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Christophe Stolowicki

lundi 11 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Christophe Stolowicki. Disant de la poésie sans le savoir, comme Monsieur Jourdain. Sachant décrire, oui, mais de son corps de phrase la courbe de ce qui lui manquera toujours. Pratiquant une transgressive poésie critique sur plusieurs sites (Sitaudis, Terre à ciel, Libre Critique).

Livres récents : Alix, L’idée bleue, 2008 ; Zoom avant, Passage d’encres, 2013 ; Rhizome, Passage d’encres, 2016 ; Deuil pour deuils, Lanskine, 2018.

Extrait de Deuil pour deuils, Lanskine, 2018

J. Elle me remet ses clefs, papiers d’identité, porte-carte bleue, argent de poche, comme l’entrant en prison, pour une très longue peine. Les bijoux regroupés depuis plusieurs jours.
 

J + ? Je mène le deuil, jamais n’aurais cru une seconde fois. Elle n’a voulu ni fleurs ni couronnes, ni sinon moi personne au crématorium - dans le bas du bois où tous les soirs elle descendait ses chats pour nourrissage et cabrioles je disperses ses cendres, suivi de ses quelques amis d’ici, les femmes puisent une poignée dans l’urne. La cendre a tout d’un sable, curieusement lourd et granuleux. Cinq amis.
 

[...]
 

Sur le boulevard je l’arbore à mon flanc, orchidée des champs, elle se retourne d’ingénuité sur tous les regards d’homme, une jalousie m’épile. Femme-enfant, mannequin junior, actrice de complément, doublure lumière éclipsant de sa luminescence les vedettes - pas vedette, pas sublime comme les platines qui l’éclipsent aux castings. Modèle nu pour photographes violeurs, son innocence jugée perverse qui ne l’était pas. Inimaginablement intacte quand je l’ai connue. Obsolète de m’en prévaloir, on hurlera.
 

Fin juillet, sinon la fin de l’été son versant nord-ouest, un parfum pénétrant de mouillure sur la fenaison comme on dit sur les fruits.
 

Elle aimait je me hais de l’écrire au passé quand elle est ma seule vivante - les chats, les chiens, les prairies, les chevaux qu’elle accostait à travers haies (barbelés).
 

Quittée la classe à seize ans, elle aimait les livres d’un poète contemporain connu quand je ne comprenais rien à la poésie. Elle a fait de moi un homme pour elle seule prêt à risquer à vie l’avis de tempête sur mer d’huile de Lars von Trier. Elle a fait de moi un écrivain vain vain.
 

Elle aimait le silence, les chants de merle, Monk Plays Duke Ellington. Elle aime soi pour moi, à en mourir peut-être.
 

Un triangle d’objets choisis occupe toute la plage de ma commode en rotin, je les déplace en variation du nombre d’or tous les matins. L’isocèle mon repoussoir, la rime tolérée, l’asymétrie bannit l’excès. Je me réveille tous les matins avec la même gueule de bois de la mort annoncée d’une fée.
 

Je me suis réveillée et j’ai pensé à me rendormir à mort, dit-elle.
 

Recrus, écornés, les trois volumes dans La Pléiade sont dans sa chambre. Je trouve La recherche après deux ans peut-être sur l’un de ses morceaux de bravoure, mon préféré, celui où il est questions des « solitaires eux-mêmes », de « prendre le lait des mains du laitier », du « voisin délaissé » dans un château voisin, cette entrée de Sodome et Gomorrhe culminant sur la vanité de « reconstituer Sodome » comme Babel et où « tout se passerait en somme comme à Londres, à Berlin, à Rome, à Petrograd ou à Paris. » Bonnes larmes, je me raccroche à une vie heureuse de vieux garçon invétéré.

Extraits de Alix, le dé bleu / L’idée bleue, 2008

j’ai acheté pour toi une
tresse qui corde le nœud
de mon cœur gros de toi &
moi        des pinces pour
apprendre le linge qui s’égoutte
sans toi ni moi        la panoplie
de la patience un cramoisi d’années

                    *

qu’un flocon dans la tempête
de neige tournant au grésil
dans le noir des yeux Qu’un
faucon sur le poing ganté de
prairie Qu’un Falcon jet lag
zébrant le cosmos du pointillé
de son étoile fortune rapportée
de César Qu’un flacon une herbe
bleue sur le versant nord-est
d’une cursive ivresse

                    *

brouillard radio de la voisine
ce qu j’ai voulu dire gît par
trois mètres hors de portée des
vaguelettes de surface et des
vagues de fond Que pendard fût
gibier de potence dépendu
n’allège pas la tragédie Que
l’oie du Nil plus archaïque
soit que l’oie cendrée sur
laquelle court notre destinée
n’allège pas la tragédie Qu’inverse
ou suive mon étoile le cours qu’au
jour le jour j’entoile sur son
patron croit répondre à la question

Extrait de Rhizome, Passage d’encres, 2016

1

brèves : usés à l’attache, l’aphorisme plus assez dru pour se garder de suffisance, trop le haïku pour préserver sa consistante inconsistance.

