Terre à ciel
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Laurent Cennamo

mardi 8 février 2022, par Cécile Guivarch

Laurent Cennamo est né en 1980 à Genève, ville dans laquelle il a étudié la littérature française et l’histoire de l’art. Son travail de fin d’études portait sur les récits de rêve dans l’œuvre de Philippe Jaccottet. D’un père italien et d’une mère suissesse, il traite volontiers de sa double origine dans les poèmes et les fragments en prose qui composent les sept recueils qu’il a publiés à ce jour, souvent autobiographiques. Ainsi, son second livre, Pierres que la mer a consumées, est-il consacré à la figure de son père qui, a côté de son travail dans un supermarché (la Migros, qui est un peu le Leclerc ou le Super U suisse), a pratiqué toute sa vie la peinture avec passion.
Dans ses poèmes, il ne se prive pas de citer les noms de figures tutélaires qui l’accompagnent depuis le commencement, qu’elles proviennent de l’univers littéraire (Jaccottet, Kafka, Trakl, Montale, Caproni, Saba), pictural (Giotto, Piero della Francesca, Tal Coat), ou de la culture populaire (Skeletor, Roberto Baggio, « Les Chevaliers du Zodiaque »). Même chose pour les noms de lieux, prestigieux ou non, qui abondent chez lui. Il a conscience que cette manière de procéder comporte un risque, celui de créer une distance entre son expérience, qu’il voudrait pourtant partageable, et le lecteur. Son désir pourrait dès lors se traduire ainsi : que les noms propres deviennent en quelque sorte des noms communs, que la barrière entre nature et culture, infranchissable, il le sait, s’efface ou au moins s’atténue le temps du poème.
Il travaille actuellement à trois textes : un recueil de poèmes en vers, L’immédiateté seconde ; un texte composé de récits de rêve, Le labyrinthe de la rosée ; enfin des fragments qui ont pour origine un certain nombre de visites au Musée d’art et d’histoire de Genève, visites durant lesquelles il a pu expérimenter une écriture « sur le motif » qui l’intéresse.

Extraits de Les Rideaux orange, Samizdat, 2011

« Marelle »

Aveugle (et pas un poisson d’eau douce, d’eau claire
en vue ; de poussière d’ange sur le seuil, aucune).
Il neige ; marelle sur les yeux. Marelle
blanche, marelle noire

 
*

 
Marelle invisible
à l’œil nu ; serpent d’eau

 
*

 

Marelle sur la paille ; d’âne très doux, de bœuf
transparent tout autour d’elle, pas la moindre trace, le moindre
souffle

 
*

 

Au centre de la cour de l’école dont tremble
le dessin (sa sonnerie transparente) : marelle
à l’oreille fine, neige, renard qui ne tient
plus qu’à un fil

 
*

 

Marelle au bord des larmes, de plus en plus maigre ; une marelle
se laisse mourir. Ce qu’elle emporte de moi
est dans l’eau claire

 
*

 

Marelle transparente, marelle au pain
et à l’eau

 
*

 

Marelle au bord des larmes ce matin, craquante
de larmes (beaux yeux en amande ou, au plus noir
de la nuit, vulgaire noix, noix aveugle ?) ; brise
légère. Mer lisse. Marelle qu’un enfant
berce de ses jeux transparents, de ses rires.

Nous serons emportés. Regardez les fleurs,
la rosée… Mais quel naufrage à cette hauteur
ridicule ?

 
*

 

Contre les murs de la chambre, presque rien : une échelle
délicate, une lampe, une marelle pour combattre
la fonte des neiges

 
*

 

Marelle à l’ombre des arbres, des heures,
marelle couleur de lâcher de ballons (tendre
tablier gonflé d’air, de larmes sur nos têtes). Monte
plus tard, plus loin, du regard d’un enfant (fétu
de paille transparent ou fleur ?), la terre

 
*

 

« Les rideaux orange »

Rideaux orange. Loin derrière, le M
majuscule de la Migros de Chêne-Bourg
au-dessus des grands arbres (plante étrange, toujours
immobile ou étrange chapeau de femme que le vent
jamais ne fait s’envoler), et mes petites mains d’enfant
cherchent en vain à tracer au crayon sur la page
blanche la courbe féminine, animale (infiniment
belle) du Petit Salève, tout là-bas, mes mains
déchirées…

