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Yannis Ritsos

samedi 28 septembre 2013, par Cécile Guivarch

Présentation

Il est né en Grèce, à Monemvasia, le 1er mai 1909 et mort le 11 novembre 1990 à Athènes.
Cadet d’une famille de grands propriétaires terriens, sa vie est marquée par la mort de la mère et du frère aîné, la folie de la sœur et du père qui provoquera leur ruine économique, et la maladie personnelle qui lui vaudra de fréquents séjours en sanatorium. Il adhère au Parti Communiste Grec à la fin des années 1920.
De 1948 à 1952, époque de guerre civile, Ritsos est déporté pour ses convictions politiques dans les îles de Limnos, Makronissos et Aï-Stratis, en même temps que toute une génération qui y fut emprisonnée, battue, torturée, exécutée. Mais il écrit toujours, tant bien que mal, secrètement, des poèmes tels que ceux du Journal de déportation, de 1948 à 1950, interrompu en 1949 par l’écriture de Temps pierreux. Les poèmes sont enfermés dans des bouteilles et enfouis dans la terre.
En avril 1967, c’est le coup d’État des Colonels. Ses amis conseillent à Ritsos, de retour d’un voyage à Cuba, de se cacher mais il ne quitte pas sa maison d’Athènes. Il est arrêté le matin même et envoyé à la fin du mois sur l’île de Yaros, un grand rocher sans arbre et sans eau, infesté de rats. Il sera ensuite transféré sur l’île de Léros puis placé en résidence surveillée à Samos. Pendant tout ce temps, il continue d’écrire plusieurs séries de poèmes, toujours en cachette, regroupés sous le titre Pierres Répétitions Grilles.

(biographie sur le site Ypsilon éditeur)

[lilas]Extrait de secondes éditions Po&Psy[/lilas]

Il tient le vent par la main.
A deux ils peuvent aller où bon leur semble.
Ils ne vont nulle part.
Restent immobiles en silence
se cachant l’un l’autre

[lilas]Extrait de Journal de déportation éditions Ypsilon[/lilas]

8 décembre

Jour calme. Une table vide.
Je vois les choses comme elles sont.
J’ai les mains dans les poches.
A qui dire merci ?

*

J’ai gardé sous l’eau tiède de la nuit
la main du sommeil et la sensation de l’oubli
le contact de la couverture et du mur.
Si on soulève le drap
on ne me trouve pas.
Cherche, pour me trouver – ne comprends-tu pas ?
je suis plus en dedans.

*

Il y avait deux verres sur la table
un tabouret dans un coin
l’ombre d’une main qui aurait cueilli des fleurs
une ombre partagée entre le lit et le plafond
j’ai oublié je n’ai pas eu le temps de voir
rien que l’ombre d’une fenêtre qui ne s’est pas ouverte
sur le mur blanc
et la main qui n’a pas cueilli de fleurs
la main qui s’est coupée dès les premières secondes de lune
tombant au milieu du chemin dans l’eau boueuse
près de la roue brisée du fourgon postal

*

Une mandoline un ange en colère
un verre d’eau la cigarette
le son qui nous lie un instant hors de la solitude
pour nous séparer encore sans dire bonne nuit.

Et puis, les yeux qui percent deux trous dans le mur.

*

J’ai planté un arbre. Je le ferai grandir.
Quoiqu’il arrive, je ne reviens pas en arrière.



[lilas]Extrait de Monemvassia[/lilas]

29. Anatomie

La pierre ; et ce qui a précédé la pierre. C’est peut être en partant de là
que nous nous sommes mis en route,
une nuit, alors que nous ne savions absolument pas ce qu’étaient le jour
et la nuit,
ce qu’étaient la séparation, la division ou l’union. Sur la pierre muette
il y avait Pétros et la statue, l’obstination et l’escalier,
l’escalier de marbre de la Tour, et ce Sublime qui ne cesse de s’élever
quand tout s’effondre autour de lui. Dans les chambres du haut
était assis le vieillard à la barbe vénérable, auprès du lit nuptial
recouvert d’une étoffe splendide, au milieu de scènes de combat naval.
Sa main,
Longue, osseuse – des doigts tout en nœuds - ; ce qu’elle touchait
- le mur, le genou de la morte ou le rideau rouge –
rendait un son évident, s’approchait en s’éloignant, était nettement perçu.
Sur le toit,
la cheminée avec sa lourde fumée était l’oiseau le plus léger.



