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Gilles Plazy

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

Né en 1942, Gilles Plazy a beaucoup écrit pour la presse et l’édition. A collaboré notamment à Combat, Le Quotidien de Paris, France Culture. Auteur d’une soixantaine d’ouvrages de genres divers (poésie, fiction, essais, documents), il se soucie surtout désormais d’avancer sur le fil de l’écriture de poèmes, Fiction fragile du désir ayant rendu caducs huit ouvrages antérieurs réduits ainsi à l’état de brouillons. Il a créé en 2011 la cellule marginale d’édition La Sirène étoilée. Peinture et photographie lui sont des pratiques annexes. Il est membre de l’A.I.C.A. (Association internationale des critiques d’art).

Fiction Fragile du désir (Tarabuste 2019). Extraits en lesquels sont faits des allusions à Rainer Maria Rilke, Nelly Sachs et Paul Celan.

Parler de l’homme est tâche mortelle dans le soulèvement du ressac mais l’œil flotte sur l’écume qui a la profondeur de la matière en laquelle frémit l’os de l’origine et l’ombre ne dit rien de la corruption du corps en radiante insomnie archives déjantées dans la direction du matin mais rien ne justifie l’indécision du dieu plus léger que la feuille perdue dans la poussière et les larmes remugle de la perdition derrière le rideau du théâtre iode et sargasses dans la démesure méduse insidieuse dans la nuit octopus irrémédiable non vous ne rêvez pas le sillage sur la mer a des langueurs assassines terrifiant terrifiant tout ange est terrifiant pression divine visage subjugué la mort tendrement dès l’origine en savoir infini des jours parmi les fleurs les arbres les étoiles de l’été l’attente en prodigalité des fontaines silencieusement la volupté sur un tapis indicible toutes choses dans la joie la douleur sibylles et prophètes une chouette sur le Nil fleur illusoire du destin funèbre l’enfant émerveillé dans la constellation.

L’axe du ciel brûle encore le cœur blanche fidélité parole restaurée la poésie en feu dans notre cœur les dieux anciens la lune aimante quelques noms incantés confiance en l’oiseau du matin le calme la légèreté d’une aile sur des lendemains incertains dans la profondeur d’une aube acérée tambour des rêves fracassés météores obliques de l’agonie le deuil active la démence dans l’épuisement du sable nocturne lève des voix d’ombre du fond des orbites vides dans un vent de poussière orchidée blanche sur les eaux de cendres orchidée noire dans la voie lactée ni la folie ni la mort n’obscurcissent le ciel en lequel brille la nostalgie et dans ta chevelure une fleur du Sinaï don d’Abraham pour celle qui se tient dans la nuit silencieuse du pays à jamais natal tu marches sur les os brisés tu manges la laine des moutons morts parmi les ronces hantées de soufre et de mots en dérive tu marches sur un chemin de cendres et l’ombre qui marche sur tes pas n’est pas la tienne proche est le lointain dans la distance éludée par le souffle du bélier l’œil troisième lancé au lointain cela seul maintient le proche en sa contingence.

Mots dans la nuit dans les plis de la montagne ou dans la laine des moutons noirs mots enfouis dans l’eau sombre des lochs mots dans l’ombre du passé gaélique mots à cueillir d’une main agile au feu des terres consumées aux quatre coins de l’île mots fondus anciens dans la rumeur archaïque des stèles indéchiffrées dressées par les voyageurs du vent mots en nuée sur la montagne en attente d’un poème à venir dans les serres de l’aigle rare à queue blanche mots de pierre grise et de bruyère dormante dans la lumière atlantique mots de brûlante intime allégresse pour un poème à venir graine graine pour l’arbre à paroles sur le méridien en ardente connexion du soleil et de l’oiseau tandis que des voix dans la brume se lèvent au-dessus des tourbières buisson de douleur dans la gorge avec des mots en flammes dans la chambre du silence nuage pétrifié dans l’écume de la prophétie en souffrance de quartz sur les tombes stellaires ciel renversé souffle déchiré ton chapeau ne te protège pas de la foudre ni de la cruauté des métamorphoses.

Anonyme tango dans les eaux profondes (inédit). Extraits.