            Ma mère lit sur le balcon, un mouchoir
en papier déplié sur la tête, contre les bêtes
sans nombre de l’été, le crépi qui se détache ; on entend
dans le ciel de septembre un froissement léger
d’étoiles, ses minuscules mains blanches lentement tourner
les pages du livre… Bien plus tard, tu colles ta langue
contre la vitre, pour la faire rire, mais très vite : langue
invisible, tranchée jusqu’à la racine, jetée
en pâture aux chiens silencieux de l’horizon (longs fils
de bave grise sur l’horizon…)

Extrait de Pierres que la mer a consumées, Samizdat, 2013

Ne séchera jamais, dirait-on

S’ouvre le précipice (le bruit des pierres qui dévalent la pente de sable rouge, les hurlements de celle qui est prise au piège dans la voiture – ce volcan – qui frappe contre les vitres de toutes ses forces, hurle, étouffe, griffe les sièges en cuir)

Joie (incompréhensible, grâce maintenue), lent supplice (chinois), la peinture

Cris d’un enfant invisible (au bord du précipice, au fond du puits de l’écriture), ronds de buée, petites mains moites, crissantes contre les vitres en plexiglas

La peinture est un puits, profond (au fond l’eau brille sûrement), dans lequel le fils ne manquera pas de tomber, la pierre du fils, sans bruit

Peindre avec des larmes, une fois encore

Touches de peinture – sur ces rochers, ces pierres levées dans l’herbe – plus légères qu’une plume

Là, sans doute, rejoint le Dieu de son enfance (transparent, ses yeux embués de larmes, une pierre contre son cœur) accroché aux murs décrépis de l’église du village

La tête blessée. Un peu d’eau dans le creux de la main pour qu’elle boive

Draps froissés, nid de paille ou de branches, brindilles et tiges entremêlées – mais aussi des formes plus dures parfois, acérées, presque agressives (carrés ou rectangles sombres, au bas de la toile), boîtes ou bidons en métal rouillé, oxydé, caisses cabossées par le temps houleux, tombeaux

L’homme entièrement vêtu de noir (prêtre déguisé), recouvert de poussière et qui pleure amèrement, allongé parmi les grosses pierres blanchâtres qui roulent sous lui, l’empêchent de sortir du ravin où il est tombé, qui gratte la terre, se déchire les mains aux arêtes pointues (Fellini, Il bidone)

Chutes de pierres (silence parfait), broussailles en feu, bêtes qui fuient

Il n’a pas vu Blanche-Neige, Bambi ne lui dit rien. Vraiment un rêve, une autre planète. Là : franchit tous les obstacles, toutes les barrières de feu, d’un bond – biche ou faon, flèche – dévale entre les pierres, éternellement jeune, véritablement euphorique

Où est la Suisse dans cette peinture ? Elle passe à la trappe, ou dérape (on l’entend qui dévale la pente pierreuse). Là (là seulement), il n’a pas encore quitté l’Italie, ne l’a pas encore tout à fait laissée – c’est le moment du passage, étroit, la gare de Brigue encaissée, les montagnes déchirées recouvertes de neige, de sapins noirs. Affleurement de roches

Extraits de À celui qui fut pendu par les pieds, La Dogana, 2014

Maintenant tu brilles peu sous des mètres
et des mètres de neige encore plus
silencieuse que toi ; les milliers de livres
lus : rien, une goutte d’eau plus claire
sur ton front de neige, une étincelle ; plus bas, tu
entends, qui parle de toi à voix basse,
qui tremble pour toi sur la terrasse
ensoleillée, ta petite famille grise, frissonnante,
enroulée dans la fourrure de la truite.

 

 

L’écriture brille (essayer de lui ressembler) ;
juste faire quelques pas
dans un jardin d’étincelles et de noix fraîches.

 

 

L’étoile la plus lointaine

L’écoute est l’étoile
la plus lointaine (presque
impossible à rejoindre désormais, ou à seulement
imaginer) ; l’oreille une petite étoile
de chair, tendre, ornée d’un simple diamant
qu’on mordille dans le noir.

 

 

Cours, cours, ris, bois le léger
champagne de l’air, de la lumière
bruissante, fraîche et piquante
d’avril entre les branches souples du peuplier (avant
le coup du lapin, le silence, le violent, inéluctable
impact contre le tronc noir de la nuit – le bruit
sec de ta nuque qui se brise, les phares
éclairant encore un bouquet de sapins où n’apparaissent pas,
hélas, le lièvre souriant, bavard (sa montre gigantesque
pendue autour de son cou, son costume rouge
bariolé), ni l’adorable biche bondissante qui, peut-être, en ce désert…

 

 

Le poisson rose

à Frédéric Wandelère

Tu marchais sur l’autre rive à la recherche
de je ne sais quel « poisson rose » dont tu me parlais
souvent, de plus en plus souvent les derniers temps,
de plus en plus froidement (le vieux parquet
doucement luisant du musée craquait sous tes pas rapides
de souris blanche)

(Nous errions de salle en salle, pieds nus
dans l’herbe rase de Watteau, l’herbe
haute de Fragonard)

 

 

L’os de la mémoire

Quel est l’os de la mémoire,
l’os brisé de la mémoire,
de la poussière,
quel souvenir
est-ce que tu gardes de la poussière,
précieusement, presque jalousement, quel diamant
la poussière,
quel gâchis,
quel disque à jamais rayé, rayonnant ?

