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Rémi Checchetto, ’Un deuil, triptyque Puisement / Jours encore après / Ici même’

lundi 20 octobre 2014, par Cécile Guivarch

On ne connaît pas un Rémi Checchetto mais plusieurs. Si l’on se réfère à la musique joliment italienne de son patronyme on pourrait dire qu’il y a des Checchetti. On en connaît un qui écrit pour le théâtre de longs monologues, et dont on pense qu’il ne fait pas la différence, qu’il ne veut pas la faire, entre l’écriture de théâtre et l’écriture de la poésie. Les deux s’inscrivent dans un travail d’intériorisation, de poétisation du quotidien et des êtres auxquels il se confronte.

Patiemment, il couche les mots sur le papier et ceux-ci sont mis debout par des metteurs en scène (Bela Czupon, Jean-Marc Bourg…) des musiciens (Titi Robin, Louis Sclavis, Bernard Lubat, Chris Martineau…), des marionnettistes (François Lazzaro, Gilbert Meyer…), des plasticiens (Denis Tricot, Sylvie Durbec…), des artistes de rue (Princesse Peluches…), des éditeurs (Espaces 34, Script, L’attente, Tarabuste, Inventaire / Invention, L’improviste.

Il fatigue volontiers ses valises et aime à travailler in situ. Il sillonne la France afin d’écrire des portraits d’habitants et de lieux.

Il donne régulièrement des lectures performances de ses œuvres et a publié quelques 15 livres.

Extraits de Puisements
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Une femme pendue à un fil à linge bleu

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dessous elle la terre toute désarticulée

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ici
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sur terre, à ras terre, la mémoire ouvre tous les placards, tire tous les tiroirs, il faut désormais lentement se lier d’amitié avec les fantômes, le fil à linge bleu, le panneau auquel le fil à linge bleu
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le caillou qu’elle a laissé, si dur à casser, ouvrir, attendre que passe le long cri long sans cesse et ses chardons et ses boues noires
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terre plus articulée
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et comment dresser la langue afin de la hisser hors du noir des boues ? comment faire une terrasse avec un peu de hauteur pour y voir un peu plus loin ? se désencastrer, s’extraire, avancer, ne pas demeurer longtemps au milieu de la mémoire trop touffue, son ombre est trop froide, déjà des choses et autres réclament une nouvelle langue pour naître, une langue exacte, une langue qui prendra racine dans les racines mêmes des choses et autres
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mais
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des mots sont là, très vite là, sans interruption là, vêtus de plomb, affublés pour l’aspersion de noir, qui viennent dans la poussée de dire, la pesée de dire qui est là, le ressassement de dire qui manœuvre, la nausée que cela produit d’abord, puis subitement la fatigue qui tombe, l’étourdissement où petit à petit un peu du calme vient, revient, tenter de le tenir un peu, de s’arrêter sur le bord du chemin, s’asseoir à la table de la cuisine, mettre les mains en coque sur le visage, désir de le garder encore, le calme, il était tant loin, tant cassé, tant inespéré, le garder encore, l’avoir encore, y être encore, boire le calmant à la coupe des mains là
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mais aussi
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parallèlement, simultanément, cause toujours, disent les mots, cause toujours, dit une petite voix en dessous les mots et qui vient, passe sa tête par-dessus les mots et dit cause toujours
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et
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une nuit où les mots s’en vont comme des oiseaux effrayés, reviennent en mouches sur le corps allongé, où la lune tend la main pour fermer les yeux où elle ne supportait plus de se refléter

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et
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il y a au fond du crâne une image à peine posée, à peine une couleur à déchiffrer, y aller, y retenir son souffle de crainte de faire fondre l’image qui est peut-être faite d’une ombre sur de la neige ou du faible écho d’une parole qu’il s’agit de ne pas briser, cependant toujours elle se dissout, sans cesse n’apprend rien d’elle
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serait-ce image des plus cruelles de la mort ou la plus douce des images ?

