amis poètes, plasticiens, comédiens, musiciens, passants du sable et des vents. Il s’occupe l’hiver de ses oliviers (ou vice versa), ainsi que de lettres et d’images.
« Je ne suis l’otage d’aucune conviction. Je lis les paysages qui m’entourent et tente de trouver un sens à leur beauté en les recopiant chaque soir, avant que le nuit ne les encendre. »
Créateur et organisateur de Voyage en vers, manifestation annuelle destinée à faire découvrir la poésie contemporaine aux élèves des écoles primaires de la microrégion lors du Printemps des poètes.
Créateur et organisateur des Mots en hiver, rencontres, lectures, conférences, débats avec des poètes de tous les horizons.
Créateur et organisateur, en partenariat avec la Cinémathèque de Corse, du festival de courts métrages et poésie : Des courts en hiver.
Extraits de La rive adverse, Souffles, 2007
1.
On voudrait que ce qui en nous crie
n’entende plus que le jeu des vagues,
le sifflement du temps et le souffle
le souffle… que s’éteignent les mots
comme un feu d’artifice incolore,
que les langues s’effondrent. On voudrait
vivre au rythme de ce qui bat juste,
quelque part entre l’arbre et l’étoile,
entre la sève et le sang des feuilles.2.
On se souvient du rythme binaire
que l’on entendait fort avant que
survienne le tremblement de mère.
On cherche sa réplique, une trace
de soi que l’on aurait jetée ou
semée, que rien ne couvre. Soudain,
perceptible à peine, il revient, là,
dans l’imprévisible, on le sent battre,
comme une arme en sourdine, en retraite.3.
On s’éveille. (Les yeux perdent leurs
paupières. Coule déjà le sable
dans les lits que la mer a creusés.
L’esquif disparu, l’amont s’estompe.
Entre deux crépuscules un courant
organique abreuve ses galets.
On voudrait qu’ils s’érigent en barrage,
qu’ils brisent l’ordonnance des rives,
retaillent et affûtent leurs tranchants.)4.
On s’éveille. Hôte d’une parole,
refuge de l’éclair. (Les sons chutent.
L’herbe, linceul gorgé de silence,
attend l’offrande du liseron
qu’Abeille et Brise distribueront
en d’équitables fragments de liesse
au chant de l’univers accordé.(Croît la fleur crucifère en son clos
– la faux n’épargne pas les crédules.))5.
seul. passe le désordre du fleuve.
je guette un sursaut de sable un gué.
sur l’aulne un peuple d’ailes m’observe.
si la nuit s’attarde en d’autres lieux
faut-il espérer la rive adverse
et l’effort de mon corps au courant
sous la tyrannie du soleil nu ?
traverser. joindre au tronc cyclopien
mes visions sauvages deltaïques.6.
Cela va sans lire, la Poé-
sie n’est pas en organdi de soie
de soirée, non, elle squatte le
cœur de ceux qui déambulent loin
des bulles de moi ou de Mémoire ;
elle s’ente sur le lent sourire
des patients ; elle offre ses cendres à
la terre, aux souches pour qu’en novembre
tranche la splendeur de l’arbousier.
Extraits de Tyrrhéniennes, Éditions Henry/ Écrits des Forges, 2009
1.
Gravir l’instant Cette courte immortalité
entre les mots Ce blanc où rien ne craque ne
s’enfuit de la scansion neuronale avant
le dépôt scripturaire de la phase phrase
face connue du dedans où Poésie bouge
l’air comme une respiration d’éolienneOn donne à ce temps-mort le pouvoir d’un exil
volontaire Ce que ressent le pèlerin
comptant ses pas près du kailash ou du grand cirque
des solitudes quand se consume la nuit
que le jour n’est plus une destinationSe dire que ne pas mourir dure si peu
2.
L’entrebail iridien des branches hivernales
comme un suspens de brume sur la neige brute
L’annonciation de l’aphasie des feuillesEn ces contrées aucun mot ne tranche la main
On chemine sans laisser d’encoches aux troncs
Un lapsus ne nie pas la ronce du sentierOn écarte les flocons de suie la tremblée
des vocables consent à l’harmonie du vent
Un nouvel alphabet s’articule à l’approche
des flaques d’ellébores On sait qu’un phalène
peut inverser l’ordre du pacifique On ouvre
la bouche entre deux battements de langue Coi3.
