Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Etienne Paulin

lundi 28 octobre 2019, par Cécile Guivarch

Je suis né à Angers en 1977. Je n’ai qu’une seule passion : la musique et la poésie.

            Beauté

            I

je suis si bien ici
au centre de la nuit

au jardin j’entends bêcher
lentement

et je n’ai pas de potager
alors quelqu’un cherche un trésor

 

            II

le vrai bonheur est fait d’orages
de glissements
et de fruits enfantins

gouttelettes de soie
ciels et tierces étoiles

rosiers dans l’or fin de la nuit
statuette en amandes qu’aperçoit d’assez loin
le malfaiteur âgé

il se rend vers l’armoire
sans grande envie jette les draps à terre

ce n’est pas un objet qu’il recherche

            Châteaux

Le roi déclare qu’il est de marbre devant les faits : « Je croyais mes sujets
moins avares, j’ai peine à croire ce que j’entends. » Le chambellan perfide
baisse les yeux. Les vitraux des cuisines amoncelaient, par petits feux, de l’ombre
et l’écuyer sautait depuis la tour.

            *

Le roi ne se vêt plus
et glisse chaque nuit
aucun musicien ne l’entend

mal faire est-il mon but ?
j’espère abandonner.
ma vie c’est geindre, clairsemer

            Dans l’échoppe matinale

de l’azur pour l’aurore
des seins pour l’amazone
du pétale pour la ténèbre
du triste de l’édenté
du jaguar à vapeur
du désolé par briques
c’est tout ce qu’en dirait l’orfèvre

            Siphon

mon œil a roulé dans l’évier
je ne sais pas si j’ai bien vu

mais tous les bruits sont apparus
en perles sur le carrelage

par où va la mémoire
jour d’encens
procession
chevaux gris

            Disparition

tous les papillons sont imprudents sauf un
il marche devant moi
il a des yeux de femme de chambre
et guette tout.
il faut que je l’embrasse.

            Échangeons
                        poésie, temps qu’on vole aux journées bêtes

la poésie comme quelqu’un qui se souvient pour toi
les terrains vagues
le ciel indifférent qui voguait jusqu’aux bruits
les enfants dansaient fort
ma cachette est un buisson

toi tu es riche désormais
je le vois bien
tu prends des airs
tu ne balbuties plus
tu n’as pas moins de trois autruches domestiques
tu sers la main mollement
il te reste un peu de nostalgie sûrement
prends-en soin

            C’est malin

si tout se passe comme prévu j’écrirai mon poème
il aura le goût des steppes et de la crème
il voulait dire Schumann
quand la mort rend les armes
une voix d’oiseau bleu

            Hommage à Philippe Soupault

j’habite la pépinière
à gauche de l’herbe
à droite de l’eau
viens quand tu veux
je construis des barques des vapeurs
des remorqueurs des brise-glaces
prenons la mer
passe par les champs
je serai déguisé
en mort en pélican
tes ongles seront écarlates
voyageons toujours
même à pied
mieux que nus
j’ai emprunté hier un pont qui ne s’est pas effondré
je me suis demandé combien d’épines avait un sapin majestueux
j’ai regardé du linge cuivré
gonflé de vent
dans le jardin d’un pavillon particulier
j’ai cueilli un bolet ventru comme un sommier
j’étais d’accord avec tous les silences
j’ai retrouvé dans la forêt le train fantôme
il n’était pas intact
ses âmes avaient maigri
l’une souffrait de dysenterie
j’ai décidé d’être gentil
même avec les ramures

            Meurtres invisibles

            I

qui êtes-vous les rails
vous dévorez notre mémoire
je crois que vous n’aurez jamais d’amis
mais vous pouvez compter sur moi

on pressent la gare
de la rouille parmi les bosquets
la multiplication des rails
un pont de fer vraiment faible des reins
parle à des cours d’eau minuscules
chaque arbuste moussu
voudrait tomber à l’eau
mais rien ne bouge vraiment
si
une corneille rapplique
elle a les cheveux ras
et vient quand il fait sombre

pauvre corneille
broyée par tant de rails

 

            II

entendez-vous le bruit des trains
lorsqu’ils se croisent
c’est presque un choc
ils se frôlent et je me demande
frôler, est-ce toucher ?
ce sont deux poignards
et leurs lames ne rentrent pas dans le manche

quand deux trains se croisent je pense à la mort
dans ce drôle bruit de sirène
j’imagine sans peine comme on se rencontre
collision
même le mot fait du bruit
alors on se retrouve dit la mort
comme si nous l’avions cent fois croisée

cependant nous suivons les rails
pour l’heure
nous avançons beaucoup
le train s’éloigne du sourire de mon grand-père
la lune vend du cuivre
le bonheur court dans les fourrés très invisibles

et voici délivrée
la mélancolie : une lave de regrets
confits
des roses beiges
petite nuit folâtre


Bibliographie

J’ai publié à ce jour neuf recueils de poèmes :

  • Tuf, toc (Polder de la revue Décharge, 2010),
  • Voyage du rien (Henry, 2011),
  • Extrême autrui (Henry, 2012),
  • Copeaux d’un cirque (Contre-allées, 2012),
  • Mort d’un pétale (La Porte, 2013),
  • Contours du piège (Lanskine, 2014),
  • Le Derrière du ciel (Henry, 2015),
  • 30 poèmes (Henry, 2017)
  • (Gallimard), 2019).

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