Terre à ciel
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Pierre-Alain Tâche

dimanche 10 janvier 2021, par Cécile Guivarch

Pierre Alain Tâche est né en 1940, à Lausanne (Suisse), où il vit. Juriste de formation, il a été avocat, puis magistrat judiciaire (comme Jean Follain qu’il considère être l’un de ses maîtres et auquel il a consacré un essai). En 2002, il résigne sa charge pour se consacrer désormais à l’écriture, tout en restant actif, pendant une dizaine d’années, au sein de diverses fondations privées agissant, notamment, dans le domaine culturel.

L’essentiel de son œuvre est constitué d’une trentaine de recueils de poèmes réalisés, pour certains, en collaboration avec des peintres (tels que Jean Otth, Jean-Paul Berger, Martine Clerc, Claire Nicole, Pierre-Yves Gabioud ou Claude Garache). Une Réponse sans fin tentée rassemble ses écrits sur l’art. Parmi les autres proses publiées, on prêtera attention au premier volume de ses carnets, Champ libre I, disponible depuis le printemps 2020. La Revue de Belles Lettres, dont il a été l’un des responsables pendant dix-sept ans, a donné l’essentiel de ses textes critiques. Il a collaboré à d’autres publications, telles que La Nouvelle Revue Française, Argile, L’ire des vents, Sud, Autre Sud, Po&sie, Sources, Conférence, Arpa ou Écriture.

Après avoir obtenu le Prix Schiller, en 1974 et 1984, il reçoit, entre autres, en 1991, le Grand prix du Mont Saint Michel (aujourd’hui : Grand prix international de poésie Guillevic-Ville de Saint-Malo), puis le Prix Roger Kowalski, Grand prix de poésie de la ville de Lyon, en 2010, pour La Voie verte.

Dans la rubrique que lui consacre le Dictionnaire de poésie de Baudelaire à nos jours, Marion Graf, s’exprime, notamment, en ces termes : « Poète du lieu dans la lignée de Roud et de Jaccottet, mais proche aussi de Bonnefoy, Tâche envisage la poésie comme une expérience conduisant au seuil d’une connaissance. (...) Dans son élégance et son jaillissement musical, le lyrisme de Tâche allie générosité et vigilance, ampleur et vivacité légère, et s’inscrit dans la proximité de Jacques Réda. »

Extraits de Le Jardin du Midi suivi de Temps sauvé, L’Aire, 1984

Mais il faut dire aussi que c’est l’après-midi
– et l’obscurité court au long des haies
comme les bêtes du dernier couchant ;
et la lame du vent cisaille entre les fentes.

Les herbes sur le toit célèbrent sans frémir.
Tout ce qui, d’ici, se déprend et s’éloigne, étire le temps
du cœur, si l’on entend par là ce peu de vie en nous,
qui se souvient.

À peine si je puis remettre à droit fil
leur absence soudaine – et dont on ne sait plus
si, soyeuse, elle vibre ou si son drap s’effile.
À peine si je vais chercher les mots dessous les buis.

La verdeur entre dans les pierres.
L’oiseau caresse, de son chant, la nuit
féconde – et l’orage du rêve sur les feuilles,
comme absoute de l’impudent, qui a cru voir.

Quel détour, quelle feinte serait-ce encore ?
Au réveil, la lymphe de l’encre est en deuil.
Ce qu’il disait énigme, à nouveau libre,
accroche à la fenêtre un pan d’obscur
et sa trame est tout un, vivante et morte.

S’il pleut, ce sont à nouveau cendres
opaques dans la paume, une poudre de riz
sur le visage aux yeux beaucoup trop blancs.

Ainsi dans l’invisible, et le portant,
la lumière a sa part de larmes, l’instant,
cet instant dure encore, où je suis seul
– et ce qui reste n’est pas peu, dans ce silence.

La caillasse, à nouveau, couve un feu, irradie,
et l’ombre monte de la terre et demeure
(même si la mémoire n’est pas ainsi nommée)
comme au jardin, après l’ondée, une fraîcheur.

Extraits de Buissons ardents, Éditions Empreintes, 1990

Si je célébrais, c’était comme un don,
c’était affirmer le don sans vergogne.
Et le matin roulait de la crête à ma porte,
aussi silencieux que le nuage,
ou, si je me taisais, saluant
la créature, il m’arrivait de m’abuser :
j’étais soleil, orage et fenaison,
quand le pré tend encore à durer,
quand l’abondance est au sommet du jour.
Un flot de larmes retournait mon fonds.
Le gel était en ma maison
comme à l’enclos qu’un fléau démunit
des vapeurs pâles d’un troupeau.

Je sus alors que ma bouche est exil
et que ma lèvre exerce sans savoir.
J’appris à prendre l’étoile à témoin,
la voie lactée pour chemin.

Homme de peu de foi, je tremble en espérant
le violent souffle qui m’arracherait
à la raison que j’entends hululer,
à l’esprit de géométrie, à la peur.

Je veux encore et jusqu’au bout tenter
l’éprouvante invention du sacré.

Extraits de Noces de rocher, Éditions Empreintes, 1993

UN ANCIEN GUÉ

Toujours, le même, étroit ressassement,
qui broie la fraîcheur de l’ortie
et les jeux, jusqu’au retour des chèvres.

Il voile et dévoile, à la fois.

La seule aimable énigme a sa racine
en terre humide – et, lentement, pourrit.

Je ne cours plus sur les sentiers perdus.

L’usure du regard est moindre, ici.

L’enfance se resserre au bout d’un pré,
dans un tas de cailloux que veille encore
un œillet rose, au creux de l’herbe sèche.

La chaleur dort et ne s’épuise pas,
qui maintient sec un ancien gué
que j’avais tenté sur l’aride au temps
où l’on ne tient pas compte de l’hiver.

Louer l’amont serait faiblesse :
il dérobe, empêche de renouer
avec un soleil jeune et la lumière
où fouler le regain, les pieds nus.

C’est ainsi que le souffle avait prise
et que j’ai pu parler avec accord.

Que de mélèzes sont tombés, depuis !

On ne peut plus passer de l’âge tendre
à la roche, avec, pour appui,
le seul fagot d’écarts faciles à serrer.

La montagne est forte et ne peut céder :
elle dure, elle n’a que faire d’un collier
de mots changés en perles pour les morts.
Elle s’éloigne, sans s’éloigner, devant
la main qui a fait signe sur le blanc.

Extraits de Reliques, La Dogana, 1997

Un pur miel d’acacia rayonne, avec le soir. Il coule entre les toits.
Au bas de la piola, les femmes, sur les seuils, transposent le médaillon du bain turc en ombres qu’assagit le denier vêtement du jour.

Tronc vigoureux que l’on dépose,
à même le linceul,
aux fins d’aumônes dérisoires,
le Christ à demi surgi
d’un tombeau d’asphalte et de vapeurs,
sur le Corso,
vocifère en silence,
insoutenable – et qui le voit ?

       (Un mendiant infirme, sur le Corso)

Pourquoi cacher ainsi sa sépulture ?

Il est sans doute retourné
dans sa chambre d’enfant
– tout contre le rocher.

(Deux tourterelles pour le garder !)

Si la nature, l’ayant perdu,
craint de mourir, comme il est écrit,
jette une rose vivante au tombeau !

       (Tombeau de Raphaël, au Panthéon)

Extraits de Nouvel état des lieux, Éditions Empreintes, 2005

Ce qu’ailleurs j’ai cherché

(la parole incréée, si l’on veut
– mais à quel poteau de verdure
ont-ils exposé le poète et criblé
ses chants de feu, parachevé
l’abrègement de la vie brève ?)

ici, murmure ou palpite à fleur d’eau,
retranchant sa part étroite de ciel
entre cyprès et porches de thuya,
jusqu’au fond des jardins où se dérobera
(comme au trop-plein leurs bassins)
l’incertaine et paisible présence.

À WEIMAR

Sur les anciens fossés comblés,
dans l’allée où naquit un chant de liberté,
Au cygne blanc, à L’éléphant,
sur les pavés autrefois empestés
(pas de l’oie, bras levés),
dans l’enfilade aux couleurs vives,
où dorment les fossiles et les antiquités,
devant le piano fermé du salon,

insensiblement, nous allons
vers une plus grande lumière.

LE MUR

Tu n’étais pas venu pour le voir
et tu le vois, dans la brèche, dans la jachère,
écrit, par usage de liberté, ailleurs peint.

Il est partout dans les esprits.
Ceux qui l’ont rasé, dit Kunze,
n’avaient aucune idée comme il est haut
en eux, quand bien même il est devenu
non visible, immatériel, abrogé
parfois même enterré vivant
sous la gerbe éclatante des tours.

Pour nous, qui le voulions détruit,
il resurgit sans fin sur la lisière,
au-delà d’un pré nu qui vit courir ces morts
qu’aucun archet, aucun poème ne peut plus
retrancher, maintenant que, nous aussi,
nous voilà dépouillés / de toute excuse.

Extraits de La Voie verte, Éditions de la revue Conférence, 2010

LES SAISONS DE LA BERBIE

L’éponge de leur tête est encombrée de mousse
et, dans la grotte de leur corps,
faiblit le bruit d’une mer dont le flux
ne peut plus remonter jusqu’au toit du palais.

Les Saisons veillent sur les buis.
Elles ont tourné le dos pour ne pas voir,
sur la berge, au bas du rempart qui les soutient,
les rouleurs de pétards aux gestes de vieillards
– et quand passe une nymphe bleue,
qui court, cheveux au vent,
ils lui disent : « C’est le printemps ! Arrête toi ! »
(mais elle sourit, filant d’un vol de libellule).

Entre les losanges taillés, un jaune intense
avive les desseins du voyageur ; et quand il songe
à gagner l’autre rive avant la nuit venue,
voilà qu’il croise un couple adolescent,
qui mord la vie à bouche que veux-tu,
trouvant un appui tendre au socle de l’Eté.
Il voudrait bien, soudain, rester dans le jardin,
mais l’Hiver, dans le temps même où il se souvient,
l’en chasse d’une main de pierre.

UN CALVAIRE

Le vert de l’herbe est bien trop gras
pour un calvaire, où le petit troupeau
monte gaîment sans coup férir.

La montagne a les plis d’un vieil accordéon,
dont le soufflet retombe, à bout de souffle

– et c’est l’ultime écho d’une respiration
qu’aura perçu le pénitent, entre deux croix ;
et quand il arrive au sommet,
des veaux sages comme des nuages,
mais curieux comme de jeunes anges,
l’accueillent dans le pré du ciel.

DES ÉTOILES DANS LE NEZ

Les veaux ont des étoiles dans le nez,
qui les empêchent de téter
le lait du poème encore chaud
que le marcheur est venu leur offrir.

Les veaux pataugent dans la boue
au bout d’un champ qu’ils ont franchi
dans un désordre très joyeux,
car ils aiment la compagnie,
pour former une haie fumante, devant nous,
comme font les enfants des écoles,
quand passe, en coup de vent, un président.

Mais, à y regarder de plus près
(au point où nos haleines se confondent),
c’est nous qui rendons les honneurs.

UN TIGRE DANS LA CITADELLE
      pour Frédéric Wandelère

Le tigre, en ce haut lieu, n’est pas
caché dans les méandres d’un moteur,
mais dans ceux d’une citadelle où il rôde
ou dort (mais pas vraiment, car il espère
un coup de vent qui le rendrait à la steppe neigeuse,
où subsiste le sceau meurtrier de sa patte).

