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Pascal Commère

jeudi 5 décembre 2024, par Cécile Guivarch

 
Né en 1951 dans un village de Côte d’Or. Il a 6 ans lorsque son père, jockey de
province, se tue à l’entraînement. Premiers poèmes. Tiraillé entre la passion
des chevaux et celle des mots, il sera un temps apprenti-jockey. Sans grand
succès. Les chevaux tant aimés resteront dans les livres. Il se dirige alors vers
des études commerciales, sans trop savoir ce qu’est le métier des chiffres. Il en
découvre bientôt la rigueur, qui n’est pas sans résonner avec celle que réclame
l’écriture du poème. Sa vie désormais s’inscrira entre ces deux pôles, au point de les faire se côtoyer au quotidien. Au début des années quatre-vingt il se réinstalle dans son village avec Christine, sa compagne ; leur fille, Zoé, naît en 1990. Il n’en porte pas moins de temps à autre ses pas et son regard ailleurs : Laponie, Grèce, Europe centrale, Islande, Anatolie, Mongolie… De retour dans ses terres, il retrouve son travail d’attaché à un cabinet d’expertise comptable, visitant inlassablement paysans, viticulteurs et artisans ruraux. Parallèlement, il se rend dans les classes et les bibliothèques où on l’invite fréquemment. L’alternance des situations et des savoirs le stimule. La parution des Commis en 1981 lui vaut de faire la connaissance du poète André Frénaud, son voisin par intermittences à la campagne. Rencontre décisive, comme l’a été auparavant celle de Thierry Bouchard auprès de qui il découvre la typographie et ce qu’est un « livre d’artiste ». Il en fera un certain nombre, nouant de solides amitiés avec différents peintres et graveurs. Proche de maintes revues, il y publie tout un temps, y compris dans les plus prestigieuses : La NRF, Europe, Po&sie, Théodore Balmoral, L’animal, etc. La revue NOAH (fondée en 1978 avec quelques amis poètes : Bécousse, Cailliès, Schaettel, Wellens), arrivant à son terme dix ans plus tard, il rejoint quelques années après le comité de rédaction du Mâche-Laurier, puis de Secousse, toutes deux publiées sous l’égide des Éditions Obsidiane où paraîtront dès lors ses poèmes, avant que Tarabuste ne prenne le relais ; ses livres de prose bénéficiant des soins du Temps qu’il fait.

 
Extrait de Lointaine approche des troupeaux à vélo vers le soir, Folle Avoine, 1995.

Les prés sont des linges, le soir, ou de la brume.
Les bêtes vous savez n’appuient pas, elles avancent.
Elles sont comme vous – fragiles pas plus vraies,
une pluie les efface, il faut des jours ensuite
pour qu’elles montent vers nous.
Les bêtes c’est cela, jamais plus : quelques traces
dont s’étonnent les yeux au long des routes noires.
Vous y croisez une ombre – est-ce la vôtre
ou celle d’un enfant occupé dans l’hiver
à remettre la chaîne de son vélo froid.

 
Extrait de De l’humilité du monde chez les bousiers, Obsidiane, 1996.

« Passage de la Grâce »

Soleils dans les jardins le long des voies
– jardins ouvriers où les trains ne s’arrêtent,
avec des sacs en plastique par terre ou
autre chose et le vent souffle les gonflant.
Tomates en lignes accrochées à leurs rames.
Soudain figuier amoché par une enseigne COCA-COLA.
Sous tutelle, toujours.
*
Ce qui est noir et barré
Plus loin réécrit en noir sur les murs
Et barré et de noir encore.
Nous sommes nos mots qui meurent.

 
Extrait de Honneur au Fantassin G, conscrit en Meuse, Le dé bleu, 2000.