[lilas]Extrait de Substitutions[/lilas]

Ignorance volontaire

Pierres sculptées, dessinées, - la femme
aux longs cheveux dénoués ; le beau garçon
comme il incline bien le front ; le prince dans son élégance
a perdu l’une de ses sandales entre les lys ; la vieille femme
sourit encore à ses enfants absents. Moi
je ne sais pas ce qui me manque – quelque chose de vaguement
précis –
de sorte que je ne sais pas où ni quand sourire



[lilas]extrait de Le chef-d’œuvre sans queue ni tête[/lilas]

car il faut le savoir la naissance est une chose étrange dont
on ne vient jamais à bout
ou qu’on oublie en cours de route & te voici qui recommences
comme si rien ne s’était passé
voici qu’en plein été le souffle de la terre te frappe à nouveau
les narines
& tu éprouves du regret pour toutes morts
& tu serres bien ta ceinture & les lacets de tes chaussures
& tout est exaltant & incompréhensible comme des carottes
Fraîches



[lilas]Extrait de Temps pierreux – Makronissiotiques éditions Ypsilon[/lilas]

Ils nous ont enfermé la bouche, camarade.
Ils nous ont enfermé le soleil.
Nous n’avons pas dit notre chant –
celui qui commençait simplement, fortement, amèrement :
Prolétaires de tous pays, unissez-vous.

La nuit quand une lune illégale et muette monte à l’horizon,
l’ombre d’une énorme béquille s’inscrit sur le rocher de Makronissos.
Cette béquille, nous devons en faire une échelle,
dit Vangélis, penché à l’oreille de Pétro
comme s’il disait le premier vers de notre chant futur.

Nous avons tardé, camarade. Nous avons trop tardé.
Nous devons dire notre propre chant.



[lilas]Extrait de Tard, bien tard dans la nuit, éditions Le temps des cerises[/lilas]

Le même étonnement

Des plantes grimpantes ont enveloppé la maison, bouché les fenêtres.
On ne peut regarder qu’à l’intérieur – une table carrée,
un dé à coudre, un cendrier, des heures immatérielles
circulent entre les meubles. De temps à autre, tu te souviens
des graines de coton – ces vieilles qui serrent dans leurs doigts secs
le blanc profond qui leur reste de mille tourments.
Et parfois, tout au fond de l’inconnu, on entend
le « ah » vibrant de la montagne. Et voici que tu interroges à nouveau :
que peuvent bien manigancer à tes dépens les nuits à venir ?



Ecoute

Lectures de Jean-Jacques Marimbert

Sur le port

Mise en voix de textes (poésie, prose poétique, prose) J.-J. Marimbert - YouTube

Avec le vent

Mise en voix de textes : Avec le vent (Yannis Ritsos) - YouTube

Le chef d’œuvre sans queue ni tête

Mise en voix de textes (poésie, prose poétique, prose) J.-J. Marimbert - YouTube

Dos tourné au soleil

Mise en voix de textes (poésie, prose poétique, prose) J.-J. Marimbert - YouTube

Autres liens

Le site de Dominique Grandmont
Trois poèmes de Yannis Ritsos par François Amanecer
A écouter sur France Culture
Article de Jacques Décréau sur le site La pierre et le sel
Un article de Jacques Ancet sur Aujourd’hui poème
Un article de Veneranda Paladino sur le site Les lettres françaises
Des extraits sur Poésie, muzik, etc.
Des extraits sur Les carnets d’Eucharis
Des extraits et une présentation de Marie-Cécile Fauvin sur Recours au poème


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