Il ne bondit pas, car le souvenir est fugace :
il tremble dans son demi-rêve et singe,
en plus grand, j’en conviens, ce que fait en rêvant
la chatte qui gouverne en mon jardin.
Le néon de sa queue bicolore illumine,
à l’autre bout d’un couloir sombre,
un passage qu’elle interdit à ceux qui monteront
vers le modeste enclos des ânes gris
(chasse-mouches aux yeux si doux).

Il ne sera donc pas question, pour nous,
de croiser son regard de tueur
– mais il se peut que nous pensions
à celui qu’avait, m’a-t-on dit,
le géant résistant d’Aromates chasseurs !

ULYSSE DÉJÀ
       à Frédéric Jacques Temple

Maguelone, au-delà des pins :
sa prière est tournée vers la mer
pour le repos des vignes vendangées !

Sur la plage méconnaissable,
enfin rendue aux cris de son premier matin,
le large est notre juste dimension.
L’esprit respire un air venu du secondaire
et le regard est frais ; l’oreille écoute un chant,
qui naît à l’autre bout du monde :
il s’apparente au vol d’un papillon.

Un passereau se pose sur la dune
où l’herbe sèche tremble un peu.
(Tu en connais le nom comme tu sais aussi
celui des grands oiseaux marins, des poissons argentés.)
Je ramasse des galets doux, aux couleurs de dragée.
Le ressac est assourdissant.

Tu fais face à la houle, en te redressant,
et tu dis : « Ulysse, déjà, entendait cela ».

Extraits de Dire adieu, Éditions Empreintes, 2013

NÉCESSITÉ DE LA BEAUTÉ

Si j’avais su ce qui est « nécessaire »,
lorsque le temps des charlatans
et des fossoyeurs est venu,
j’aurais pu saluer la beauté
sans encager ma voix
sous le boisseau du peu.
Car je n’ai jamais eu
la légitimité souffrante du malheur.

Oh ! je ne vois pas pourquoi j’ai douté.
épiant la respiration d’un monde,
où j’avais dessein d’exister.

J’aurai perdu des ans précieux.
Je crois encore possible de tenter
l’excès terrible – à jamais redoublé !

LE DEVOIR DE LOUANGE

Dans l’embellie à peine moins frileuse,
où tremble un vol de moucherons,
je vis dans l’échancrure des bourgeons.

On dira qu’une abeille m’égare :
des fleurs, encore des fleurs...
Et qu’en est-il des cris, des pleurs,
des vies que l’on vole aux quatre vents ?

J’assume la futilité de ma bouche.
Elle ne fut jamais infidèle
aux leçons de l’insecte, au devoir de louer,
dans la tourmente de mon temps
– et quand bien même j’entendais.

Car le pire eut été, face à l’horreur,
de renoncer ; et d’éconduire la beauté.

LA REDITE

L’écrit, sur la montagne

(et le soupçon me vient
d’avoir usé des mêmes mots
à la lointaine école du matin)

par pures pertes liquoreuses,
s’épuise plus qu’il n’est effacé.

Qu’ai-je à reprendre ainsi
comme si j’étais enfin
à deux doigts de comprendre ?

La redite me dit que j’ai gardé l’espoir
qui fut mien, quand je déchiffrais le monde
– et que l’âge a brouillé le message.

AU LECTEUR

J’écris pour un air augmenté du souffle
où tu reprendras pied, plus tard,
là où je crois être, où je suis.

J’écris pour partager le pain levé,
la gerbe en feu de l’inouï,
pour nouer l’invisible au songe
où faire un gué,
si je peux espérer ton passage.

Et quoi que tu attendes de ce don,
sache-le : j’écris pour voir.

LE CHANT PROFOND
       à Jacques Chessex I.M.

Qui se conforme au chant profond
reste présent dans le jaillissement :
il se confie aux sources non taries.

Qui cherche dans la soute
ou dans la nuit profonde de la chair
aspire à la lumière
et peut songer à se tourner
vers la sora nostra morte corporale
(notre sœur, la mort, oui, notre sœur).

Et maintenant que le renard
n’a plus part au festin de l’aube, il y a
cette dernière lettre, arrivée tard

– mais je me souviendrai de la fauvette :
elle zinzinulait de ta porte à la mienne
et nous évoquions sa ferveur
comme une chance offerte à la voix claire.

Les livres, désormais, batailleront dans l’air.

Extraits de La Quête continue, Éditions de la revue Conférence, 2016

SOUS LA PUNTA DI CORBO

J’irai, dans ce lit de fougères où bruissent des ruisseaux luisants comme des couteaux, traquer la trame d’un poème aux tons d’ambre, d’or brun, de tabac. J’irais si je savais comment entrer dans la tapisserie de l’automne, où ressortir avec, au creux des mains, la preuve vive que les nymphes n’ont pas fui.
J’aurais pu, sans nul doute, aller ; mais j’ai vu les runes et les troncs coupés, l’écriture des fonds trahis, lorsque l’eau se retire et laisse des indiennes pourrissantes sur la page d’un sable incertain. J’ai craint alors pour ma parole. L’hiver déjà guettait sur des lointains neigeux.

LA HALTE DE SAGONE

Ce fut, peut-être bien, le dernier suspens du voyage. Un calme lumineux régnait. Je me tenais dans l’angle mort d’un virage où guetter le bourdonnement d’un moteur – et c’eut été, peut-être, un messager. C’est ainsi que j’ai pris congé.
Je regardais les volets bleus de la maison d’en face : un hôtel déserté, dont l’étrave d’un angle entrait haut sur la mer. Un rocher noir fermait le paysage et contenait l’élan de la clarté.
Le monde entier tenait dans cette brèche étroite où ceux que j’aime se baignaient sur une plage libre comme l’air. Je ne les voyais pas. Mais je savais la densité du monde, à laquelle j’étais accordé, sans faille aucune. On eut dit que l’instant durait.

LE TROISIÈME ÂGE

Dès les premiers jours de printemps, l’île est au fait que l’invasion ne va désormais plus tarder.
Mais pour l’heure, et malgré la verdure, une vague tristesse étouffe un front de mer entier. Et, sur la promenade, où pavoise, en plein jour, l’éclairage public, on croise la voirie et des rentiers bien mis que tenaille en secret la peur de voir monter sur l’horizon la voile noire ou la barque à fond plat du passeur.
Parfois, la plage abrite un sphinx auquel il serait fou de donner la réponse. Il faut garder silence, éviter de mourir, attendre patiemment la migration de Pâques et ses volées d’enfants – hirondelles de mer, dont le troisième âge aime tant les rires et les cris perçants.

UN CAPRICE DE GOYA

Sur une encoche d’ombre, un cheval blême enfourche la clarté laiteuse du vallon. Et, dans le ciel, le bleu de Prusse est en voie de gober l’œuf de la montgolfière. Ah ! quelle chute alors, si j’y restais !
Voilà pourquoi, m’étant évadé du regard, j’ai songé me substituer, dans les airs turbulents, à la corneille chevauchant un taureau fou, d’un même blanc, mais qui va l’amble ! Il y avait aussi un âne et d’autres créatures avec lesquelles, pour rien au monde, je n’aurais voulu conférer.
Voilà pourquoi je suis resté, bien que moins apeuré que leur foule crédule, avec les autres, sous le grand rocher qui, depuis, m’a gardé des rêves mauvais.

SOUVENIR DE FOLLAIN

Dans le plan de la ville, la géométrie du rêve étirait ses haies vives et ses chemins de terre. Et même s’il n’en soufflait mot, il arrivait parfois, dans un pauvre travers, qu’un malingre pommier l’attrape par le bras, au sortir d’une agape. Il y goûtait le cidre d’un discret rappel.
Il lui fallut des mois pour rejoindre un jardin, dont les verts alignements lui pesaient. Il avait ses raisons : car pour lire Mallarmé, il préférait un square du XIVème. Et puis, il lui faudrait le temps de retrouver, sous la pelouse rase et le gravier des Vosges, le présent du poème.
Mais où vivait-il vraiment ? J’aurais bien fait d’aller, malgré tout, où je sais que pourtant il n’est plus. Tout aurait pu durer.

Extraits de Clarté des pertes, Éditions Empreintes, 2020

UNE FERVEUR LUCIDE
      pour Heather Dohollau I.M.

L’envers du monde
(elle eut dit volontiers : l’invisible)
exige les yeux clairs
et la ferveur lucide qu’elle avait !

N’a-t-elle pas pratiqué des gués
que nul n’aurait courus ?
Le goémon blanc frémissait
dans le flux de sa voix.

C’était sur l’île écartelée,
où elle repose maintenant
entre ajoncs et genêts.

Ayant choisi la langue,
elle eut à cœur de déconstruire
et de ménager l’intervalle.

Pour trouver la bonne distance
et recueillir les traces, les éclats,
dans l’inconstance de l’adret.

La part cachée trouvait refuge en elle.
Écrire n’était pas nommer,
mais apprivoiser la présence.

Sur ce mystère, elle se taisait.

Aucune énigme n’aura pu
l’arrêter, elle qui fut aussi
sur les sentiers d’Hélène.

Elle savait s’allier l’évidence.
Elle osait frapper à la juste porte
et porter témoignage.

Elle avait vu les gouffres, les jardins,
les bogues sous les châtaigniers,
obtenant, un matin de pluie,
d’aller jusqu’à la chambre bleue
et d’y entrer pieds nus.

Que feront désormais les oiseaux
au ciel de lit de son jardin salé,
qui mariaient pour elle
vents de mer et nuées ?

La venelle est vide, aujourd’hui,
où l’heure heureuse déposait
tant de Mots écrits, en suspens
Sur la blancheur perpétuelle.

– oui, tant de mots risqués
pour l’aumône d’un sens,
octroyé, lumineux,
devant les portes de l’obscur.

BIBLIOGRAPHIE (reprise de Wikipédia)

