Colette Nys-Mazure, née à Wavre en Belgique, philologue de formation et enseignante, a publié ensembles poétiques (Feux dans la nuit, Espace Nord), nouvelles (Tu n’es pas seul, Albin Michel), romans et essais (L’Enfant neuf, Seuil points ; Célébration du quotidien en poche et livre-audio, Desclée de Brouwer ; La Vie poétique, j’y crois, Bayard)). Elle écrit aussi pour la jeunesse, autour de la peinture. Ses livres sont traduits en de nombreuses langues. Elle s’efforce de vivrelirécrire jour après jour. Elle a reçu en 2021 le prix Yves Cosson pour l’ensemble de son œuvre.
(photo : X. Ménard)
Extrait de Feux dans la nuit, Espace Nord n.219, 2005
C’est l’enfance en nous
qui s’attarde et qui saigne,
tremble, veille et s’émerveille.Ecrire et dire
l’être en proie à la vie :
les ferveurs, les terreurs ;
cris et flammes.
La chanson du petit matin
mais aussi la plainte des heures lentes.
L’ironie du soleil,
Le vent par vertes bouffées
la violence de l’amour.Tendre
à travers mots
une main
et traverser la nuit sans mourir.Attester attiser
la gloire du simple
l’ordinaire enchantementQuand se taisent les tambours
de rancœur et de sangL’écriture
comme un grand lit nuptialElle rompt le silence
comme le pain
sans ébruiter le secret
ni éroder la chair nubile
Ne pas galvauder
l’or des rencontres
C’est une femme de très longue haleine, à tenir tous les seuils en laisse, à doubler l’avenir. Une femme reine dans l’ombre feutrée des chambres ou sur la place publique. Sa silhouette ne plie pas sous le vent ; elle ne s’efface pas avec les brouillards du matin mais s’affirme clairement aux carrefours tumultueux.
C’est une femme qui marche à la rencontre du temps. L’allure hauturière, elle glisse entre les récifs. Elle a dénoué les mains et tient visage ouvert. (la souveraine)
Ethique du nord
Dans ce paysage sans hauteur, où le regard en montant ne rencontre que les nuages et rien qui les soutienne, n’était le cri d’un clocher entre les peupliers, qui n’est contraint de chercher en lui-même l’altitude ?Quand se taisent aux fenêtres les fredonnements du soleil – pour d’autres cieux son plain-chant – et que roussissent les frondaisons, il se fait temps d’allumer les lampes, d’exciter les feux, de rentrer au profond de soi-même en quête d’une vie plus rigoureuse.
L’hiver sera trop doux pour aiguiser nos sens : dans les pluies, les grésils, les neiges fugaces, s’exténuera notre soif d’austérité. Il nous faudra tenir dans la grisaille sans gloire des bourbiers et tenir encore ; en attente d’un improbable printemps.
Qui surgira soudain sous les flaques minuscules des violettes, au milieu de la danse des jacinthes sauvages, sous les cascades des vergers en fleurs, dans les parfums oppressants des narcisses et des lilas.
Pays tempérés, plats pays sans certitudes, sans passions sinon obscures et toujours retenues. Pays de tendresses longues et d’élans discrets.
Régions d’ombres fluides, agitées par les vents jouant dans les ormes, les hêtres pourpres, les vastes marronniers ; régions d’eaux lentes, de collines basses.
Territoires intérieurs livrés aux fervents : les attentifs du petit matin, les patients de midi, les attardés du jour.
Terres de fidèles.
Déchiffrer
L’enfant aimait comprendre, toucher, pénétrer. Il mettait la main à l’herbe, à l’eau, au gâteau ; se brûlait la langue et les yeux. Il émiettait son pain en quête de quelque secret de pâte et plongeait le bras dans la vase gluante.
Il caressait méticuleusement le dos du chat, le jeu des ressorts à bondir. Il explorait l’oreille du labrador au risque d’être mordu. Accroupi au bord de la bâche crépitante, il scrutait les mouvements des crabes affairés.
Du bout tendre des doigts, il parcourait les rides des visages aimés, à l’affût du temps. Il léchait en cachette le nez des nourrissons aveugles, humait leur parfum fade, leur fontanelle molle. Comment voir grandir son propre corps, se métamorphoser la chenille ?
Il aurait voulu regarder faire un enfant, écrire une histoire, naître un printemps. Mais tout était caché, interdit, inaccessible.
Extrait de Chaque aurore te restera première, L’Atelier des Noyers, 2020
Les nuits d’insomnie,
Tu parcours le monde
En quête des aimés ;
Ils nichent un peu partout.
Tu les épelles tendrement.Tu entres en intime communion
Avec les proches dispersés.