Lecture à chronique. Je ne connais pas cet auteur, rejette de sarcasmes le corps étranger. Affleure un neutron de reconnaissance d’un embryon de piste frayée jadis. L’aile d’un autre moi assis dans les mots, la pensée, la mémoire. Je m’apprivoise à son étrangeté. Envie ce musicologue de prosodie latine, ce savant au cerveau de cristal qui sait ce que je sais outre ce que j’ignore. désire de tout mon moi ce moi qu’en son réduit je bombarde de mots, circonviens de pastiche. Sans foi je nous métisse. D’orage je rature, de sot métier, lisse le corps assoupli.

J’ouvre l’art poétique d’Horace, l’exorde moque le disparate à plumes sur un corps de singe, tout ce que nous aimons.

Une poésie contemporaine tout en performances - fardant du néant, brusquant du meilleur - se calquant binaire sur le rock plutôt que le jazz, invente une dérisoire parade à la désaffection populaire.

Baudelaire à l’âge ingrat du passé. A sa poésie du vécu l’on préfère une du vivant, fût-il mort.

Une langue des dieux, par quel crochet descendue aux Enfers.

Longtemps prodigue de ses standards, de tous ses bleus à l’âme, une littérature pose prose enfin sa voix : Gombrowicz, naguère Flaubert.

Il est des premiers livres, des entrées de je douloureuses, coups de boule dans le je de quilles du ronronnement d’auteur.

Poètes thérapeutiques ceux du malheur vrillé : Celan, Pizarnik, Rimbaud. Tout le reste est littérature, voire psychanalyse.

Maria-Mercè Marçal, poétesse catalane tôt décédée, « je couvais l’œuf de la mort blanche / sous l’aisselle, au ras du sein / et aveuglément j’allaitais / l’ombre de l’aile de la nuit. » Un qui s’interroge sur la modernité de la poésie catalane sait-il ce que parler veut dire ?

En première pression à froid contracter deux syntagmes en un hybride ternaire (« forêt vierge folle », de Roland Giguère) extrait l’ambre gris.

Paul Celan, Roland Giguère, Ghérasim Luca, Thierry Metz, Alejandra Pizarnik, Raymond Roussel, Edward Stachura, Guy Viarre, Ilarie Voronka, il se présente des suicidés à l’appel dès qu’on ouvre une anthologie récente. Point commun de tous ces poètes : ils ne parlent pas en l’air. Dur, d’or, chiendent, braise, fournaise, pas en l’air. Je lis fasciné l’hécatombe que prédisait Nietzsche.

(...)

Extraits de Zoom avant, Peintures de Thérèse Jeanneau, Passage d’encres, 2013

Voir, voir, comme je n’ai jamais vu. Où s’abolit toute espérance. Se ceinture de noir. Veloute les cristaux liquides.

Comme je n’ai jamais vu. La mémoire de l’eau. Le dépôt dans l’outremer qui s’abolit de bleu. L’inépuisable frétillement des cristaux liquides. Tard, réapprendre à voir.

Comme un aveugle, un daltonien peut-être. Il ne me manque que le relief. L’éclat océan qui des nombres premiers, des entiers décimaux de jeunesse, monte descend discontinu dans les calanques.

*

Ni dans le marbre de la mer ni dans la mer de marbre, dans le jaspé de la lymphe non plus, aux cheminées où se coudoient larves géantes et cristaux en flammes pas davantage, et non moins dans la coulée centrale de la lave qui nous lave du feu - ne s’allitèrent les arcanes de la matière de la pensée. Pourquoi nier ?

Il était une fois. Il avait été une fois. Il fut, il sera cette fois toujours unique le nombre de fois qu’il faut que s’y accorde le Temps. Toujours plus avant la féérie discontinue.

Couleurs premières. Du son au sens la forme née de l’onde. Avant-premières, couturières, générales,Trooping the colours. Levées en masses, intérieures au drapeau


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