Taraxacum
Les yeux encore dans le blanc des fleurs d’o
liviers Minuit tourne la page du neuf mai
dont seul le bras signé par un fouet de sal
separeille se souviendra La main trébuche
sur les souches du clavier Un buisson de signes
adoucit sa chute Dans un crépitement
de bruyère et d’asparagus en feu vingt lettres
soulignées d’un trait rouge assemblent un mot de
quatre sons On travaille l’inconnu du lexique
en l’amputant de ses consonnes redondanteset l’on voit des graines de soleil que soulève
au souffle lent de l’île une nuée d’aigrettes4.
On habite l’endroit que la mer clôt On voit
midi Dans l’échancrure éclairée du len-
tisque (une compagnie de perdreaux se repose
à l’abri de l’entour) rien ne remue l’instantOn ouvre le double-vitrage pour donner
au reflet une position de repli
Le seuil accepte son absence en recevant
un condensé d’haleine Une trace dans l’airtrès vite troublée par le son térébrant et
la traînée d’un mirage On peut ouvrir le ciel
d’un coup de langue en lévitant en évitant
les morsures de l’encyclopédie Ses crocs
Extraits de Quelques mots en l’air pour ne pas dire, Colonna Édition, 2011
1.
Mois neuf On regarde passer le ciel Les mots
s’accumulent dans l’air – où bougent quelques vi
sages – en attente d’ordonnancement On
prend bleu sans vraiment savoir s’il s’accordera
– dans cette prose rejetée (pour figurer
léger poème) – avec l’émotion du mo
ment
On prend bleu (ce qu’il reste d’une blessure
afin de l’effacer en l’écrivant ?) On l’ôte
du lexique aérien On le dilue Noir sur
blanc devient tâche sonore à moduler en
lignes par douze syllabisées
On libère
bleu On le regarde teinter là-haut
Tout bat2.
Trois L’en allée de l’air glisse le paysage
vers d’autres lumières Le sombre vert de l’île
s’atténue
La tour tache le fond cérulé
de rouge
Les traits du soleil tranchent l’espace
en parts inégales Un vol de migrateurs
les traverse
On saisit vent (là et là dans le
lent mouvement du regard) On voudrait que sa
transparence réactive les tisons tende
le cerf-volant visionnaire abatte la rhé
torique des clôtures et donne du large
à ce poème cadastré
On voudrait qu’il
rehausse nos mains des brûlures de l’inouï3.
Un canadair défait le calme du poème
et du dix Son jaune éclaircit l’œuf solaire en
fumé Des bras tendus numérisent le por
teur d’eau comme d’autres croquaient des vieilles
[femmes
fagots en têtes et pieds dans une misère
encore supportableUn dernier largage pulvérise les flammes
Le bruit prend de l’altitude bat de l’aile et
se tait Se métamorphose en pixel luisantEn cliquant cet hiver
on verra déferler les clichés de l’été
dans les yeux de vieilles filles à écrans plats
et pieds dans le vide de leur vie sans vertige4.
Un oiseau joue avec le fil tombant du seul
nuage d’avril jusqu’à sa dernière maille
– s’en fait (qui sait) un nid – et rend au ciel de l’est
sa nudité diurne
Un avion écharpe
l’ouest Dans la blessure un vol irrégulier de
migrateurs s’inscrit – cela ressemble à la
partition d’une passacaille de bach
avant de se diluer en un bref nocturneVoyage qui passe dans le haut et ne donne
à l’errant qu’un instant de son carnet de notesOn ne sait pas où nous emmène le poème
On sait qu’il nous aide à traverser l’incertain5.
Un monde sans buzz
On cure le lit du california Aux pieds
des bottes trouées On patauge deux fois à
l’intérieur et à l’extérieur dans la vase et
les vers que la bèche remonte (ce que l’on
rapporte sur du propre)On pourrait en faire une
œuvre à la manière d. hirst une vermée
dans un aquarium empli de formol fluo
On le pendrait à l’aulne l’aigu des moustiques
et le grave des crapauds en fond musical
On ouvrirait le musée une heure par an
de préférence un jour de grêle (les e-gens
craignent la nature)
Seul avec les bzzz de l’air3.
Toi c’est un mouvement du regard un tombé
de paupières et la peur qu’elles ne se re
lèvent la peur de perdre toutes les couleurs
de cet espace où nous courrions avec l’amourTa beauté comment dire ce qu’on ne peut tou
cher cet imperceptible formation d’iris
entre deux contrées humides ce chant d’oiseau
à l’enchevêtrement des ronces des morts-boisTu es celle qui passe dans le brouillon des
branches en ne laissant qu’un bruissement de fleurs
un battement plus fort au creux de cette paume
qui d’un fil noir te tient enlacée au poème
Extraits de Généalogie de l’algue, Éditions Jacques Brémond, 2011
1.
