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Constance Chlore

vendredi 10 février 2023, par Cécile Guivarch

Née à Bruxelles Constance Chlore vit actuellement à Paris. Romancière et poète, elle a reçu le prix Yvan Goll de poésie pour son livre Atomium.

 

photo Mohamed Mahiout

L’ALPHABET PLUTOT QUE RIEN, extrait de L’Alphabet plutôt que rien, éditions Eoliennes, 2017

Il fallut recruter au hasard des escales dans les ports du monde entier
Hommes éprouvés, marqués plus profondément qu’au front
Buvez Buvez
Ce que j’ai risqué, osé
Embarqués durant trois ans
Happés par l’irrésistible course sur les mers
(Et femmes à la crinière sauvage crachant le feu comme elles feraient de l’eau)

Hautes nuits prodigieuses d’étoiles
Voiles hissées, les moteurs tournent
Ce qui advint au navire :
Ne pas livrer le nombre
Au hasard jamais vaincu
Croît l’épreuve, le danger
Les forces et le courage
Fuir le monde ?
On en est
Moulé dans « le parler »

Ils sont là Ils ont embarqué
En quête de ce qu’ils ne savent pas encore nommer
Cette gueule d’or
Les dieux viennent du langage et doivent y retourner

Ce fut alors le premier rêve : celui de l’alphabet
Le grand alphabet à jambe unique

Je t’écrirai un poème en forme de E

LA DIAGONALE DE L’ANIMAL, extrait de L’Alphabet plutôt que rien, éditions Eoliennes, 2017)

Je suis née de tes mâchoires rouges
Dès le premier regard tout est torche
Nous portons la double hache dans nos prénoms assemblés.

Cela ne dure pas, je repars.

Vol de toutes les feuilles
Dans l’air, et de toutes ses forces
L’obscur parfum me reprend
Face à ta crinière
La route tourne plusieurs fois aux virages du retour
Je vois autour de ton front rayonner l’ocre défi
L’Obscur L’Éclatant L’Envoûtant.

Ne pas hésiter au carrefour
Bruit clair de haches et de couteaux
Sur l’habile de tes lèvres, le sourire
De qui amène au cri.

Amour paré d’ardeur, amour aux rythmes lents
Tes mains comme deux bêtes agiles
Ouvrent le chemin
Le danger de la main :
Ton corps est mon chemin.

Qu’ai-je pressenti en pleine nuit ?
Le point de capture
Au lascif de l’été
Fragile venue des fleurs
Vers où se risquer.

LE MOT ORAGE, extrait de Le mot Orage, L’herbe qui tremble, 2022

Rien et ruines
vont vers l’ombre hérissée de rides sans
s’en rendre compte
Que s’est-il passé ?

Au fond du silence encore nommé :
obscurité
gisent trois poèmes

Poème 1 : l’amour
Poème 2 : le monde
Poème 3 : le poème

Je circule entre décombres et gravats
                  comme si la ville avait toujours connu cet état

Beau doux amour, Toi, la tant aimée
ce qui demeure en tâtonnant ?
L’éclat éclaté du premier poème de ton visage ailé

Poème 1 : l’amour
                  On enterre On enterre
                  le chant de notre amour
                  et, à la suite de l’aria enchaîné
                  je me lève dans la ville aux cheveux dressés

                                                      ÉCRASÉ DE SOUVENIRS
On enterre On enterre
le chant et l’amour barre le chemin
Je me perds à taire la mémoire, le chant
Je me perds, me perce une phrase m’appelle :
aimer ressemble à une aile

Quoi a brisé ? Quoi ?
Qui a frappé ?
                  Qui ?

Stupéfiante clarté
qui craquelle nue au soleil
Le visage de l’amour
ruine
ce que j’ai été


Dans cette ville de solitude et de soif
n’ont pas de sœurs n’ont pas de frères
(comme s’il y avait encore des frères)
main qui donne main qui prend

                                    DE FAÇON MENAÇANTE

Je suis perdu
                  dans le sommeil, dans les rêves
                                    le vent est venu
A soulevé
                  tout soulevé
                      a déferlé

                          TOUT RENVERSÉ

I I I L’infini ou les six lettres murmurées, extrait de Le mot Orage, L’herbe qui tremble, 2022

