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Sylvie Nève

dimanche 3 avril 2016, par Roselyne Sibille

(Photo Michel Céoara)

Sylvie Nève, poète, a collaboré depuis 1976 à de nombreuses revues de poésie, et publié une dizaine de recueils. Pratique la lecture publique, seule ou en duo, avec J.-P. Bobillot depuis 1978, avec la percussionniste Sylvie Reynaert depuis 2008 ; plusieurs fois invitée à « Polyphonix », aux « Voix de la Méditerranée » à Lodève, au Festival de théâtre de Blaye, aux In
Elle a traduit les Congiés de Baude Fastoul (XIIIe siècle) ; avec Jean-Pierre Bobillot, elle a traduit et adapté les Congiés de Jean Bodel (XIIe siècle), et les Vers de la Mort d’Hélinand de Froidmont (XIIe siècle).
Elle a inventé une forme poétique, qu’elle a baptisée poème expansé, combinée avec le principe de réécriture, elle a entrepris sa version de Poucet, puis de Peau d’âne ; Poème du petit Poucet (éd. Trouvères&compagnie, 2007) ; Peau d’âne (éd. Trouvères&compagnie, 2008), puis Barbe bleue (éd. Trouvères&compagnie, 2010) ; En Mer en Vers, d’après Maupassant, etc…
Collabore régulièrement avec des compositeurs : Éric Daubresse pour Bande de Gaza (oratorio, 2007), Vincent Wimart pour Mélian, chevalier-loup et Barbe bleue (2009, 2011), Emmanuel Séjourné (Alcyan, 2012, Ode à Oum Kalthoum, 2013)…


« Il était une fois…

Depuis 40 ans, Sylvie Nève vit et travaille à Arras, ville-berceau de la poésie française entre Jean Bodel, Baude Fastoul et Adam de la Halle. Poète, médiéviste, psychanalyste, son travail actuel la mène autant à mettre en vers le Petit Poucet, Barbe Bleue ou Peau d’âne, qu’à écrire sur la chanteuse égyptienne Oum Kalssoum et sur Gaza… « devenu un bruit du monde ».
Depuis 1978, Sylvie Nève donne à entendre ses textes sur scène, dans les théâtres, les musées ou les lieux les plus insolites. Partout, elle impose une douce et violente présence. Celle de la poésie. Celle d’une femme qui n’abdique rien… »
Hervé LEROY, À mains nues… La voix

Extrait de Barbe-Bleue

(…)
L’homme mûr
aime la musique du luth et la jeunesse
l’homme mûr
aime les doigts de la jeune fille
sur les cordes du luth
l’homme mûr
aime la musique et la jeunesse
de la plus jeune
l’homme mûr
aime les doigts de la jeunesse
sur le corps
du luth.
Murmure l’homme…
Que dit-il
que dit-il à la plus jeune
que dit-il aux doigts graciles
aux mains pubères et musiciennes
l’homme est sûr de son murmure
il murmure
belles phrases habiles
sur le corps
et sa musique
ouïr dit-il
et touche la jeune fille
aux doigts savants
lui sait
séduit
et touche la jeune fille
à un doigt du cœur qu’il sait
ouvrir…

Ouïr dit-il
elle sourit
fouir dit-il
elle rit, elle rit
elle rougit !

Ah rougiront
joues
cuisses
draps…

C’est la Barbe bleue
c’est la Barbe bleue
pas si bleue…

C’est la Barbe bleue
palsambleu
amoureux ?

Extrait de Peau d’Âne

Une fille
douce
douée
une fille
douce
et douée
douce douée
de tant de grâces
et de charme
– oh l’unique fruit
de leur consentiment !

Il était une fois, bonheur, magnificence, union parfaite
tendre hyménée, magnificence
belle enfant, seul fruit
de ce mariage, si douée, charmante
et belle, et un palais, et des ministres
sages, habiles, vertueux
et courtisans, et abondance
et fidélité, sagesse, vertu
et un âne.

