Né en 1982. Auteur de Barbares, Les Gestes impossibles et Le cours des choses parus chez Flammarion. Il est le traducteur du Kojiki et du Shijing parus aux éditions Le corridor bleu et il est l’un des animateurs de la revue Catastrophes.
« Popée » (extrait), in Barbares (Flammarion, 2009)
Ô mes frères
emprisonnés dans les surfaces
dansant vagues reflets
je vois
les points de vues manquant notre
ville inachevée
je vois
glisser ô mes bagnards
quoi
un peuple
que j’aime ou
que j’aimais
« Chant du bouc » (extrait), in Barbares (Flammarion, 2009)
animal
tu vois de l’un
sort des mots comme ça
un peuple de mutants demeure
contenu dans la voix
sous les égouts
désormais ils soulèvent la grille
de la parole à
terre
ça tourne
l’âme des choseset même si les nœuds sont fragiles
j’admets l’existence
d’un lieu commun
où nous attendent
avec les mégots les rognures d’ongle
les pièces d’une monnaie qui n’a plus cours
tout ce qu’il nous fatigue de justifier les chrysalides
accompagnées des chansons
à réciter
« En l’honneur » (extrait), in Les Gestes impossibles, Flammarion, 2013.je chante
les hommes de soixante et onze qu’ont-
ils fait
il sont venus dans les habits des prêtres
à l’autel des églises ont parlé
ils nous ont dit qu’il n’y avait pas d’âmele rythme des paquets de mots les
phrases nouées sont écrites
dans la voix des petitsnos éclats perforent les mondes
l’esprit c’est le commun
l’onde sourde entre nous la rumeur
l’invisible manteau qui réchauffe du
peuple
la matière excédée le corps
tatouée par la pellicule des chosestous les soldats de marbre
rejoindront le bitume
même les nôtresles ancêtres sueront
dans la mémoirejusqu’aux fins de l’histoire cette fumée
épaisse
enfin qui ravala la scène au crépuscule des idolesà refaire :
votre demande n’est
pas celle de mortels disent-ils et
d’autres pleurentla démesure des peuples et celle des
enfants des dieux qui demandent
pareil
à se rapprocher du soleil alorsl’incendie
quand les points cardinaux de la terre
devinrent le cœur de proie des
flammeselle se fend se crevasse
privée de sève comme de sens
les pâturages blancset l’arbre avec ses feuilles est en feu
la moisson a séché
il y a pirela métropole est grande elle périt
le pétrole
c’est le négatif de parisquant à moi
je peux bien coudre aux routes qui la
sillonnèrent d’autres routes
les fragments de bitume piquetés par la
marche et la voix dans paris le
bitume en fusion redevenu pétrole
où nous nous engluons je peux biendire enfin
m’agiter dans la voix qui me tient
immobile et pareilleaux chansons qui fleurirent à leurs
bouches mal lavées
du sang de la pensée peut-être et sur
quellemusique danser
danserons-nous pour racheter leur
faute Allemane pleure Clemenceau
pleure mais qui peut dire pauvres
lignards ô pauvres pauvres lignards
s’il s’agit là d’un crimeune faute
allez vivent les chiens
« 10 », in Le Cours des choses, Flammarion 2018.Sauvez la face
les mots naissent dans des bulles de mais
qu’est-ce que cela veut dire ? faut-iltraduire le fond
des rivières jaunes — c’est de l’or
équivalent dollars — Hong-Kong dollars ?je crois que les prières ne feront pas
les totems s’élever, béton et verre, de la finance —retiens
que Petite-Rame n’est pas en haut
du soixantième étage sur un échafaudageque les ouvriers aux cheveux
plaqués par les trombes d’eau
n’entendent pas ses ordresa-t-il pris possession de moi ? la pluie
imprime de grandes coulées
de fatigue verte sur la langue — mafille de béton —
ma fille ! bien sûr j’invente (post-scriptum : pour l’instant) entre les murs des banques — palais de briques posés les uns après les autres, où se masse force
工人 au-dessus des platanes
et sans empreintespar des machines intérieures
le Centre de Shanghai est apparu entre les gouttes
qui dansaient : c’était l’eauqui bâtissait les murs en caressant la peau
de ce géant (comme l’a appelé l’agent intérimaire lorsqu’il vint au village pour embaucher les travailleurs
工人 de Chine, elle a dit
nous parlerons une langue commune
qui vous paiera au nouvel anvous êtes force de la terre
et nous nourrirons vos enfants
vous bâtirez là tour plus hautecar de mémoire les récoltes
mauvaises vous pouvez me faire confiance
je suis ta cousine et ton frèreles jambes des filles en gigantesque ville
connaissent le salaire du nouvel an
au bout de la jetée(
il faut laisser le monde
en train, pourtant, non pas le gouverner –un souffle errer dans les architectures
) ensuite :
elle a dit descendez bâtir cette montagnealors, de la montagne sommes
partis pour les baraques des chantiers articuler
ce langage de briques
pour percer le ciel, d’une villebureaux, hôtel de luxe, neufs jardins suspendus, magasins et station de mé
tro sur la
pageainsi qu’une autre histoire s’éloignant dans la steppe.
