Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > Terre à ciel des poètes > Sereine Berlottier

Sereine Berlottier

samedi 11 janvier 2020, par Cécile Guivarch

Sereine Berlottier lit, vit, écrit (& travaille) en zone inondable. Elle a publié des récits et des livres de poésie, notamment Ciels, visage, (Lanskine, 2019), Habiter, traces & trajets (Les Inaperçus, peintures de Jérémy Liron, 2019), Au Bord, (Lanskine, 2017), Louis sous la terre, (Argol, 2015), Nu précipité dans le vide (Fayard, 2006) et a contribué à de nombreuses revues. Elle est membre du comité de rédaction du collectif Remue.net et participe à des lectures publiques ainsi qu’à des projets collectifs.
Son site personnel : https://sereineberlottier.net/

Extraits de Ciels, visage (Lanskine, 2019)

formellement
naît par la tête

dans la vision
couché au fond d’une barque
entre les joncs, les lianes

tel que paisible :
mobile, diffracté

(écoute)

– clapotis fendus aux rochers – déchirés
soudain net par

cœur

***

sur le chemin discrète
inclinaison de la preuve

(ne pas lire pieuvre car tout peut couler à l’envers)

étroitement
mais pâle encore

et en silence

pari noué
dés avalés

***

émergence mobile
sinueuse
falaise peau dans le ciel

face et dos confondus
pour le noyau d’abstraction et précise douleur

tambour sauvage, oracle imprécis
forme infra-mince du souffle

séparation étant l’origine de toute chose
cette paillette de cœur affolé
mousseuse
(...)

et que circulent encore les voix, souples
cet animal intérieur, son chemin
feuilles et vent, lenteur
un couple de pigeons ramiers dans les branches
peur de la nuit, peur de la non-nuit
le oui est indivisible
dans le lieu vivant de l’écoute
si la question est un fruit, finira par tomber sur le sol ?
qu’en ferait-on de plus ?
je te donne la vie
pense à cette phrase, à son écorce
(et pas la mienne)
(pas la tienne non plus)
un rideau qu’agite le vent d’orage au bord d’une fenêtre ouverte
une ombre – rien
un passage d’ombre plutôt
je porte mes mains au bord de cette question
passer par le chas d’une aiguille
nommer l’empreinte, précédée par son impatience
sans oublier la peur sous le dé

Extraits d’Habiter (Les Inaperçus, 2019)

Lieu favorable

d’abord il y a très peu des choses
le dessin est flou
ça se précise
les murs
pierre et bois
la marque du crayon de papier sur le bois

*

de mémoire presque rien

une mare
deux mares

une certaine sécheresse de la voix
au détour du chemin

c’est une petite route
tu ne conduis pas

les arbres sont fins
de ce côté-là
cerclés d’espérance

*

près de cette maison
des arbres poussent seuls
dans leur absence de nom
des choses tombent
et même de petits animaux mourrissants
parfois un bassin étroit
où regarder
des corps
les tiges lourdes d’intentions
que le paysage suppose

*

le soin qui entoure les arbres a disparu de l’image
l’odeur de la pâte de coing aussi
de mémoire d’arbre le tronc pas plus épais qu’une cheville d’enfant

*

la vie peut disparaître dans les congères
le petit chien
enseveli
croître et persévérer

*

tas de bois
murs de pierre
au bout du geste
à l’intérieur de soi
la forme de la maison est complète
dissimulée au bout du chemin
bordé par les arbres

*

de dos à la baie vitrée
l’ombre d’un homme
carnet ouvert
champ
une profondeur silencieuse
non retouchée

*

sans aucune vue d’ensemble
reflets aux vitres
une balançoire sous la neige
verte et blanche
un cœur rouge
suspendu
à contre-jour
le reflet sourit blond
traversant
barrière en bois protégeant les arbres
le puits couvert
d’un toit en tuiles rouges
sans aucune vue d’ensemble
pierres apparentes
d’apparence massives et chaudes
mêlées au bois qu’elles supportent
à l’intérieur
le cœur rouge tremble contre la main qui s’avance
les couleurs ne sont pas tranchées
tous les détails sont là

 

Extrait lu par l’autrice, à écouter en ligne

Extraits d’Au bord (Lanskine, 2017)

Enfances
                chacun trace son cercle
sur le sol
parfois il n’y a plus de
place
                 parfois les cercles sont piétinés

Étincelles sur une eau si
blanche qu’elle se mêle au ciel
sans séparation
traversée des branches du
figuier
n’échappant pas à la brûlure
sauf à observer longuement
cette bande plus sombre au
loin habitée d’une
durée invisible

Il n’aurait pas fallu compter
sur la chance, le hasard
l’inversion des signes

Toutes ces fleurs que j’apporte
dans leurs papiers de couleur

ne sont pas celles – j’y pense aussi –
au bord des yeux, si elle recule

*

Debout mais
plus grande couchée moins
atteinte tout
recommence

Curieusement les oiseaux survivent les
fleurs survivent les arbres ne sont
pas arrachés ni la toile d’araignée
dans l’angle du volet secoué

L’écume vise
l’obstination d’une parole
que la répétition
ne désagrège pas

revient
sans venir à bout d’une
phrase
qui dirait
l’épuisement
du rivage

mère-vague et tempétueuse

*

On ne dit pas tout ce soir
Aux arêtes du cube où nos reflets se croisent

Tu n’apparais nettement que de t’éloigner
Non pas ensemble mais bord à bord

Ventre immergé près d’une main qui écoute
Qui fait ce qu’elle peut à quoi bon les dates ici ?