« Cœur battant »

C’est cela, et comme irrémédiable. Jaunes
à perte de vue, les colzas.
L’escourgeon qui frétille au vent du matin,
déroutant les tracés des traitements.
Cheptels au vert sur la prairie d’un coup habitée, les mâles
– mauvais garçons dans les coins qui zappent
loin des génisses laiteuses. Dardée
la trique rose qu’ils rengainent
en un clin d’œil, hardis, puis s’élancent
écumant sans fin jusqu’au soir. Mais déjà
les grands pissenlits font la roue entre leurs sabots,
blanchissant d’un petit lait pâlot la nappe qu’aucun pli n’altère.
(Parler de la couleur, bien sûr. – Superflu ! )

 
Extrait de Bouchères, Obsidiane, 2003.

« Bêtes, dans la lumière »

Qu’yeux par la nuit d’en bas précipités, bêtes
dans la lumière parues. Et que toute bonté…
Uniquement – ou si peu, poil roussâtre par devant entre les fils
agate bleuissant, appelant – silence qu’une colère ancienne blessa
en des ans de peaux rêches, boue terre séchée où montent
hargneux petits bonshommes durs à l’épieu. Mais que vienne
à marquer le noir du monde la lumière tressautant dans l’aval des
lointains, bêtes
alors revenues front et sabot, l’os
contre l’hivernale : nuit de toujours
qu’active la joie crue. Et que s’enlève, toute beauté
fondue dans le tréfonds de glaise d’une terre hardie
et tonifiée, la gloire ci-devant. Qu’yeux
la prunelle vive, proches bêtes le sang taurin à nos portes
meuglant, de toujours là sur la terre semblable, inférieures à
peine. Et que tâchent
de venir vers nous, défaite pivoine : mufle bas troupeaux
en la chiche lumière. Une voix qui appelle – appelle. Toute alarme !

 
Extrait de Territoire du coyote, Tarabuste, 2017.

« Parking de camions près d’un restaurant routier en semaine l’hiver »

La courbe des fumées là-bas, vignes
tirées à quatre épingles maintenant
qu’a cessé la pluie ses traits roides.
Traversé au matin le petit pays tourne
comme les ailes des éoliennes entre les arbres,
paysage toujours à reprendre et qui demeure
au bord du vide ; on brûle
les sarments de pré-taille – brouettes
adéquates : bidon en fait sur châssis
qu’on pousse entre les rangs, la pensée
qu’un d’ici – un an tout juste… Visage
soudainement qui rejaillit, vague espoir
après les séances de rayons, les vrilles
autant de fois qu’il faut tirer pour déprendre
le rameau sec des fils dans le jour
tant et tant de gris à travers quoi, implacable
écueil, la vie de loin crochetée au revers
d’un talus – la neige, ce qui subsiste
de l’oubli d’une saison, la sécheresse
à venir. Un matériel à l’écart : limons
jetés au cœur des rouilles.

 
Extrait de Territoire du coyote, Tarabuste, 2017.

« Mémoire du nombre »

Les années. Tant et tant, la fenêtre
derrière laquelle l’œil donnait sens, équilibre
aux balances – carrées, c’est dire ainsi. Quand là-bas
sur un banc piètent piafs et pigeons, esdéhefs qui s’épouillent.

Si ce n’est préhistoire, ça lasse co
mment dire autre, les journaux auxiliaires.
Manifolds tout exprès – l’inventaire
qui n’invente rien,

ou presque. Ligne à ligne,
biffé et c’est néant que néon au plafond ânonne, moindre fard.
Main courant en jargon, le coursier qui rapplique
un rien neutre, brouillard maigre en sacoche oh le temps
journalier, l’employée – ses mains froides, en poste aux
z’écritures. Le bustier raplapla, étrange partie double.

Brouillard de. Qu’est-ce
que donc, sinon au jour le jour
chiffres : apposés d’autant, la routine
(songeuse) à la roue relevée des recettes.

Tant sage (est-ce) des bilans bilitant, la cuisine à
toute heure. Tous ces jours ! Qu’à ramasser le temps
on perd pied, petite main – égrotante, chez les mouches,

et quant à l’intendance… Le scribe en s’en allant
gribouille, il a bâillé – ou s’il donnait à bail à qui suit
ce qu’il reste, un emploi de son temps qui le fit tant ployer

du côté fiduciaire. Allons. Nul ne sort de la botte
qui n’ait voix (au chapitre). De l’écrit au rescrit
le chiffre s’affadit. Pleine audience au corpus,

retour à qui de droit.

 
Extrait de Territoire du coyote, Tarabuste, 2017.

« Éoliennes sur champs de neige »

Les oiseaux reviennent. Grandes ailes au loin
brassant l’air sans relâche, tournant, que seul signale
l’ampoule rouge du phare tout en haut qui clignote, jette
autour sur le ciel l’éclat d’un vin clairet qui ne tache pas au sol
la neige amoncelée.
Fantômes à peine réels,
vigiles postés là aux confins, sans bruits ni heurts,
pas même quelque attache en ce monde, hormis un pied
hideux qui les scelle à la terre et dont l’œil se déprend, dès lors
que le regard prenant de la hauteur s’éloigne,
cherche l’ombre
où dans le jour qui baisse sur l’immensité enneigée
les ailes tournent et tournent, imperturbables
dans la lumière crue, sans prise sur l’hiver.

 
Extrait de Garder la terre en joie, Tarabuste, 2024.

Qu’il me soit donné, fruit d’une rencontre
imprévue, l’occasion de me glisser
dans la peau d’une musaraigne, aussitôt
me voilà en butte aux attaques du busard
soudainement enhardi par la venue du soir,
s’il ne l’est pas par ma taille infime.

Lui qui
battant des ailes, scrute depuis le ciel – snipper
foudroyant autant qu’imprévisible – la route
tout en bas où ne s’aventure nulle ombre.

Pas même celle dont je m’affublerai, dès lors
qu’il s’agira pour moi de disparaître entre les lignes.

Renfrogné le monde, de lui-même tenu
à être si peu de chose, sinon
rien.

Ce rien qui n’est pas rien.

 
Bibliographie (hors livres d’artiste)