Poésie

Greffes, Cahiers de la Renaissance vaudoise, Lausanne, 1962
La Boîte à fumée, Cahiers de la Renaissance vaudoise, Lausanne, 1964
Ventre des fontaines, Éditions L’Âge d’Homme, Lausanne, 1967
Herbier des failles, illustrations de Jean Otth, 1969, Julien Bogousslavsky, éditeur, Lausanne, 2005
La Traversée, Éditions Payot, Lausanne, 1974
L’Élève du matin, Bertil Galland, Vevey, 1978
L’Inhabité, Bertil Galland, Vevey, 1980
Les Instants du regard, en collaboration avec Jean-Paul Berger, Éditions Solaire, Issirac, 1980
Le Jardin du midi suivi de Temps sauvé, Éditions de l’Aire, Lausanne, 1984
Le Dit d’Orta, La Dogana, Genève, 1985
Poésie est son nom, L’Alphée, Paris, 1985
Présent composé, L’Apprentypographe, Harnoncourt, 1986
Les Yeux du temps, en collaboration avec Maurice Blanc, photographe, Au Verseau, Roth & Sauter, Denges, 1988
Le Mensonge des genres, Éditions de l’Aire, Lausanne, 1989
Buissons ardents, encres et dessins de Jean-Paul Berger, Éditions Empreintes, Lausanne, 1990
Noces de rocher, dessins de Martine Clerc, Éditions Empreintes, Lausanne, 1993 (épuisé)
Jour après jour, Éditions de l’Aire, Lausanne, 1993
Celle qui règne à Carona, avec deux aquatintes de Gérard de Palézieux, Éditions Brandes, Roubaix, 1994
Le Rappel des oiseaux, Éditions Empreintes, Lausanne, 1997
Reliques, La Dogana, Genève, 1997
L’État des lieux, Éditions Empreintes, Lausanne, 1998
Quatre poètes, (Pierre Chappuis, Pierre-Alain Tâche, Pierre Voélin, Frédéric Wandelère) Éditions l’Age d’Homme, Lausanne, 1998, collection Poche suisse n°172
Chroniques de l’éveil, préface de Patrick Amstutz, L’Aire bleue, Éditions de L’Aire, Vevey, 2001
L’Inhabité suivi de Poésie est son nom et de Celle qui règne à Carona, Éditions Empreintes, Moudon, 2001
L’Intérieur du pays, préface de Christophe Calame, Éditions L’Age d’homme, Lausanne, 2003
Sur la lumière en Anniviers, dessins de Martine Clerc, Éditions Empreintes, Moudon, 2003
Bruissements, sur des fusains d’Alexandre Hollan, La Pierre d’Alun, Bruxelles, 2005
Nouvel état des lieux, Éditions Empreintes, Moudon, 2005
Roussan, Éditions Empreintes,Moudon, 2006
Forêt jurée, pastels de Martine Clerc, Éditions Empreintes, 2008
La Voie verte, avec une gravure d’Edmond Quiche, Éditions de la revue Conférence, Trocy-en-Multien, 2010
Dernier état des lieux, Éditions Empreintes, Chavannes-près-Renens, 2011
Fresque avec ange, La Dogana, Genève, 2012
D’après l’Obscur, pointes sèches de Catherine Bolle, Éditions Traces, Genève, 2013
Dire adieu, avec une couverture de Pierre-Yves Gabioud, Éditions Empreintes, Chavannes-près-Renens, 2013, traduction allemande par Markus Hediger : Dire adieu / Abschied nehmen, Zurich, Wolfbach Verlag, 2017
La Quête continue, gravure et vignettes de Martine Clerc, Éditions de la revue Conférence, Paris, 2016
Venise à main levée, Le Miel de l’ours, Genève, 2016
Élégie d’Ayer, lavis de Claire Nicole, Éditions Empreintes, Chavannes-près-Renens, 2017
Ailleurs commence ici, Éditions de L’Aire, Vevey, 2018.
Cor magis, avec des lithographies de Claude Garache et une préface de Bernard Noël, Les Amis du lLvre contemporain, Paris, 2020.
Clarté des pertes, Éditions Empreintes, 2020.
Autres avancées, gravure et dessins de Catherine McCready, Éditions Conférence, Paris, 2020.

Prose

Rumeurs sous images, Le Déluge, de Charles Gleyre, et Polyphème, d’Emile David, « Arrêt sur image », Les Amis du Musée, Lausanne, 1994
A hauteur d’instant in Arts poétiques, La Dogana, Genève, 1996
La Langue et le politique : enquête auprès de quelques écrivains suisses de langue française, éd., conçue. et préfacée par Patrick Amstutz, postface de Daniel Maggetti, Éditions de L’Aire, Vevey, 2001 p.21-24.
Une poétique de l’instant, Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, 2006
Notre « maison », vraiment ? in Le français, notre maison, Éditions Zoé, Carouge, 2010
L’Air des hautbois : variations sur la Folia, Éditions Zoé, Carouge, 2010
Un lied à mots couverts, in Un visa donné à la parole, La Dogana, Genève, 2011
L’Idée contre l’image, Éditions Zoé, Carouge, 2013
L’Ombre d’Hélène, suivi de La fausse morte, Éditions Zoé,Carouge, 2015
Une Réponse sans fin tentée, avec une gravure de Claude Garache, L’Atelier contemporain, Strasbourg, 2015
Vues sur Cingria, Éditions de L’Aire, Vevey, 2020
Champ libre I (Carnets 1968-1993), Éditions de L’Aire, Vevey, 2020
Pourquoi Follain ? Éditions de Corlevour, Clichy, 2020.

Page établie avec la complicité de Françoise Delorme


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