Un âne
pas comme les autres
un âne
hi-han
ne chiant
pas comme les autres
un âne
chi-ant
magique-ment
en ce temps là
un âne
hi-han
chi-ant
nulle
ordure !

Il était une fois, royaume, amour
mariage, rondeurs fécondes
zézaye désir zéphyr doux
il était une fois, joyaume, mamour, aria
l’alliage beau, duo, et fées
condité, crudité, zestes
balbutie brise légère
frissonne mamour
entonne l’arioso
poils, cailloux, princesse
assonne souffle d’hiver
bijoux fondront comme neige
cailloux tomberont du ciel
pousseront cheveux sur la langue.

En ce temps, l’âne
pas comme les autres
l’âne du roi
l’âne proprement ne rit
mais chie
de l’or…

Extrait de Poème du Petit Poucet

Vent dans les arbres branlants l’hiver croasse
braises crissent dans la cheminée flamme récite
sortes de comptines lentement.
Moqueries renouvelées des plus grands.

Il était une fois l’embuscade d’une araignée,
tous les rats d’alentour.
Il était une fois, au bord de la forêt,
un homme et une femme
bûcheron, bûcheronne
et leurs sept enfants
– bien trop
jeune, chacun, pour gagner sa vie.

Une année la famine…

Cette année-là, on entendit
crier famine
nulle fève, nulle rave, nul chou
aux abords de la maison
au fond des forêts, nulle châtaigne
la cigale ayant chanté tout son saoul
cette année-là, famine fut
nulle fève, nul chou
la farine aussi vint à manquer
la famille était grande, sept enfants
nulle soupe, nul sous
la cigale ayant chanté tout
la famille était si grande, cette année-là
la famine fut si grande que
la famille était la famine était si grande que

« Femme, dit le bûcheron, le cœur
serré de douleur,
tu vois bien
tu n’as rien
ton cœur c’est
tout
donner à manger
à nos enfants
le cœur
c’est pas tout
nos enfants
je ne saurais les voir
mourir de faim
nos chers fils
nos enfants
les serrer à contre
--cœur mes fils
mourant de faim
mes enfants…
Je suis résolu de les mener perdre,
je suis résolu de les mener perdre au bois
nos enfants. »

« Ah ! s’écria la pauvre femme,
toi-même, perdre tes enfants !
Tu ne saurais les voir
de faim mourir,
mais tu pourrais les mener
perdre dans la forêt ?
Comment peut-on
comment mener perdre
perdre ses enfants ?
Pauvre, je suis leur mère ! »

Extrait de Bande de Gaza

Foule d’enfants hante l’Orient désorienté.
Leurs mains défont la bande de gaze
qui entortille la momie du monde
...

Les mères, folles de Yalta, chantent :

Bleu, bleu gazaoui !
tout le monde est à peu près
une tour de Babel a remplacé
tout le temps d’imaginer.

Les Anciens imaginaient la terre
une tour de Babel a remplacé le temps
tourne babil au centre du monde
plus le temps d’imaginer la terre
d’imaginer le bleu.

Tout le monde est à peu près
une tour de Babel,
tout le monde est à peu près
tout le monde autour
tout autour
de Gaza
le temps d’imaginer autour.

Imaginez le monde !

Extrait de Suite en sept sales petits secrets

Tantôt j’ébruite le père
tantôt j’ébruite la mère
j’ébruite les petites culottes, les pissenlits
les noms même, des fois, que j’ébruite.

Tantôt j’énumère :
pépites tricot de corps
pépites cabane à lapins
pépites chaudes
pépites sentiers derrière
pépites cimetière allemand
pépites
répète après moi de ne jamais dire
pépites
pépites
crépitent dans le noir pépites que j’ébruite
tartines trempées dans la
DS du voisin le dimanche pour aller à

Entre chien et loup, me permets bien des choses
comme disait ma mère,
pipistrelles palpitent sur mes paupières,
répète après moi de ne pas :
« La nuit la nuit tous les chats sont mauves
la suie, toute la peau
la vie, tous les insectes sont familiers
surtout dévalant les terrils ».