  • L’empreinte de ton ombre, Éditions Chambelland, 1976.
  • Clous, Grand Prix de Poésie Printemps du Vendômois, L’Arbre de Lumière, 1978.
  • Initiales du temps, Prix Froissart, Cahiers Froissart, 1978.
  • Le Liseur d’arbre, Prix Jeune Poésie François Villon, José Millas-Martin Éditeur, 1979.
  • Ici.« L’Arbre », Jean Le Mauve, 1979.
  • Des poètes pour demain la soif, Présentation et choix, Les Cahiers de Noah, 1981.
  • Les commis, Éditions Folle Avoine, 1982 ; Réédition Le temps qu’il fait, 2007.
  • Jardins tout au fond du jaune les yeux, Thierry Bouchard, 1985.
  • Fenêtres la nuit vient, Bois gravés de Petr Herel, Éditions Folle Avoine, 1987.
  • Chevaux, Roman, Bourse de la Fondation Del Duca, Denoël, 1987. Rééd. Le temps qu’il fait, 2023.
  • La vache automatique, Fantaisie, Le dé bleu, 1989.
  • Dijon, Champ Vallon, « Des villes », 1989.
  • Ode à l’absence (encore) et à l’herbe du soir, Eau-forte de Patrice Corbin, Hautécriture, 1990.
  • Sales mouches, Eau-forte de Patrick Le Coq, Atelier d’Art Rougier, 1994.
  • Lointaine approche des troupeaux à vélo vers le soir, Éditions Folle Avoine, 1995.
  • Solitude des plantes, Histoires, Le temps qu’il fait, 1996.
  • D’une lettre déchirée, en septembre, Tarabuste, 1996.
  • Pas folle, la vache, Tarabuste, 1996 (réédité 2001).
  • De l’humilité du monde chez les bousiers, Obsidiane, 1996 (Prix des Découvreurs 1998).
  • La Vache (choix et présentation), Co-édition Le Muséum national d’histoire naturelle – Favre, « Le Bestiaire divin », 1998.
  • Le grand tournant, Récits, Le temps qu’il fait, 1998.
  • Vessies, lanternes, autres bêtes cornues, Obsidiane, 2000.
  • Honneur au fantassin G., conscrit en Meuse, Le dé bleu, 2000.
  • La grand’soif d’André Frénaud, Salutation, Le temps qu’il fait, 2001.
  • Bouchères, Obsidiane, 2003 (Prix Roger Kowalski – Ville de Lyon).
  • Aller d’amont, Éditions Virgile, « Suite de sites », 2004.
  • D’un pays pâle et sombre, Autres salutations, Le temps qu’il fait, 2004.
  • Le vélo de saint Paul, Histoires, Le temps qu’il fait, 2005.
  • Prévision de passage d’un dix cors au lieu-dit Goulet du Maquis, Obsidiane, 2006.
  • Jockey ! Gouaches de Ricardo Mosner, Atelier Rougier. V., 2006.
  • Maurice, in Les oiseaux de Sens, Photographies d’Emmanuel Berry, Le temps qu’il fait, 2007.
  • Rubrique terre, Contre-allées, « Poètes au potager », 2007.
  • Graminées, un cahier perdu puis retrouvé, Le temps qu’il fait, 2007. (Seize de ces poèmes traduits en tchèque par ailleurs par Ales Pohorsky).
  • Les larmes de Spinoza, Histoires, Le temps qu’il fait, 2009.
  • Petit Soleil, Prose, Circa 1924, 2009.
  • Noël hiver, Histoires, Le temps qu’il fait, 2010.
  • Le petit cheval d’Ostrava. Prose. Le temps qu’il fait, 2011.
  • Tashuur. Un anneau de poussière, Obsidiane, 2012.
  • Mémoire, ce qui demeure, Tarabuste, 2012.
  • Des laines qui éclairent. Une anthologie 1978-2009, Obsidiane/Le temps qu’il fait, 2012.
  • Petr Král, Présentation et choix des textes, Éditions des Vanneaux, « Présence de la poésie », 2014.
  • Lieuse, Histoires, Le temps qu’il fait, 2016.
  • Aumailles. Anthologie. Les Découvreurs, 2016.
  • Territoire du coyote, Tarabuste, 2017.
  • Pascal Commère, Présentation et choix des textes par Amandine Marembert, Éditions des Vanneaux, « Présence de la poésie », 2018.
  • Ainsi parle le mur, roman, Le temps qu’il fait, 2022.
  • Verger, etc…, illustrations de Joël Leick, Fata Morgana, 2022.
  • P’tite mouche suivi de Vers le Gobi, revue Ficelle, Rougier V. éd., 2023.
  • Aimer les vaches, in Cornes et mamelles (avec Pascal Dibie et Jacques Lacarrière), dessins de Pascal Boulage, Obsidiane, 2024.
  • Garder la terre en joie, Tarabuste, 2024.
  • Sortir des forêts, Histoires, Le temps qu’il fait, 2025.

www.letempsquilfait.com
www.lmda.net (Le Matricule des Anges) ;
www.ville-boulogne-sur-mer.fr/prix_decouvreurs
noirsanssucre.vnunetblog.fr/bleudepaille/
www.sitaudis (Pierre Le Pillouër) ;
www.poezibao (Florence Trocmé)
www.printempsdespoetes.com
www.terreaciel.free.fr(Cécile Guivarch)
www.poetesaupotager.over-blog.com
www.poesie.baz.free.fr
www.hapax-magazine.fr/
www.revue-secousse.fr
http://terresdefemmes.blogs.com (Angèle Paoli)
www.franceculture.fr
http://litteraturedepartout.hautetfort.com
http://blogs.mediapart.fr/blog/demandre
www.lacauselitteraire.fr
www.barapoemes.net

page proposée avec la complicité de Françoise Delorme


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