Terre à ciel
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Frédéric Tison

mercredi 15 juillet 2020, par Cécile Guivarch

Frédéric Tison (né en 1972 à Tarbes, dans les Hautes-Pyrénées) a publié une dizaine de livres de contes et de poésie. Il est membre du comité du Cercle Aliénor, cercle de poésie et d’esthétique Jacques G. Krafft. Il vit et travaille à Paris. Quelques-uns de ses textes ont paru dans les revues Les Hommes sans Épaules, Recours au poème, Ce Qui Reste, Arpa, Diérèse, Siècle 21 et Concerto pour marées et silence. Il est également l’auteur de livres d’artiste conçus avec des peintres, des graveurs et des photographes. Deux de ses poèmes ont été mis en musique par la formation musicale Le Fil du rêveur. Il est encore l’auteur d’albums de photographies, et s’adonne à l’encre de Chine et à l’aquarelle. Son blogue, suite de notes et d’images, est consultable à cette adresse :
http://leslettresblanches.hautetfort.com/

Extraits de Les Ailes basses, éd. Librairie-Galerie Racine, 2010.

*
MONAST ÈRE

Tout m’est monastère
Où Dieu me rêve
En or par la fenêtre
Et tout m’est la cellule
Où je rêve Dieu

*
CŒURS

J’aimais de lui la mélancolie claire
L’arbre de ses bras et toute l’aile
De ses conversations blanches. Son cœur
Était plein de pensées

Et comme le sien mon cœur plein de clartés

Le regarderais-je encore qui passait hautes et basses
Collines et vallées, son pied délogeant
Coccinelles, papillons, toutes les ailes –
Elles s’envolaient claires
Et la lumière était sourde et chantait
Sa lumière pour nos seules oreilles

Je ne l’aimais pas encore, mon cœur
Était mon ombre encore, encore
Mon tambour froissé, ma musique en fumée
Mélancolique tourbillonnante et j’avais peur

Et j’aimais en lui la mélancolie claire

*

Statue d’homme dans un beau parc vide
Drapée de pierre, et ton œil
Douloureusement vers le ciel – œil
Ailé ; œil envolé dans un visage de collines

(Je te dérobe en rêve pour mon château
Il luit du plus beau rêve de la vie.)

(Château de Champs, à Champs-sur-Marne.)

Extraits de Les Effigies, éd. Librairie-Galerie Racine, 2013.

*
L’AUTRE

Les fenêtres ont tourné leur regard
Vers lui qui songe que la ville est pour ses bras
(Que la ville est pour ses jambes et pour ses pas)
Partout il danse où il n’est déjà plus
S’il sait qu’un personnage clair
(Tandis qu’il passe, qu’il a déjà quitté la rue)
Se penche à la fenêtre qu’il ne regarde plus.

*
POÈTE DU TOIT

Sa pensée est un monde manqué
Et j’aime l’ombre où je le trouve
Hésitant dans le temps des arbres
Où je le sais captif tandis que j’arpente
De son visage la soulane et l’ombrée.

*
L’ÉPERDU

J’ai tant perdu dans l’Orphée des nuits
Pour y saisir une ombre plus que femme et musique
Si belle dont on croirait qu’une flamme
La dessinait avec l’or complice des nuits

Je reviens avec des bribes de pensées
Une bouche me recrache avec ses voix
Je reviens avec des neiges et des regards

Je reviens avec l’Enfer comme une pierre
J’emporte avec moi tous les instants sinon toute la perte.

Extraits de Le Dieu des portes, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2016, Prix Aliénor 2016.

*
Heurte à la ville lourde et claire, parcourue d’oiseaux et de tunnels — et frappe vite ! Nul n’y semble souffrir ; mais pour chaque passant il est un être — un corps, une âme même — qui va mourir derrière la vitre d’huile des fenêtres ; et tu n’auras rien vu, ou bien du gris ou du bleu — si tu n’entres en amant.