Aux heures de peurs,
De noirceur,
Tu y puiseras l’eau pour ta soif.
….
Avec la croissance de la lumière
Tu béniras ces instants
A toi offerts un jour de plus.
Aller de l’avant sur la voie humaine
Avec l’allégresse de l’enfant
Qui se sait espéré, attendu.Avancer en vie t’intéresse.
Le sentier s’ouvre devant toi,
Requiert ta vigilance.
Tu traques le neuf, l’inouï.
Tu souhaites rester coriace
D’un bout à l’autre.
Extrait de Le jour coude-à-coude, Esperluète, 2020
La vie donne raison aux terrassiers de l’art, peinant dans l’incertitude, le soupçon d’inutilité, la mauvaise conscience.
Que seraient nos itinéraires voyageurs sans la flambée de la beauté, le chœur des sonorités, le souffle d’ailleurs venu ?
Etrait de A main levée, Ad Solem, 2021
Soupçons
Embusquées à l’angle de l’aube
l’anxiété de ne pas te hisser
à hauteur de poème
la tentation du repli
du lâche renoncementPar effraction
la lumière s’insinue
au travers des persiennes
le crayon du soleil
déjà entre tes doigtsS’accorder
à la croissance de la clarté
sa vigueur intacte
avec les roses
te livrer au matin innocentSans jamais ignorer ni taire
l’intarissable rumeur du monde
appels vociférations détresses et agonies
poésie debout
sentinelle
BIBLIOGRAPHIE
POÉSIE
- Feux dans la nuit, La Renaissance du livre, 2003. Réédition dans la collection « Espace Nord », Labor 2005 ; Luc Pire, 2008. Réédition Impressions nouvelles, 2012, Collection Espace Nord Poésie n.219 , 2014 Préface de Sylvie Germain et lecture d’Eric Brogniet.
Cette anthologie contient une série d’ensembles poétiques épuisés La Vie à foison, D’amour et de cendre, Pénétrance (Prix Charles Plisinier), Haute enfance (Grand Prix de Poésie pour la Jeunesse du Ministère de l’Education nationale, de la Jeunesse et des Sports, Maisons de poésie, Paris) ; Singulières et plurielles, Collection Parler bas, Charlieu, La Bartavelle, 1992 Réédité chez Desclée de Brouwer 2002, avec des photos dans la coll. Littérature ouverte (Prix des écrivains chrétiens), Arpents sauvages ; Le For intérieur (Prix Max Pol Fouchet de poésie) ; Issue des lisières, Enfance portative, Trois suites sans gravité, Chant de feu ; les poèmes de Battements d’elles et de Secrète présence, Seuils de Loire, Demeure nomade, Cinq sizains mobiles, Contrechamp, En tous sens.- Désarroi, désaveu in Lieux tressoirs, Rougerie,1988 (en collaboration avec Françoise Lison-Leroy et Michel Voiturier)
- On les dirait complices, Rougerie, 1989 (en collaboration avec Françoise Lison-Leroy)
- La nuit résolue, Rougerie, 1995 (en collaboration avec Françoise Lison-Leroy) , Tétras Lyre, 1996 ; réédition La porte, 2008
- L’eau des fêtes, La Bartavelle, 1997 (en collaboration avec Françoise Lison-Leroy et François Emmanuel)
- Champs mêlés, Luce Wilquin, ((en collaboration avec Françoise Lison-Leroy)
- Traces et ferment, l’Arbre à paroles, 1998 (en collaboration avec Lucien Noulez)
- D’ailes et d’eau, avec Roger Dudant, Maison de la Culture de Tournai, 1998
- Voix de l’entente, l’Arbre à paroles, collection « le buisson ardent », 1996, 1999 (en collaboration avec Pierre Dhainault)
- Pas si sages, avec Françoise Lison-Leroy, L’Arbre à Paroles, 1999.
