Alain Wexler est né à Ambert dans le Puy de Dôme. Il dirige et imprime la revue Verso depuis 1977. Il vit dans le Beaujolais et se partage entre le travail pour la revue et les régions qu’il aime parcourir à vélo ou à pied (Grèce, Auvergne, vallée de la Loire…). Il anime régulièrement des lectures de poésie à Paris et à Lyon.
Extrait de Récifs
L’allumette
1 À la naissance, elle avait un corps blanc et une tête rouge. Depuis, elle n’a pas changé. Vie très rangée dans un immeuble qui tient à la fois de la caserne et de la prison. Elle ne sort que pour aller au feu. Une vraie tête brûlée.
2 Le teint blême des gens qui vivent dans l’obscurité, de la mine ou de la prison. Lorsqu’ils sortent, c’est la fête, le départ pour la campagne, le soleil et le sourire des retrouvailles.
À leur grande surprise, tout finit très vite. La tête contre un mur. Une tête qui s’enflamme pour un oui ou pour un non.
Cela finit toujours de la même façon, elle sort de sa réserve coutumière, se jette contre le premier venu, s’embrase, et, si personne ne s’arrête, se recroqueville en noircissant par les deux bouts.3 Outil qui ne sert qu’une fois. À l’endroit où l’on emmanche habituellement une bêche, une pioche ou un râteau, pousse une fleur éphémère. Qu’elle dure, elle vous brûle les doigts.
Extrait de Tables
L’éponge
L’éponge est flattée que je la prenne par le cou, que je la presse une main sur le cœur.
À son tour, elle exprime sa gratitude, ne se contient plus, bave, en perd le souffle. Son visage ne se décompose nullement, elle reprend contenance.
Je la brutalise, elle n’oppose que mollesse. L’évier réunit tous les arts du feu, la terre et le verre que l’éponge essuie afin qu’aucune ombre ne gâche leurs effusions.Entre l’ombre et la transparence, l’éponge hésite. Ce poumon cache tout le sang, lave ses proches de tout soupçon et rend l’air respirable mais il se retourne et crache sa faute dans le ruisseau.
Sans elle, la vaisselle redeviendrait vaisseau de haute mer.
Quand elle expire, elle s’aplatit, cependant elle n’a jamais été plus épaisse, plus impénétrable.
Quand elle aspire, toutes ses bouches se dilatent.
Avant d’être pleine, elle fut transparente.
Extrait de Noeuds
L’eau
Une eau qui court ne tremble pas comme une eau qui dort mais se trouble en reprenant ce qu’elle a donné.
Dans sa confusion, elle tord ses draps.
Le murmure de tous les dormeurs qui roule vers l’aval produit une langue obscure dont les mots remontent vers l’amont.
L’eau qui tremble enfante la parole et franchit des anneaux d’ombre et de lumière car de bouche à oreille elle saute les saisons, de l’humide à la sèche, de sorte que le poisson se fait oiseau, que si la montagne dans sa folie, jette une source, d’un coup d’aile, l’oiseau la retrouve.
Si l’oiseau ne dérobait la source, il ne connaîtrait que la saison humide, comme le poisson dans l’estuaire, de guerre lasse, mange ses semblables.
Extrait de Échelles
L’échelle
1
L’échelle s’enfonce dans la fourche aux oiseaux
Mais la tête qui entre
Et grandit dans le feuillage les effraie
Parce qu’ils ne la voient que du dessus
Et, croyant que le tronc de l’arbre se dédouble,
Ne distinguent ni les pieds ni les mains
Qui font partie de l’échelle.
Il faudrait descendre dans l’arbre
Par l’échelle du dessus,
L’échelle des oiseaux.Lorsque la tête dépasse l’échelle
On ne la voit plus.
L’échelle s’élève derrière le dos,
Seulement derrière le dos.Les oiseaux qui voient la tête
Grandir entre les branches,
Retirent l’échelle
Et s’envolent avec les feuilles.2
Les échelles de la nuit montent aux fenêtres.
Les échelles musicales
Dressées sans consentement
Sont ôtées au premier bruit.
Les échelles atteignent
Cette douleur intime proche du plaisir.La mélodie pénètre dans la maison.
Celui qui n’aime pas la musique
Repousse l’échelle et descend dans la rue
Qu’il éclabousse de couleurs.
Alors dans les murs ne battent plus
Que la mer, les sources et les arbres.
Extraits de La tentation (inédit)
La guêpe
La guêpe se souvient, se répète souvent
Et jamais ne meurt de rancune.Avec cette impatience de la chute
Propre à l’orage, les guêpes
Fendent le fruit en deux.
L’été n’est qu’une guêpe,
L’orage dans le fruit
Et l’impatience de la chute.
Les guêpes de l’orage bourdonnent.La guêpe est douce et amère dans la bouche.
Ah ! le goût de la guêpe dans la bouche !
La bouche qui mâche
Des mots de miel et de venin trouve la fleur.
Trouve la fleur et lâche la guêpe.
Elle mâche la fleur avec des mots doux et amers.
Des mots qui changent de goût comme de fleur.
Ils sont ce qu’on ne peut tenir.
Puiser la vie alors qu’elle s’échappe
Comme la guêpe de la bouche.
Bibliographie
- Récifs (Le dé bleu, 1985)
- Tables (Le dé bleu, 1992)
- Nœuds (Le dé bleu, 2003)
- Échelles (Éditions Henry, 2009)