*
Il paraît que la ville est si petite depuis qu’on a coupé l’arbre mort ; on dit que le ciel y semble une affreuse blessure. On raconte que mes paroles sont la porte qui tremble, et que les milliers de visages s’attardant aux fenêtres sont miens.
On raconte encore que c’est moi, ce regard singulièrement bleu qui vous suit tandis que vous avez perdu la mer.
L’histoire de mon visage, paraît-il, est connue. Il paraît que je suis le miel de la ville — que je suis son sel et son froment... Il paraît que je suis vaste et léger, que l’on danse sur les dalles de mes palais, dans les plus hautes salles.
Il paraît que j’œuvre dans la clarté des regards — et même que le ciel, longtemps, a traversé l’évidence de mes yeux.

*
Je n’aurai pas été prévu dans le château — je n’y étais pas attendu. Toutes ses pierres m’étaient ronces et donjons. Leurs timbres sourds étaient comme ces voix que l’on entend au dehors et que l’on croit. Pourtant je me tins là, tremblant, il y avait quelqu’un… Je poussai quelques portes ornées. Je me glissai dans mille corridors ponctués de torches et de visages peints. Je passai sous des linteaux de bronze… Il n’était guère facile de reconnaître une voix amie parmi les salles éclatantes pleines de fausses reines et de faux rois.

*
Alors tu viens dans les villes précieuses. Tu les verses dans tes yeux — Qui regarde en toi est plus fort et plus léger que les vents.
Tu es à Ribadesella, sur la plage aux poussières d’ambre, sous un soleil qui ne te connaît pas encore.
À Florence en été se suspend l’arroi des anges sur les toits, et c’est encore toi, près du couvent San Marco.
Au matin Prague te voit dans la mélodie de ses ocres et de ses dômes verts ; Munich encore, sous la pluie d’été, dans le vent qui s’égare parmi les lignes droites.
Tu laisses un peu de lumière dans les villes précieuses dont une fois tu es le regard.

Extraits de Aphélie, suivi de Noctifer, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2018.

*
SELON TOI je suis le prince retiré dans le secret de tes tours.
Saignées dans les pierres, fenêtres brisées des chambres légères, eaux et ombres : sont-ce là tes propriétés ?
Dans tes lieux noirs j’ai rôdé, sur tes sommets, dans tes combes, sous un ciel dont tu ne savais les étoiles ni l’ombre où gisait l’éclat d’une nuit sans pareille.
Crois-tu prendre corps dans ta réalité ? Ta réalité ! Le vent souffle sur ta réalité, les herbes la recouvrent.

*
LARMES ÉTRANGES à l’heure
Où l’oiseau divulgue l’aube —
Cendres sur tes demeures, ailes
Au creux de tes mains, poussières
Dans tes pas : si tu montes
À la cime du toit, pour entendre
La corne d’autres rivages,
Le ramage d’un autre vent,
Les otages de l’horizon rose et d’or.

*
QU’IL EN SOIT AINSI de ta parole
Polie par le vent, émiettée par les saisons —
Dérivant parmi les ombres :
Elle est encore parmi l’or, telle Coré

Qui n’est pas là : comme elle est belle ! Tu éprouves
Sa voix : ses nappes souterraines —
N’entends-tu ce qui règne dans les avens ?
(Qu’elle aille resplendir sur la terre !)

Elle est encore parmi l’or, elle s’allonge encore
Dans le noir — et toute de cendre mêlée de lueurs
Lorsqu’elle revient boire entièrement le monde.
(Qu’elle aille resplendir sur la mer !)

*
AU TRIOMPHE DES TERRASSES et des balcons
Où tu laissas l’un de tes visages
Errer — Au règne de l’ombre
D’où tu te lèves. Aux neiges émues, aux pluies entrebâillées.

À la patience des sables. Aux aurores
Qui t’attendaient — À chaque port
Étourdi d’oiseaux, au Nord, à tout navire

— Une conque neuve t’annonce.

Extraits de La Table d’attente, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2019.

*
Conteur en sommeil, sable sous la mer, quand diras-tu ton âge et ton histoire ?
Ta chambre prend sa source dans une eau claire. Une montagne gronde en toi.
Conteur en sommeil, mémoire aux ailes neuves, y a-t-il quelqu’un derrière ce beau visage ?