Les terrils, par exemple
qui sont dans ma vie
grains de beauté crevant les champs
collines de noir sur la plaine
paysage de charbon revenu du fond
de la mémoire d’homme
montagne de nuit en plein jour
et quoi encore.

Extrait de Poèmes expansés

Arthur Rimbaud, quelle surprise !
Circulerait-il pas cette étonnante nouvelle :
on dit probable votre venue à Arras !?
Vous voulez revenir à Arras ?

En train , comme la première fois ?
Mais seul ?
Pensez-vous y séjourner plusieurs jours ?
Mais après, dites, partons-nous toujours pour Aden ?
Vous n’avez pas oublié ?
Ce voyage dont nous sommes convenus depuis un certain temps…
Descendrons-nous bientôt les fleuves impassibles ?
Verrons-nous fermenter les marais énormes ?
Chemin faisant, me direz-vous pas la couleur des voyelles ?
Et la rivière de Cassis, est-elle sur notre route ?
Que trouverons-nous à Aden ?
Je ne suis pas sûre de supporter son climat – l’âpre caillou comme vous disiez dans vos lettres ? Non, pas l’âpre caillou, pire, le roc affreux !
Pourquoi y retourner alors ?
Regrettez-vous encore votre négoce en Afrique ?
Serait-ce pas l’Arabie qui vous attire enfin ?
Harar, Arras, Aden…
Est-ce de la poésie ?
Arras, Fampoux, Ardennes…


Bibliographie

A publié, principalement :

  • Anonismes, Le Lumen, Beauvais (1980 : vers, prose, photographies)
  • Effraction (les sales petites rides), Brandes, Béthune (1986 : avec J.-P. Bobillot ; vers)
  • Une Descente aux enfers, La Poire d’Angoisse, Boulazac (1986 : prose, photocopiages)
  • Poésie syllabique (fragments), La Main Courante, La Souterraine (1991 : avec J.-P. Bobillot ; vers, arithmogramme ; intervention plastique de Jacques Taris)
  • L’Homme qui sue, Ed. de Garenne, 1991
  • Chichi le chevalier trempé, Cordialité de la rouille (1991 : avec Michel Valprémy)
  • L’Écume des Mots — petit lexique à quatre mains, Plein Chant, Bassac (1992, avec J.-P ; Bobillot ; proses ; 7 écumes de Jean-Luc Brisson)
  • De Partout, Les Contemporains, (1992)
  • Les Congés de Jean Bodel « entremis » de l’ancien français, Centre Régional de la Photographie Nord/Pas-de-Calais, Douchy (1993 : avec J.-P. Bobillot ; traduction ; photographies de Marc Trivier)
  • PoèmeShow — textes de scènes [+ CD], Les Contemporains favoris (2000 : avec J.-P. Bobillot ; textes de scènes + cahier photographique)
  • Suite en sept sales petits secrets, L’Atelier de l’Agneau (2001)
  • Érotismées, L’Atelier de l’Agneau ( 2006)
  • Poème du Petit Poucet, Trouvères&compagnie ( 2007)
  • Peau d’âne, poème expansé, Trouvères&compagnie (2008)
  • Mettre des mots sur ça, L’âne qui butine (2008)
  • Poèmes expansés, Voix éditions, (2010)
  • Barbe bleue, Trouvères et compagnie, (2010)
  • Bande de Gaza, L’Atelier de l’Agneau (2015)
  • En Mer En Vers, Les Contemporains favoris, à paraître (2016)

Sylvie Nève a participé à une « création à seize mains » : T’es qui toi ?, un livre jeunesse, pour les 6/12 ans paru en décembre 2015 dans la Collection Clotho des éditions Moires. Un projet du Glob Théâtre.

Pour en savoir plus : http://www.leseditionsmoires.fr/paysages-nomades-3.html


(Page établie avec la complicité de Roselyne Sibille)


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