 

 

Rayonne,
Noir bourdon,
Crayonne –
Surtout pardonne

 

 

Lambeau

Ne plus tailler à grands coups de ciseaux
dans la vie, tout le temps
trembler – pauvre morceau de tissu, triste lambeau
de drapeau suisse au sommet d’une hampe d’acier, vibrante
dans l’air noir, glacial, derrière les sapins – ou encore éternelle, minuscule
couturière timide disparaissant dans un nuage de mousseline…

Maintenant apprendre la souplesse

(ou lentement déplier
devant soi
ce vide)

Extraits de Vite, avant qu’ils disparaissent, Le Miel de l’Ours, 2016

Sous la neige :
l’ange de l’année,
le grand jour

 
*
 

Cerisier.
En son regard : neige, rien ; si : une cerise
invisible

 
*
 

Une fleur est un feu de forêt miniature

 
*
 

Larme très claire, chat
léger sur la branche cassée
du regard

 
*
 

À peine une pensée : mes os posés dans l’herbe

 
*
 

Neige qui fond
dans le creux de ta main, fleur
de plus en plus lumineuse

Extraits de FH, Samizdat, 2016

Pour parler de la qualité étrange de la couleur (ou plutôt de la lumière) dans les fresques du Trecento, les historiens de l’art ont le mot « diaphane »

« Blanc cassé » (blanc mêlé d’une quantité infime de couleur)

Le bonheur serait cette fresque, infinie, cette absence de mur ailée

(Diaphane)

Les fresques ne recopient jamais la réalité, elles ne sont pas une fenêtre. Elles sont pourtant inséparables d’une certaine lumière (chaleur, fumée), celle où elles ont vu le jour, ciel et terre, fracture éternellement ouverte. Il arrive également que l’on imagine un instant au-dessus de toute cette beauté la main transparente de Giotto, celle plus pâle (osseuse) d’Ambrogio (ou est-ce celle de Pietro ?) Lorenzetti – très légère buée qui déjà disparaît, s’efface, comme les traces des boules de neige contre la vitre éclairée, le soir

(La main transparente de Giotto)

La poésie serait la relecture d’une ligne que l’on vient à peine de finir d’écrire (ou même pas), sa relecture quasiment instantanée. La double lecture heureuse. La deuxième couche de peinture, qui se distingue à peine de la première, qui, plus que faire corps avec elle semble comme allongée sur elle, endormie. Sommeil léger et profond à la fois. Vernis extrêmement fin, extrêmement fort

(La poésie I)

La poésie est merveilleuse parce qu’elle permet de presque tout dire en un seul très petit, très mince livre. La poésie résume et agrandit à la fois. La poésie comme la lumière

(Les paupières dorment à même le sol
clair des yeux)

La lumière ne guérit rien, elle soulève parfois, s’élève en vous parfois comme un vol de colombes, jamais ne guérit, ne fera déguerpir du toit délabré de votre esprit la vilaine petite bête noire et blanche, au cri perçant, une noix fraîche entre ses pattes

(La poésie II)

Une pomme blanche, ridée
au cœur des choses

(La poésie III)

Extraits de Les angles étincelants, La Dogana, 2017

Promenade

Il n’y a plus de bois, mais il n’y a plus de hache
non plus. Monde en plastique, solitaire
bâtisse de toile au milieu de la forêt, déserte
elle aussi. Deux hommes assis sur le sol, muets,
comme absorbés, penchés sur les voitures
télécommandées qu’ils trafiquent, qui, plus tard,
feront gicler la terre contre les troncs
pâles des jeunes saules. Je baisse la tête,
ne les salue pas (ils ne m’ont pas vu :
la radio posée sur le sol à côté d’eux continue
de cracher sa musique trash et je poursuis
mon chemin, m’enfonce dans cette forêt
sans savoir, jusqu’au fleuve boueux
faiblement éclairé par un soleil brouillé…)

 

 

L’amitié

à G.