Oubliant le nom des plantes nécessaires
J’arrose encore

Dans cette absence
Où le muguet a séché

*

Les nouvelles ne sont pas
Mauvaises pourtant

Avoir à dire je reviendrai et je suis
Revenue plus tard

On n’attend pas
Il y a des choses pour les yeux

Dans le sac et le ventre
Et même des fleurs

Dis-moi ce que je n’entendrai plus
Jamais, main, main encore

Sans rien qui bouge ni les nuages
C’est différent

Il faudrait ne pas tant parler
Mais personne ne ferme les yeux

On regarde la pluie
Et cette plante qui tient si bien

Sur le balcon tu dis
Une vivace ça tient des années

 

Visionner un vidéo-poème d’Au bord, composé sur des images de Sébastien Rongier et une musique de Jean-Yves Bernhard, au saxophone, extraits lus par l’autrice.

Extraits de Louis sous la terre (Argol, 2015)

Un oiseau chante. Voilà avril et sa lumière froide comme l’eau que tu verses sur ton visage au matin, dont tu t’imprègnes soigneusement, humectant tes paupières, massant l’arrière de tes oreilles sèches, une lumière précise, tranchante, qui monte dans le ciel d’un coup et d’un coup y renverse l’apparence d’un monde rangé, choses et visages, animaux et fleurs, façades en pierre et clôtures à piquets, chacun son ombre, sa couleur, sa forme, arbres plantés dans le pré et outils appuyés au mur, tu regardes par le fenêtre, la lumière coule sur tes paupières, tes doigts plantés dans le bois de la balustrade, ta gorge est couverte d’un foulard épais, mais tu frissonnes, la lumière s’engouffre dans l’œil, tes paupières pèsent, au loin une échelle tremble, une branche vacille, même le chant des oiseaux apparaît moins net, ferme les yeux, laisse les cercles grandir sous tes paupières grises, laisse les particules dériver sous ton front, accepte l’ombre qui n’est pas une ombre, le noir peuplé de reflets, respire cette lumière froide, laisse-la nourrir tes narines pressées, debout contre la fenêtre, les yeux fermés, la bouche sèche, avance en secret dans le paysage, marche vers l’arbre, souris et marche sans t’arrêter, appuie ton dos à la croûte épaisse du tronc, repose tes mains, abandonne tes yeux, ne cherche rien, écoute seulement qui piaille et froisse les branches.

*

Recule, Louis, maintenant.
Penche le dos en arrière.
Ouvre les yeux.
Ferme la fenêtre et prends ton chapeau sur la chaise
Enfile ta veste.
Pose-la sur ton avant-bras si tu veux.
N’oublie pas de fermer la porte de la chambre avant de partir.
Descends les marches.
Ne compte pas.
Ni les marques de doigts sur la balustrade.
As-tu emporté un cahier, quelques feuilles ?
De sac non plus.
De parapluie pas même.
Une canne.
On ne sait pas.
Rien qui pourrait t’alourdir, te charger.
Ni besace qui laisserait deviner.
Un morceau de pain au fond de ta poche.
Et pour l’eau le ruisseau, la fontaine, le puits.
Et pour l’eau le nuage, l’auberge, le lac.
Ton œil simple tout au fond.
Suppliant qu’on te laisse
Sortir.

 

Écouter un autre extrait lu par l’autrice


poésie

• Ciels, visage, Lanskine, 2019
• Habiter, traces & trajets, peintures de Jérémy Liron, Les Inaperçus, 2019
• Au Bord, Lanskine, 2017, Collection Poéfilm
• Attente, partition, Argol, 2011
• Ferroviaires, Publie.net, édition numérique, 2008
• Chao Praya, postface de Benoît Conort, Apogée, 2007

récits

• Louis sous la terre, Argol, 2015
• Nu précipité dans le vide, Fayard, 2006

Ouvrages collectifs & participation à des anthologies

• Anthologie Général Instin, Le Nouvel Attila, 2015
• Climax, Le Nouvel Attila, 2015

Sur internet

Le site de l’autrice :
https://sereineberlottier.net/

Lectures en ligne par l’autrice :
http://poesie.baz.free.fr/spda%202016/mp3/07-Sereine%20BERLOTTIER.mp3
https://vimeo.com/205528207
https://soundcloud.com/lesinapercus
Sur remue.net : http://remue.net/sereine-berlottier

Quelques notes de lectures en ligne :
http://lesdecouvreurs2.blogspot.com/2019/10/recommandation-habiter-un-livre-de.html
https://next.liberation.fr/culture/2019/09/23/lundi-poesie-aujourd-hui-la-cabane-branches-de-mimosas-coupees_1747335
https://poezibao.typepad.com/poezibao/2017/09/note-de-lecture-sereine-berlottier-au-bord-par-antoine-emaz.html
http://cahiercritiquedepoesie.fr/ccp-34-5/sereine-berlottier-au-bord
https://www.terreaciel.net/Hep-Lectures-fraiches-Avril-2017
https://poezibao.typepad.com/poezibao/2015/10/note-de-lecture-sereine-berlottier-louis-sous-la-terre-par-ludovic-degroote.html
http://remue.net/Est-ce-qu-il-y-a-a-vouloir-autre-chose-autrement-Sereine-Berlottier
http://remue.net/Chao-Praya-de-Sereine-Berlottier
http://remue.net/32-Sereine-Berlottier-Nu-precipite-dans-le-vide
http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=51906

Un entretien avec Florence Trocmé

Page présentée avec la complicité de Cécile Guivarch


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés