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Véronique Daine

vendredi 10 janvier 2020, par Cécile Guivarch

Après un burn out qui -considère-t-elle- a sauvé sa vie, Véronique Daine a fait le choix de mettre au centre de son existence ce qui compte vraiment. Désormais, elle partage son temps entre moments de lecture et d’écriture, animation d’ateliers d’écriture, une activité d’art-thérapeute et de longues marches avec Sarak et Lola, ses deux grandes chiennes.
Véronique Daine vit en pays de Gaume. Elle est l’auteure de sept recueils de poésie, dont la Division des choses (prix Robert-Goffin) et Extraction de la peur (prix Marcel-Thiry).

Extraits de : R.B., Peintures de Carinne Carlier, (L’herbe qui tremble, 2010)

J’écris R.B. pour trouver l’impensable nudité.
J’écris la fin d’un siège, la débâcle d’une ère trop dure et trop sèche.
J’écris pour connaître l’écoulement.
J’écris l’écoulement.

                                        *

Je n’écris pas à R.B. ni pour R.B.
J’écris R.B.
Pour demeurer sans masque, sans la fatigue des masques.
Sans le tranchant de cette fatigue.

                                        *

J’écris R.B. pour toutes les femmes.
Pour leurs seins dans mes seins, leur ventre dans mon ventre, leurs mains et leurs silences.
Et aussi leur fatigue dans ma fatigue.
J’écris R.B. pour des femmes de Silésie.
Pour leurs bras croisés sur leurs seins.
Pour l’étrangeté de leur nudité à l’écran. Ou l’étrangeté de mon regard sur leur nudité.
Pour la peur et l’humiliation. Pour les gosses entre leurs jambes.
Et la fosse à leurs pieds.
J’écris R.B. pour connaître la reconnaissance.

                                        *

J’écris R.B. parce que la lumière d’ici le commande.
J’écris R.B. pour que se déploie la débâcle, la défiguration.
J’écris R.B. parce que je n’ai aucun autre nom. Et que Yvonne Havelange, Anne Boland, Myriam
Philippe, Hélène Gilmard,Marie-Thérèse Louchard,... et tous les autres noms n’y suffisent pas.
Pas même celui de Renée Baar.
Oui, j’écris R.B. pour que se déploie la débâcle.
Et que la débâcle soit bonne, et abondante.
J’écris R.B. pour que s’écoulent des miels. Et leurs sucres. Et leurs ambres.
J’écris R.B. pour la lumière des miels. Même ceux de Silésie.

                                        *

J’écris R.B. parce que R.B. réclame quelque chose comme la parole.
Ou moins que la parole.
J’écris R.B. et je découvre que dans cette écriture que je fais d’elle, R.B. n’est pas cette femme
que je crois écrire. R.B. est la dévoration qui se nourrit de moi.
J’écris R.B. dans le bouleversement obscur de qui cède enfin à la gueule qui le dévore.

Extraits de : Extraction de la peur, Peintures d’Alain Dulac, (L’herbe qui tremble, 2016)

toute petite nouvelle jacinthe sur le meuble à côté de la porte du jardin est-elle brune blonde ou rousse ou bleue comme une orange* je n’attends que son vert la folie de son vert dans la saison morimur comme je guette l’éveil de la tige chaude amoureuse contre ma hanche lorsqu’il est nuit noire encore dans la chambre hiver premiers battements de sève je guette la vie salive gavée c’est la saison je guette c’est janvier renoncements du corps et épuisements j’entre dans la saison je guette j’ai le désir espoir qu’un long poème une longue habitation d’absence ait aussi le désir de moi

                                        *

le 3 janvier c’est 652 jours entre onze heures et midi je prends le large avec ta mort et prenant le large je reprends pied ou vie c’est selon et aussi simple ça je le dois à Lambert Schlechter à son merle qui n’est peut-être qu’un corbeau et à la photo de l’illuminé beau fouillis de son bureau postée hier soir et je salue l’illuminé beau fouillis des galeries de nos têtes où s’enchevêtrent l’aphasie de ta mort Lambert ouvert aux livres et corbeaux éblouis et une langue enfoncée comme un doigt dans l’orbite de mon œil gauche et qui cogne dur contre la paroi de ma boîte crânienne

                                        *

j’ai famine d’absence j’écarte les rideaux cela je le dois aussi à Imre Kertész à sa conscience bruine et brouillard on est entré dans la nuit qui succède à la nuit j’ai rêve d’impuissance et langue plaquée au sol tension systole diastole perte et prédation le regard s’égare les jambes se fondent dans le coussin à carreaux posé sur la table et les jambes et le coussin se fondent dans la table basse qui se fond dans la terre et la terre remonte au ventre ses galeries s’abouchent aux galeries du corps aux veines caves on devine que reprendre conscience maintenant serait revenir à la prédation

Extraits de : Amoureusement la gueule, Dessins d’Anne Marie Finné, (L’herbe qui tremble, 2019)

[Page 13]

Faire mon matin ça soulage quelque chose dans le corps. C’est le souffle dans le ventre le regard qui ne voit n’entend n’y est pour personne. Ce sont les yeux sourds mi-clos comme si on dormait. Mais sans dormir. C’est gueule et ça soulage.

[Page 25]

Suspendue au cintre des épaules pour faire mon matin. Mais ça s’arrête à nouveau. Regard resserré pourtant. Souffle terré dans le ventre. Silence aux oreilles. C’est juin mais pas la pluie. La peur oui. Sans doute. Mais je ne sais pas si je la sens. Ce sont des choses de la gueule tout ça mais pas la gueule. Parce que ça s’est arrêté à l’épaule et qu’il manque amoureusement. Depuis la veille. Depuis les bois avec la grande chienne ou les magasins à la fin de l’après-midi c’est amoureusement qui fait défaut.

[Page 38]

Le repas du soir à prévoir. Les courses à faire. Le prix du carburant. Les 17 °C qu’on nous promet pour la semaine. Les allergies. Les allergènes. Et caetera et caetera. C’est le grand cirque de tête. Je le laisse faire. J’y cède. J’y vais dans le grand cirque. J’y vais à fond. Ça tient la gueule à distance et ça délivre. Il y a des jours comme ça.

[Page 46]

Un matin à sonder ce qu’il y a d’amoureux. Ce qu’il y a d’yeux sourds et jambes oubliées. De langue gueule. D’oiseau toquant cognant bouffant. Le ventre remué oui mais par les bêtes de la peur. Le souffle enfoncé nulle part. Ralenti rien. Que du contraire. Affolé le souffle. Affolé haut en gorge. Affolé comme poule affolée sur le billot. Affolant peur et bêtes de la peur qui remontent jusqu’au visage.

[Page 61]

Oiseaux déjà si affairés à la chose de durer. Quelqu’un se mouche dans la pièce voisine. Bruit d’un rasoir électrique. Dans la pièce voisine c’est bien trop près pour la gueule qui prend peur et s’effarouche. En alerte la gueule. En alerte et déroute pour disparaître sur le qui-vive derrière le visage. Demander tu as bien dormi ? Dire il y a du café dans le thermos. Faire une fois de plus comme si elle n’existait pas la gueule. Parce qu’une fois de plus j’aurai manqué d’amour pour elle.


BIBLIOGRAPHIE

  • Infirme est le nom, L’Arbre à paroles, 2003.
  • On parlera dans le vide, L’Arbre à paroles, 2004.
  • Glaires, L’Arbre à paroles, 2005.
  • Fin des révoltes et commencement des lettres, L’Arbre à paroles, 2006.
  • R. B., L’herbe qui tremble, 2010.
  • La Division des choses, Le Taillis Pré, 2010 (prix Robert-Goffin).
  • Extraction de la peur, L’herbe qui tremble, 2016 (prix Marcel-Thiry).

LIENS

Page préparée avec la complicité d’Isabelle Lévesque


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