Fraise, notre amitié.
Fraise écrasée – ou fraisier ? – le silence
interminable qui suit

 
*
 

La tache, ineffaçable : avoir mis fin
si brutalement à notre si tendre
amitié – vraiment la tache de fraise sur le tablier
de la minuscule servante, toute en pleurs

 
*
 

Au minuscule fraisier que je fus, au roncier

que nous fûmes –

à la fumée également, montant
au ciel de l’amitié

 
*
 

Que le temps nous rattrape au vol
peu de chance, la bouteille de Coca-Cola
glissant du plateau du serveur
ivre, ou fou (il fait si
chaud) est lointaine, l’ami
lointain

 
*
 

Deux clairs chemins qui se séparent,
ou se croisent (comme chez ce Nietzsche
que tu refusais de lire) ; deux fraises
sur deux fraisiers – l’un vivant, l’autre
mort depuis longtemps, faisant semblant
de vivre, de marcher à tes côtés, véritablement
hanté (longues tiges de métal enfoncées
dans sa nuque raide à ce fantôme
se tenant beaucoup trop droit)

 
*
 

Je me retournerai, il n’y aura plus
la fraise de ton regard

 

 

Deux footballeurs

I.
Roberto Baggio

Cygne à la Fiorentina, vaste, si vaste,
flottant dans la pure lumière d’un après-midi
d’avril napolitain, souverain – vraiment l’aigle
traçant très haut dans l’air des cercles de plus en plus
vastes – devint ce ver de terre à l’Inter, pâle
magicien, nain sortant de terre (son chapeau mou verdâtre
lui cache les yeux), couvert de boue violette, muni
d’une maigre lanterne – lui qui fut
lis martagon !

 

 

II.
Renato Steffen

Grand lièvre (neige
jaune fluo sur ce qui s’appela,
jadis, Wankdorf) ou pâle
petit fantôme (éternellement en nos
sombres couloirs traînant
sa chaîne), enfant
malade dans son trop
grand lit…

 

 

Trakl

Trèfle à quatre feuilles. Enfant,
mon tricycle jaune, rouillé. Le sol
carrelé de la cuisine. Les mains osseuses
de mon arrière-grand-mère tricotant,
immobile, muette, assise
dans son fauteuil pliant à grosses fleurs
orange et vertes. Jeu enfantin ; traquet
du désert

 

 

Soir

C’est un autre monde, celui
où la femme aux cheveux noirs, ou blonde, belle, mâche
un chewing-gum à deux centimètres
de ta bouche. Le monde, alors : une fraise,
une framboise au-delà des vitres du tram ruisselantes de pluie…

La bouche fermée maintenant, tu avances
lentement, muet, haché menu, feuille
de menthe au fond de cette théière à anse
de dragon. Ciel noir, veste noire
usée comme toi. Glissant le long
de ces rues pavées ne reflétant plus
nulle rose, ne crachant plus d’étincelles – et le soir
qui te découd patiemment, la pluie glaciale petit animal
mordant bientôt l’ultime fil rose

 

 

Je suis mort mais je sautille
dans ma morne prairie un enfant
dont la peau lisse, pâle, brille
plus que la corne du bélier

 

 

Dieu (fragments)

Ce que Dieu dit des nuages
nul ne le sait

 
*
 

Dieu : celui qui lâche la plume (ou ses crayons),
ne cesse de lâcher sa plume,
ses crayons –

le monde coloré par cette chute

 
*
 

Dieu est un feu
de feuilles au sommet
de cet autre feu : l’arbre
au soir, le chêne bleu, d’abord
rose, puis noir

 
*
 

Dieu petit triangle d’eau, d’air et de feu, sonnant
parmi les pierres

 
*
 

La petite pelle pour ramasser
Dieu en cendres –
Dieu enflammé –
la réinventer

 
*
 

Dieu arbre creux.
Hibou petit-duc
tous ces jours vides (leurs yeux
qui clignent)

Extrait de L’herbe rase, l’herbe haute, Editions Bruno Doucey, 2018

Skeletor

Enfant, Skeletor
est celui qu’il préfère. Sa capuche violette,
il l’aime, comme il aime se cacher derrière
le canapé bordeaux que son père déplace
pour peindre. Le bruissement du papier kraft,
les rides profondes. Le tapis aux longs poils
roulé un peu plus loin. Musclor l’ennuie,
avec ses muscles, sa culotte en peau de chèvre
le fait rire. Lui : Skeletor, les yeux
qui sortent de leurs orbites quand on pousse
une manette dans le dos, ou cet autre, hérissé
de piquants. Au pied du buisson de roses,
ou suspendu à une branche, ou rien
qu’une main, un bras violet dépassant
de la montagne de terre qu’il a faite sur eux,
avec délices, s’effondrer. Creuser,
il le sait déjà obscurément, sera
sa vie, écrire chercher l’épée
fluorescente

