Né en 1958. Vit à La Madeleine, dans l’agglomération lilloise.
(photo : Florence Trocmé)
Extraits de Le début des pieds, Atelier La Feugraie, 2010
et nous croyons que c’est un effondrement sur la route alors qu’il ne s’agit que de notre propre effondrement à venir
nous voyons cet effondrement du monde comme s’il était séparé de nous alors qu’il ne s’agit que de notre propre effondrement – nous sommes séparés du monde
peut-être est-ce quelque chose du monde qui ne vient jamais jusqu’à nous
et nous laisse désemparés et meurtris
d’être un peu plus au bord
nous n’avons pas de solution
nous ne pouvons que mourir d’être là
et prendre dans cette disparition l’élan de monter jusqu’à nous
*
je regarde les effondrements
je crois que je suis seul à les voir
ainsi allons-nous chacun à son bord
nous n’allons pas plus loin
ce doit être une question de vertige
*
nous ne pouvons réduire la durée que dure notre vie
quels que soient les élastiques que je me mets dans les yeux
je ne réduis pas le temps
je ne me réduis pas
il n’y a rien à résoudre
Extraits de Monologue, Champ Vallon, 2012
chacun nous vivons avec des polyphonies intérieures auxquelles nous n’accédons pas toujours, comme si nous demeurions seulement à l’écoute de nous-mêmes au lieu de nous ouvrir aux paroles qui nous traversent et que nous ignorons le plus souvent
car il nous est difficile d’ôter le masque où nous vivons, à cause des peurs qui brûlent notre visage et de l’impossibilité que ce serait de vivre tel que nous sommes, dans une chair à vif hideuse et brutale
peut-être ne meurt-on pas chacun pour soi, mais les uns pour les autres, ou les uns à la place des autres, puisque dès qu’elles tombent des voix tombent en nous
voilà parfois qu’on découvre sous la sienne une telle voix, non pour faire un travail de deuil, expression idiote dont l’apparence laisse entendre qu’on puisse l’effectuer, c’est-à-dire s’en défaire, quand il aurait été habilement réalisé, et truquée, car on ne fait rien dans un deuil qui ne fasse que la douleur vous fasse, à travers la combinaison du temps qui passe et du temps qu’en vous cette douleur a figé
godeleine ma petite sœur c’est ainsi que je te rejoins, chaque jour de ma vie, en la peuplant des peurs qui l’assassinent, je ne peux faire autrement, et chaque fois que j’essaie ça ne dure qu’un instant, un instant d’oubli, tu as grandi au milieu de mes peurs et ne les as jamais cachées, pas plus que tu es venue me prendre par la main comme lorsque j’étais petit pour me rassurer, me dire que tu étais là, tu m’as laissé seul et depuis que tu es morte je vis seul au milieu de mes solitudes
Extraits de josé tomás, Unes, 2014
que dire d’un homme défait de toute idée de suicide que son immobilité placerait dans la possibilité de sa mort ? que dire d’un homme qui calculerait cette immobilité de sorte qu’elle soit transformée en un geste artistique ? et que dire d’un homme qui offrirait dans ce geste une émotion qu’il chercherait à transmettre à ceux qui ne peuvent l’éprouver ?
on pourrait dire que c’est un fou – il ne l’est pas – ou un illuminé – il ne l’est pas – ou un mystique – il ne l’est pas - : ce n’est qu’un homme, comme vous et moi, qui aime la vie, mange, boit, a une famille, des personnes qui lui sont précieuses, des goûts des dégoûts, qui pense à hier ou demain, et se prépare autant qu’il peut à ce qui deviendra le présent
nous allons tous au présent : c’est la rançon de la vie ; mais pour un tel homme, plus que pour moi, certains présents l’obligent à risquer ce qu’il est : ce n’est pas dans le principe de ce risque qu’il m’éblouit, car le premier suicidé ferait mon affaire, mais dans la conscience avec laquelle il se risque à ce risque, or pour avoir cette conscience, je suppose qu’il faut se débarrasser de soi autant qu’être en soi tout entier : s’oublier pour être pleinement soi
Extraits de zambèze, Unes, 2015
je ne descends pas le zambèze
c’est lui qui me porte
jusqu’à la capacité de voir sans moi
je ne quitte pas le bout de ma peau
les seules images que j’admets
sont celles de mes yeux qui vont
dehors et puis dedans
nul besoin de pente
il suffit de soi
nous descendons les couleurs du zambèze
la vie qui fait qu’on y est soudain bien
entre son enfance et soi
costume d’éléphant sur la berge
album moisi des vilains crocodiles
je ne sais que faire
de ce temps
sorti de son périmètre
ou du zambèze dont l’hiver déborde dans mon cœur
mon silence ne se disperse pas
dès que je peux repartir
j’ai envie de rester
d’ici, Atelier des Grames, 2016 ; si décousu, Unes, 2019
d’ici je vois la mer
je vois toujours la mer
qu’ici soit ailleurs
elle se déplace
par le fond de mes yeux
*
mer ou digue ou barque
dans ces mots le vent
des images vaines
soulevé pour qui
le poids à peine
de ce qui est enfoui
*
par-dessous la mer étalele dépôt de ce qui a passé
silence minéral
volume inerte
trous de vie
*
on arrange les surfacespour dire qu’on est là
un pied sur le béton
trajet simple des pas
qui nous soustrait à nous-mêmes
Extrait de La Digue, Editions Unes
On a besoin de soi pour aider à se supporter, et dans
le même temps on se trouve encombrant ; ce qui pourrait
empêcher ou permettre de mieux marcher on n’en sait
rien ; le plus simple c’est quand on fait la digue sans s’en
rendre compte : une fois qu’on est rentré, on s’aperçoit
qu’on n’a pas vu la mer, elle traînait là pourtant, à côté ;
ça n’a rien changé.
Extraits de Pensées des morts, éditions Tarabuste
Ils pensent :
nous ne disparaissons pas
nous continuons par notre absence
nous sommes passés dans la complication des autres
nous ne quittons notre monde que pour entrer dans le
leurnos vies leur mangent le ventre
nous devenons de la chair
ils vivent par nous
*
notes, fragments, poèmes, bouts de tout, mais en serrant
les dents comme un crâne, bien serrer les dents pour lâcher
le moins, le moins le mieux, on a beau penser à sa santé,
trop de forme vous tuesales petits morts qui ont laissé des mots partout
comment tirer une forme non tronquée d’un tel état de
décomposition, d’où que forme libre si forme libre possi-
ble en cas de non tronquerie ou non décomposition de
soi-mêmeils en sont venus aux vers
Principales publications :
- La digue, Unes, 1995, rééd. 2018
- Barque bleue, Unes, 1998
- Ciels, Unes, 2000
- Pensées des morts, Tarabuste, 2003
- 69 vies de mon père, Champ Vallon, 2006
- plomb mobile du plomb, Atelier des Grames, 2007
- si mal enfouis, éditions Potentille, 2007
- un petit viol/un autre petit viol, Champ Vallon, 2009
- le début des pieds, Atelier La Feugraie, 2010
- Eugène Leroy, autoportrait noir, Invenit, 2011
- monologue, Champ Vallon, 2012
- josé tomás, Unes, 2014
- ligne 4, Le Square éditeur, 2015
- zambèze, Unes, 2015
- langue trou, Les Inaperçus, 2016
- si décousu, Unes, 2019