Sans adresse, Lurlure, 2018.
(18)
J’essaie de ne plus voir par-dessus mon épaule.
Je vais plutôt chercher le coin le plus pourri,
un restaurant aveugle aux pieds embouteillés
de la Yan’An, le bouiboui parfait, noir de mondeoù parler cinéma, chinois, littérature,
au milieu des voix criardes des ayi
postillonnées dans les vapeurs d’huile à jiaozi.
Nous avons discuté, bien des fois, de ces choses.Je me suis fatigué, je te l’ai dit, Jérôme,
à faire le malin. Je t’écris simplement
pour te donner le temps que je passe à t’écrire.Ne réfléchis pas trop, toi non plus : tu n’as qu’à
recevoir ce sonnet comme un lambeau de peau
arraché à mon doigt (en plus propre) – et c’est tout.(23)
Je te suis, Jean-François, quand tu écris qu’écrire
vaut plus que ce qui est écrit (traité, poème).
Dans une lettre du vingt-cinq avril de mille
neuf cent quarante-sept, Gaston Chaissac écrità Jean Paulhan : « J’ai peint comme d’autres se font
enculer. Bien des fois c[el]a ne sert à rien. »
Introduit mais, plutôt qu’à la beauté des Grecs : –
intransitivement. Créer – n’est pas faire œuvre.Créer – c’est le combat d’une énergie qu’excitent
les figures fétichisées par la culture,
et qui s’excite en vain, pour l’engrosser. Visageà terre, je ris à l’idée qu’un jour, peut-être,
aux formes résultant de mes échecs, un vague
Dionysos lui aussi présentera son culte.(56)
L’art poétique ayant produit maints théorèmes
atterrants, je ne vais répondre par des mots
définitifs à la question : pourquoi j’omets
de temps en temps, pourquoi je mets parfois des rimes.Aux lecteurs enflements plaisants, ce sont des strumes :
sans l’encouragement des vents, descends des mâts
les focs et les clinfocs, car ces lourds ornements
ralentissent la course au maniement des rames.S’accoupler pour la rime est un jeu d’acrobates :
devant l’œil du public médusé, le second
trapéziste rattrape in extremis un gantdu premier, évitant de mortelles culbutes.
Numéros faits pour rémunérer à coup sûr
les lecteurs ignorant d’un plus subtil plaisir.
Bibliographie
Poésie
- SANS ADRESSE, Éditions Lurlure, 2018.
- LE COURS DES CHOSES, Flammarion, 2018.
- LES GESTES IMPOSSIBLES, Flammarion, 2013.
- BARBARES, Flammarion, 2009.
Essai
- TERRE INCULTE. PENSER DANS L’ILLISIBLE THE WASTE LAND, Hermann, 2018.
- LE CHAMANE ET LES PHÉNOMÈNES, Éditions Lurlure, 2017.
- DE L’ÉPOPÉE ET DU ROMAN, Presses Universitaires de Rennes, 2015.
Prose
- LA FOSSE COMMUNE, Le corridor bleu, 2016.
- LE JAPON IMAGINAIRE, Le corridor bleu, 2014.
- L’EMPEREUR HON-SEKI, Le corridor bleu, 2012.
- CE MONDE EN TRAIN, La part commune, 2009.
- L’ARMÉE DES CHENILLES, Gallimard, 2007.
Traductions
- KOJIKI, Le corridor bleu, 2011.
- Shijing, Le corridor bleu, 2019