 

 

Rue Caroline

Deux tourterelles, rue Caroline sommet
de la rose trémière. Rues fraîches, au matin,
après que les machines-balais sont passées.
Nos rires, frais eux aussi, reflet
du soleil dans les fenêtres, extrême
pointe d’un peuplier derrière la façade, le soir
rosissante. Il faudrait être déjà vieux,
monter les escaliers en soufflant, tendrement
prendre des mains de celle qui fut reine
le sac à commissions. Les paquets en plastique
avec la sauge, l’aneth, les ranger
lentement, extrêmement lentement, dans le frigo
à côté de la barquette de saumon,
qui étincelle. Nous pencher à la fenêtre, deux
vieillards triomphants. Mais nous sommes presque
toujours jeunes quand nous aimons, vivants, désirant,
absurdement, vivre, construire et la foudre nous réduit
en ce petit tas de cendres

 

 

Montézillon

à Aurélie et David

Papillons dans l’ombre, tout un fouillis
d’herbes folles, hautes, séchées,
vrai tapis doré pour une reine
couverte d’or quand le téléphone sonne.
Elle me parle de Montézillon, de la vue
qu’elle a de son balcon : d’abord les blés,
puis la forêt, le lac où je voudrais tant
plonger ma tête (poésie épée
brûlante), les champs, puis de petites
montagnes, d’autres plus hautes, crêtées
de neige

                        La voix
du bonze, dorée elle aussi. Montézillon
est quelque part en Chine, ils ont raison
d’avoir déposé sur la table le grand
collier triste de Genève, les lourdes boucles d’oreille
de Rive, Plainpalais trop étroit à leurs poignets,
et sans joie. Être sortis sans faire de bruit,
sans que résonne la clochette
de leurs parents, de leurs amis. Séville
ne leur a pas plu, ce flot de touristes
à parapluies, ces magasins où l’on vend
d’absurdes châles (que tu aimais), savons,
criquets à accrocher au mur de la cuisine,
du salon. Une Alhambra miniature

                        Moi
j’attends, assis sous les grands cèdres qui vont
bientôt partir, glisser comme tout
glisse en cette vie, sur des rails brûlants,
que sèche la poésie – le papillon rouge brique
qui se pose sur mon genou, brille

Où tu soufflais (fragments inédits)

Des signes aux murs éteints de
quelque ville romaine, ensevelie

Céruse

Lait, louve. Babines violettes,
tremblantes dans la lumière du matin

Mystère de quelques coups de pinceau
descendant dans le ravin

Rome, une lanterne
un bateau d’enfant
sur l’eau violette,
à l’aube

 
*
 

Chemin vieux, monuments frais,
blanc de céruse, violet. Eternité
de la lumière. Ciel sans nuages

Fouillis fraîcheur

Berceau de ce ravin (Romulus caché
parmi les branches nues, silencieux
dans les broussailles)

Nid de branchages

 
*
 

L’alouette d’un unique clocher

Pas de présence humaine – palpite
le ravin

saigne

 
*
 

Ce qui s’effondre, nous berce

 
*
 

Miettes (Rome, au loin), mais
fraîches

 
*
 

Le papillon
de ses bras maigres

La vie
qui s’envole, revient
se poser à quelques pas de nous

facile

transparente

glacée

fendillée – pour que passe
le papillon jaune

 
*
 

Où tu soufflais, tu renais,
te relèves, rose, nocturne
berceau

Ton œillet,
ta nuit

 

Bibliographie

  • Les Rideaux orange, Genève, Samizdat, 2011.
  • Pierres que la mer a consumées, couverture et cinq illustrations couleurs de Fausto Cennamo, Genève, Samizdat, 2013.
  • À celui qui fut pendu par les pieds, Genève, La Dogana, 2014.
  • Vite, avant qu’ils disparaissent, Genève, Le Miel de l’Ours, 2016.
  • FH, suivi de À un joueur du FC Bâle et de La Neige au-dessus des mots, Genève, Samizdat, 2016.
  • Les Angles étincelants, Genève, La Dogana, 2017.
  • L’Herbe rase, l’herbe haute, Paris, Editions Bruno Doucey, 2018.

Page établie avec la complicité de Françoise Delorme


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