Je pensais pouvoir vivre dans le voisinage de l’eau

                       Eau limoneuse

                           Eau profonde, odorante

                               Eau scintillante, luminescente
Je fus projetée hors du voyage
                      Dans un couloir
Respirée
                          Tu es dans la déchirure
                          Un fond sans fond :
                          Par des airs froids

I I                  I I                  I I

I I                  I I

I                  I

I                  I I I

À quelle bouche sans nom appartient ce qui s’étend ?
Grandes bouches blanches
que n’arrêtent ni la faim ni l’étreinte

I I I I I I

I I I I

I I

I I II

J’avance et je penche
très précautionneusement
au long des tempes

Mirage
Virage

Ce qui s’ouvre :       Cette croissance       aux confins
Le silence du feu
La distance
Ta solitaire richesse

Dans la brûlure
originelle
Si haute. Haute température
Cette brûlure
Nous sommes cuits, carbonisés
à l’origine

« Michel Cassé : …Vus sous un certain angle, nous sommes un vase brisé dont chaque tesson a gardé l’étincelle.
Jean-Claude Carrière  : Une étincelle d’infini ?
Michel Cassé : Oui, l’univers a quelque chose d’infini en lui dès sa naissance, si l’on en croit la cosmologie.
Jean Audouze  : Personnellement, l’infini me gêne. L’infini physique n’existe pas.
Michel Cassé : Dans ce cas, si tu admets que la température peut atteindre l’infini, tu es dans une situation logiquement inconfortable.
Jean Audouze  : Je n’ai jamais dit que la température peut atteindre l’infini. J’aime un infini raisonnable.
Michel Cassé : Utopiste !
Jean Audouze : Au temps presque zéro, la température est énorme. Elle n’est pas infinie. L’infini n’a pas de sens physique. » (1)

JEUNE FILLE D’OR, Inédit

Toi, qui nous quittas d’abord par le langage
Jeune fille d’or, AuriPhée, adorée
J’écrirai sur toi
Dispersée en trop d’espaces

Telle l’initiale majuscule
Errant autour des signes

Nuit, qui pour chacun, sera l’épreuve
Les morts défient notre mémoire
Avec eux il nous faut vivre et croître
Avant que ne s’efface nos noms

Ce que nous avons été     Ce que nous sommes
Ensemble Clarté dans la clarté
Clarté dans l’ombre

Ce que nous faisions ?
AuriPhée, d’or, adorée
Nous liions les choses avant qu’elles ne se défassent
La mort hante ce qui se défait

Staccato
Amoureux plus qu’un peu
Le manteau de tes bras m’avait revêtu Je souriais à nos débuts
L’amour était tombé sur nous si brutalement

Nés de nos voix cachées
N’avions pas de nuit, n’avions que des ailes

Staccato, accords brisés
Le passé, le temps
La mort tomba sur nous si brutalement

N’ai plus que des nuits
N’ai plus que le sommeil
AuriPhée,

Ce tremblement des noms
Le langage est entre les hommes, se déploie avec tous nos noms
Et la mort vient dans les noms pour les faire éclater

− La mort ?
− Éclater.

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BIBLIOGRAPHIE

Poésie

  • Il faut penser à travers tout (A petits pas autour de Paul Nougé et par fragments), Maelström, bookleg 176, 2022
  • Le mot Orage, L’herbe qui tremble, 2022
  • L’air respirait comme un animal, Unicité, 2021
  • L’Alphabet plutôt que rien, Eoliennes, 2017
  • Atomium, Atelier de l’agneau, 2014 (prix de poésie francophone Yvan Goll, 2014)
    Publication collective
  • Svià di vinu L’autre route des vins du Castellu di Barricci, Fabulla, 2022
  • Anthologie Là où dansent les éphémères, Castor Astral, 2022
  • Anthologie L’intime, Unicité, 2019
  • Anthologie Le rêve, Unicité, 2018

Livre d’artiste

  • Une poète, un peintre, Fabulla, 2019
    Peintures de Pierre Zanzucchi ; poème de Constance Chlore

Roman

  • Alpha Bêta Sarah, Le Nouvel Attila, 2020 (traduction en roumain par Florica Courriol, Scoala Ardeleana, 2022)
  • À Tâtons sans bâton, Punctum, 2008
  • Nicolas jambes tordues, La Fosse aux ours, 1999

Autre
Jeu de cartes : La route des naissances, Fabulla, 2022
Photos de Constance Chlore ; graphisme Cécile Carer


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