Main tenant le corps
Le roulis de l’encre Peu de bruit sur le blanc
recyclé La main ornée d’un bouquet d’échardes
se redéploie exerce sa pluralitéLa bille du pouls adoucit l’angle des nerfs
révèle un transport intermittent Les méandres
du sang irriguent les particules veillantesUne symphonie liquide éclaire les art
ères On se laisse haler par l’appel du corpsAucun os ne s’oppose à cette introspection
On ouvre la fenêtre Les feuilles palpitent
comme si en filigrane les branches d’un
cœur activaient la respiration du poème2.
Vingt-deux Le vent du sud remet en plage les
parfums de la pinède alors qu’un demi globe
de lune lorgne la tour éteinte et ses pan
neaux solaires À l’orient sur la ligne de
partage le ferry de gênes illumine
un centimètre d’infini
Un groupe élec
trogène noircit le fût d’un pin parasol
desséché Des particules de gasoil dansent
avec les phalènes dans le cercle restreint
d’un projecteur halogène
Le tambour des
pistons couvre le clac des vagues On s’éloigne
de la mécanique terrestre À dos de dune3.
19:12
La bouée d’un corps-mort allongée sur le sol
comme un soleil en dormition à l’heure an
niversaire Ni tu ni je mais peut-être île
où nous allions – en l’humide secret des algues
de nos langues – éclaircir la buée du mondeOn s’étend près du soleil couché – dans la geôle
du corps le pas du père résonne avec l’am
pleur d’une clarté fossile
On balise un non
dit au cœur des gravités sommaires Les vers
élèvent un tumulus – monument promis
à l’esthétique du dérisoire
Un poème
un soir s’est écroulé son rayonnement non4.
Des mots en hiver
Assis La main en gerbe face au contrecœur
À peine sensible la chaleur d’hier prise
dans la fonte du paysage et les commen
taires de trois générations de veilleurs
Leurs souffles encore dans la pelle des cendresOn tisonne le presque éteint Du peu de chêne
à vif rougeoie la géométrie d’orionOn froisse le quotidien – le flux contingent
des vieilles nouvelles recommencées (l’ennui
de l’idem) – sans l’avoir lu on sait la beauté
d’un choc rétinien l’éclat indélébile
de l’arbousier tel un brasero sidéralTrois pignottes deux brindilles sous les mots di
vers une allumette Le cycle du carbone
Bibliographie
- Contre-jour, Les Presses Littéraires, 2005
- Presqu’il, Les Presses Littéraires, 2006
- Devenir un jour vent, Editinter, 2006, Prix de l’Édition du Val de Seine, 2006
- La rive adverse, Souffles, prix des Écrivains Méditerranéens 2007
- Era ora, Les Presses Littéraires, avec des encres de Gérôme Fricker, 2008
- Tyrrhéniennes, Henry/Ecrits des Forges, prix des Trouvères 2008
- C’est ou, Les Presses Littéraires, poèmes et photographies, 2011
- Généalogie de l’algue, Éditions Jacques Brémond, prix Arcadia 2011
- Quelques mots en l’air pour ne pas dire, Colonna Édition, 2011
- Transes digitales, Les Presses Littéraires, poèmes et photographies, 2012
- Vox viatoresquaerit, Les Presses Littéraires, avec des encres de Gérôme Fricker, 2013
- la mer la poésie, Les Presses Littéraires, photographies, texte Antoine Graziani, 2014
- Chemin des petits hôtels, Les Presses Littéraires, poèmes et photographies, 2015
- Autoportrait - Linéaments, Atelier des Grames, 2016
- la mer la poésie (II), Les Presses littéraires, photographies, texte Antoine Graziani, 2017
- Nuit inverse, Éditions Jacques Brémond, 2018
- la mer la poésie (III), Les Presses littéraires, photographies, texte Antoine Graziani, 2018
- Étais, 36 Poètes, Les Presses Littéraires, 2019, photographies, augmentées de poèmes d’ami.e.s
Publications en revue : Europe, Nu(e), Poésie/Première, N4728, Souffles, Décharge, Secousse, Levure littéraire, La main millénaire, 12×2 Poésie contemporaine des deux rives, A Pian d’Avretu.
Poème en anthologie : Qu’est-ce qui mijote dans ma marmite à mots ? Éditions Bayard jeunesse, 2013, Une fenêtre sur la mer, Recours au poème, 2015.
Poète accueilli grâce à la complicité d’Isabelle Lévesque
2 Messages