Extraits de Jours encore après
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Jours encore après
une femme pendue à un fil à linge bleu
une poignée de sable dans la main, aucun poids à cela qui, trou dans la paume, fatigue ou inattention ou reprendre souffle, coule, tombe, s’en va
que demeure-t-il de ces jours encore après ?
une longue nuit ?
un non destiné à soi ?
le poids de cendre du cri ?
une amnésie comme un bâillon sur la douleur ?
un emmêlement de pas tel un labyrinthe ?
revenir aux jours encore après, rebrousser chemin, fixer les yeux, obstruer la fuite et voir quoi demeure encore
du petit tas de sable, en faire de petits sacs de mots qui feront barrage à l’oubli autant qu’à l’ignorance qui serait la victoire de l’oubli
ce n’est pas que le pourquoi au fil à linge bleu manque et défaille, ce n’est pas au non à la vie que nous retournons, mais au oui des jours encore après
quelque chose ici
à puiser ici
pour voir ce qui y niche
d’elle
de nous
quelles cendres
quelles infiltrations
quelles articulations y demeurent
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***
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encore
cela qui vient et se pose quelques temps ensuite le fil à linge bleu
encore
nous nous approchons de ce mot qui bat doucement, veille déjà sur nous, nous attend sur une chaise de la cuisine, sous la glycine, dans le pichet d’eau
attend que nous le rejoignons puisque cela n’est pas encore advenu
c’est que le cœur et le corps sont plus lents que le mot
c’est que les pas sont moins lestes que la langue de la vie
et le mot nouveau est bel et bien là, à désigner du doigt le fauteuil où aller lire, le sécateurs pour s’occuper des branches trop promptes à nous envahir, le jardin où les pierres sont montée après les pluies
encore
six lettres qui suffisent à guérir et à rétablir tout l’alphabet

Extraits de Ici même, à paraître chez Tarabuste en 2015
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un jour
elle s’est pendue à un fil à linge bleu

nos yeux furent griffés
grillés
par un gel très fort

tout ce que nous avions vu
su
est tombé en morceaux

nous avons assisté à cela
sans rien avoir pu arrêter

se forma l’abîme

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***
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le soleil continuait
à faire le ciel
ou la pluie selon
sans que cela nous atteigne

des jours, des mois, des années

puis nous avons bougé
avons fait un grand écart
sur la carte
du nord vers le sud
d’ouest en est

nouvelle terre

nouveau départ ?

est-il possible de se sortir
la tête de l’eau roide
et d’être ailleurs ?
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***
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de l’eau doucement chauffe et frémit
en un coin tranquille du paysage
sous le regard du chien
qui ne dit mots

au loin le monde noir
notre début de siècle sanglant
s’éloigne, diminue
pas plus gros qu’un point petit
il sera bientôt mangé par les fourmis

on se sent pousser de grandes mains
capables d’accueillir en leurs coques
les litres de cette eau
pour le visage, le corps tout entier
les pensées, presque toutes
et le cœur
quand nous l’aurons sorti de la boîte noire
de la mémoire


Bibliographie

  • Ici même, éditions Tarabuste, à paraître en 2015 (poésie)
  • Zou, éditions Espaces 34, à paraître en 2015 (théâtre)
  • Pas parler parole, éditions L’âne qui butine, 2014 (poésie)
  • Jours encore après, éditions Tarabuste, 2013 (poésie)
  • Que moi, éditions Espaces 34, 2013 (théâtre)
  • Apéro, éditions de l’Attente, 2013 (poésie)
  • L’homme et cetera, éditions Espaces 34, 2012 (théâtre)
  • Très grand gel, éditions L’Improviste, 2011 (poésie)
  • Kong melencholia, éditions Espaces 34, 2011 (théâtre)
  • Bruissement, éditions Script, 2010 (poésie)
  • King du ring, éditions Espaces 34, 2010 (théâtre)
  • Puisement, éditions Tarabuste, 2010 (poésie)
  • Nous, le ciel, éditions de l’Attente, 2008 (poésie)
  • Là où l’âme se déchire un peu mais pas toute, Inventaire / Invention, 2006 (théâtre)
  • Valises, éditions Script, 2006 (poésie)
  • Une disparition et tout et tout, éditions de l’Attente, 2006 (théâtre)
  • Confiotes, éditions de l’Attente, 2005 (poésie)
  • P’tit déj, éditions de l’Attente, 2003 (poésie)
  • Portes, éditions Script 2003 (poésie)
  • Un terrain de vagues, coédition Script et théâtre des Tafurs, 1999 (théâtre)
  • Manèges, éditions Lucie Lom, 1999 (théâtre)

Divers

Encore, corps encore, éditions Les cahiers du Museur, avec des collages du Sylvie Durbec, 2013 (poésie)
La montgolfière, in l’œil de Jef
Tic tac, Les comédies de l’estuaire / 2
Le monde presque seul, catalogue d’exposition de Mitsuo Shiraishi
L’œuf, le bœuf, la meuf, revue Psychanalyse n°9
En roue Libre, éditions Quelque part sur terre / Festival d’Aurillac


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