- Palettes, Noville sur Mehaigne, L’Eperluète Editions, 1999. Images de Alain Winance
- Et nous par tous les temps, Laon, La porte, 2008 (en collaboration avec Françoise
- Piqués des vers, 300 coups de cœur de Verhaeren à Verheggen,Espace Nord n.300. Anthologie en collaboration avec Christian Libens 2010, 2014
- L’eau à la bouche, Poésie, ma saison Desclée de Brouwer collection « Littérature ouverte » 2011, Anthologie de poésie francophone
- De seuil en seuil, Images de Jean-François Ramolino, Editions de la Lune bleue, janvier 2014, La Porte 2014
- En train d’écrire (avec Françoise Lison-Leroy et photographie de Iris Van Dorpe) Éd. Les Déjeuners sur l’herbe, Merlin, 2016
- Les déserts fleurissent, La porte, 2016
- Palimpseste, Veine, Noir/Mine, Poussière, Convulsion in Bruno Gérard, Maison de la Culture de Tournai, 2017
- Les couleurs et les rythmes s’épousent, La Porte, 2018
- Le Jour Coude à Coude, dessins de Camille Nicolle, Esperluète, coll. L’Estran, 2020
- Lettre d’Atonie, encre originale de Robert Lobet, Editions Jacques Brémond, coll. Les petites lettres, 2020
- Chaque aurore te restera première, Ateliers des noyers, 2020, illustrations d’Anne Lemaître, coll ? Carnets de philo
Livres d’artiste avec Marie Desmée, Ghislaine Lejard, Jo Ann Lanneville (Québec), Nelly Buret, Ariane de Briey, Ursula Caruel, Anita Calisi
Prix du Bellay
Prix Yves CossonEssais consacrés à la poésie
- La chair du poème, Petite initiation à la vie poétique, Paris, Albin Michel, 2004
- Prières glanées, Éditions Fidélités, 2003, illustration Bern Wery. Rééd.2006.
- Du récit poétique in Roman-récit , Éditions Lansman, 2006. Coll. Chaire de Poétique de l’UCL
- La vie poétique, j’y crois. Bayard, 2015, collection J’y crois.
- Eveil à la poésie, l’Arbre à paroles, 2017 coll. Midis de la poésie
- Colette Nys-Mazure, quelque chose se déploie, dialogue avec Frédérique Dolphyn, ESperluette 2017, coll. Orbe
- Prières par tous les temps, Fidélité, 2018
- Le chant des jours. Une traversée de l’année avec Marie Noël, DDB poche, 2019
Collaboration à de nombreuses anthologies
- 500 poèmes de la vie quotidienne Éd. Duculot, Paris – Gembloux, 1985
- S’il vous plaît, destine-moi un poème. Éd. Hauts de France Lillers, 1991
- Paraphes. Éd. Hachette, Paris, 1991, coll. « Fleurs d’encre »
- La poésie francophone de Belgique. Éd. Académie royale de langue et littérature françaises, Bruxelles, 1992
- Luttes et luths. Éd. Hachette, Paris, 1992 , coll. « Fleurs d’encre ».
- L’amitié des poètes. Éd. Hachette Paris, 1992, coll. « Fleurs d’encre »
- Cinquante ans d’Unimuse Éd. Unimuse, Tournai, 2000.
- Le Siècle des femmes (anthologie par Liliane Wouters et Yves Namur) Éd. Les Éperonniers Phi, Bruxelles, 2000, col « Passé présent ».
- Une note pour Chacun sur des photos de Frédéric Pauwels, 2002 Pink Lady, Octobre rose, 2016Photographies A. Delsar.
- Des racines et des arbres. 32 écrivains, poètes, et artistes, Idem terre, 2015. Photographies B. Dachy
- Martine Cornil, Bords de monde Vingt-neuf auteurs Une photographe Trente regards Et l’infini des possibles, Maelstrom , 2012
- Pas d’ici, pas d’ailleurs. Anthologie poétique franquophone de voix féminines contemporaines. Voix d’encre. 2012
- Photos d’Alain Breyer, Vive le Tour, Edition Unimuse, Maison de la Culture de Tournai, Ville de Tournai, 2012
- Calendrier de la poésie francophone, l’Année en poèmes, Alhambra
- Avoir 100 ans en 2015, Bénédicte Thomas, 2016
- Dans les plis déliés Poème sur une photo d’Anne-Sophie Costenoble, Poeticon n.1 Éditions Les Déjeuners sur l’herbe, Merlin, 2017.
- Poèmes autour de l’œuvre d’Alexis Lippstreu In Poeticon n.2 Éditions Les Déjeuners sur l’herbe, Merlin, 2017
- Silence et Partage, Photographie de Bruno Rotival, texte collectif, Paris, Mediaspaul, 2018
- La Beauté. Ephéméride poétique pour chanter la vie. Anthologie établie par Bruno Doucey & Thierry Renard.
- Peintures & estampes de Robert Lobet, Editions Bruno Doucey, 2019
- Le Regard souverain, Les plans-reliefs dans les collections du Palais des Beaux-Arts de Lille, Invenit, 2019
- Le système poétique des éléments, 2019 Edition Invenit
- Poésie en liberté, 2017 Edition Bruno Doucey
- Connivences Ecole Navale de Brest Editions de la Margeride, 2019
- Amers en presque’île de Crozon, Ecole Navale de Brest, Editions Invenit 2020