*
Tu naquis d’autres sèves.
C’est ainsi que les jardins te parlent du soleil et les fleurs de l’astre noir qui habite ton cœur.
Sur ce chemin où ta maison dormait, tu sais toutes les neiges aux fenêtres et les lambeaux des chants dans les millions d’années.
Tu survins d’un ancien sang.
Sur chaque place de ta ville tu sculptes les dieux des fleuves.

*
Je suis ici le chant d’un autre pays, d’une autre fois, d’un autre port.
Je suis ici le jardin d’un instant. L’heure passe, et je suis chassé comme un mendiant.
Je suis ici l’histoire oubliée — j’ouvre des livres couverts de velours blanc pour y trouver la fleur inhabituelle peinte sur fond d’argent.

*
Revivre sur des terrasses où tu marchas — Hanter le sommeil de grands arbres — Croire te retrouver solitaire au labyrinthe des voix : c’est là mon œuvre claire.
Maintenant tu me soulèves — Tu ne me brises pas contre le vent.
Tu me fais branche et eau courante : c’est là ton œuvre douce et entière.

*
Des villes entières tu es le passager que taisent les oiseaux de chaque rue — mais tu quittes les villes, et voici qu’avec toi s’en vont tes fables et tes splendeurs.
(C’est lui, c’est lui que tu aimes — ses empreintes sur ton corps et tes draps — il s’en va lui aussi, parfois il n’est plus là — Il te révèle ta beauté, ton amour et ton miroir — Oh ! Ne jamais détruire la joie...)
Passager des villes entières et habitant du ciel soudain — Oui ! des villes entières le passager qui narre soudain la ville imaginée, où tintent toutes les amours.

Bibliographie sélective

Poésie

  • Anuho (Les Quatre Livres), éd. Larbaud et Cie, 2005.
  • Les Ailes basses, éd. Librairie-Galerie Racine, 2010.
  • Les Effigies, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2013.
  • Le Dieu des portes, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2016, Prix Aliénor 2016.
  • Aphélie, suivi de Noctifer, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2018.
  • La Table d’attente, éd. Librairie-Galerie Racine, collection Les Hommes sans Épaules, 2019.

Étude

  • Selon Silène. Étude sur la figure du satyre Silène, compagnon de Dionysos, avec un dessin de Sylvie Ledouxe, L’Harmattan, 2018.

Livres d’artiste

  • Carnet d’oiseaux, avec des encres et des gouaches de Renaud Allirand, Bibliocratie, 2015.
  • Rues gris sable, avec des images de Sylvie Ledouxe, Chez les auteurs, 2016.
  • Château transparent, avec des dessins de Damien Brohon, Chez les auteurs, 2018.

Liens

Notices sur l’auteur
http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Fr%C3%A9d%C3%A9ric%C2%A0TISON-379-1-1-0-1.html
https://editions-lgr.fr/tison-frederic/

Notes de lecture
http://lefraisregard.free.fr/tison.php
https://incoherism.wordpress.com/2016/05/18/le-dieu-des-portes/
http://revue-texture.fr/chemins-de-lecture-2016.html#tison
https://terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2017/02/fr%C3%A9d%C3%A9ric-tison-le-dieu-des-portes-par-ang%C3%A8le-paoli.html
http://www.lelitteraire.com/?p=33341
https://incoherism.wordpress.com/2018/04/04/frederic-tison-aphelie-suivi-de-noctifer/
http://www.lacauselitteraire.fr/aphelie-suivi-de-noctifer-frederic-tison-par-murielle-compere-demarcy?fbclid=IwAR02fKdedaGRW9DYd3eoms2OU0satHQ_Df_pqGJ_fJci9jts_44WUKHMXdE
http://salon-litteraire.linternaute.com/fr/poesie/review/1949973-frederic-tison-exercices-de-patience

Entretien
http://www.lelitteraire.com/?p=33471

Page réalisée avec la complicité d’Isabelle Lévesque.


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