Rien n’est moins silencieux que l’absence en déroute d’une logique trop tôt programmée qui se reflète en vain dans l’eau de la nostalgie mais ici présage limoneux miettes de rêves à venir aux confins du mental nouvelle ouverture du cercle pour une parole native en tessiture aléatoire chant qui dessine la trajectoire d’une nudité dans la fiction nocturne où le rituel s’impose malgré la dislocation de l’écriture arbitraire sur la scène où le chœur s’effraie de la profondeur de l’obscur tandis qu’un danseur entraîne en valse une nymphe sur le chemin d’une sainte procession ainsi le poème en son beau geste est offrande et défie les douleurs du monde autant qu’il en célèbre la beauté qui n’a pas de nom grand air cosmogonique joué par un virtuose sur une gamme bouleversée par l’énergie panique qui si bien porte la parole à l’incandescence dans l’éblouissement millénaire de la nécropole en feu où sera caduc le chant d’ivoire de la mort est-ce mirage parmi les arbres enfeuillés ou signe de phénix dans l’ombre ? nomade est la mort qui bat la mesure pour des phrases tachées de sang oranges d’agonie.

Poème aux branches à contre-ciel hermétisme des falaises idoles démunies hautaines sur le roc la houle sacrée l’ultime vague une voix fertile ne craint pas la faille un chant de feuilles froissées parmi les étoiles parmi les rêves l’enchantement des tragédiennes du large une rosée nouvelle pour dénouer les contradictions dans les champs de l’enfance un songe ouvre la mer hante les navires légendes fauves dans l’obscur en vue d’un festin limoneux sur l’horizon désœuvré où sombrerait un cœur au sang malhabile dans une nuit taciturne qui n’a cure des chrysanthèmes ô flamme tremblante dans le frémissement du pavillon de mots sur la mer des langues où perle est l’irréductible de l’être parole sur l’arête où se lient vie et mort flamboiement de joie et douleur torche éclairante et brûlante néanmoins complice du mystère nocturne et du sang des roses dans le marbre noir du silence.

Les Mots ne meurent pas sur la langue (Isabelle sauvage, 2014). Extraits.

La poésie n’a de raison qu’à être, dans la démesure d’une langue qui en rupture avec la platitude informative des défenseurs d’une illusoire objectivité sort de ses gonds, ouverture de sens.

Seule fait poésie dans la langue une certaine force de flamme qui la brûle, ou de glace qui la gèle. Elle se situe donc aux limites de la langue, là où celle-ci est près de se perdre en combustion, ou se fige. De là à dire que la poésie est à l’intérieur de la langue la ruine même de la langue, qu’elle est effondrement de la langue…

Toujours prise dans l’implication réciproque du noué et du dénoué, autant à mettre en évidence le nœud qui est la pierre noire incise en toute parole qu’à se délier dans le chant.

La poésie a maille à tricoter avec le chant et l’imaginaire, qui est largage d’amarres du sens. Et le poète, plus qu’il ne la travaille, est travaillé par la langue. La poésie est conflit dans la langue, travail de rupture et travail d’harmonie. Cela au moins où et quand la langue s’est figée de logique. La poésie est désormais écart, mais rappel nécessaire.

La poésie est voix en l’homme de l’énigme, du mystère qui, se disant, se donne plus qu’il s’éclaire ; vacillement (sinon même déroute), expérience du vertige entre angoisse et extase.

L’œuvre, si œuvre il peut y avoir, est à arracher au bavardage, à défaire de toute complaisance, dans la recherche d’un essentiel du dire, d’un dire essentiel, du moins dans l’exploration du sens (le mot qui m’est venu spontanément et que d’abord je n’ai pas voulu écrire est “affouillement”) – moins la quête du sens, d’un sens qui serait à découvrir parce que déjà là, que l’infini travail du sens… Et c’est dans le poème, l’écriture poétique en décalage du discours convenu de la prose, que cela au mieux peut se faire.

Bibliographie sélective

  • Le Chant de la violette, La Différence, 1985.
  • Cézanne ou la peinture absolue, Liana Levi, 1989.
  • Ionesco, le rire et l’espérance, Julliard, 1994.
  • Il y a des nuits plus belles que le jour, Éditions du Scorff, 1997
  • Gustave Courbet, un peintre en liberté, Le Cherche Midi, 1998
  • René Char, fiction sublime, préface et anthologie, Jean-Michel Place, 2003.
  • La Femme impressionniste, Adam Biro, 2003.
  • Julien Gracq, en extrême attente, La Part Commune, 2006.
  • Cézanne qui n’existe pas, La Part Commune, 2006.
  • Picasso, Gallimard, Folio/Biographies, 2006.
  • Les Mots ne meurent pas sur la langue, Isabelle Sauvage, 2014.
  • Gauguin, l’insurgé solaire, La Sirène étoilée, 2015.
  • Le Paris surréaliste, Editions Alexandrines, 2015.
  • Porterez-vous du sel aux gens de la montagne ?, La Sirène étoilée, 2018.

Liens

Page réalisée avec la complicité d’Isabelle Lévesque.


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