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Danièle Faugeras

mardi 7 avril 2015, par Roselyne Sibille

Danièle FAUGERAS vit et travaille à Liouc, dans le Gard. Elle partage son activité entre poésie, traduction et édition.

Son activité de traductrice, d’abord centrée sur des textes de clinique psychiatrico-psychanalytique (une vingtaine de volumes traduits à ce jour, pour la collection “La Maison jaune” qu’elle codirige depuis 1998 aux éditions Érès mais aussi pour les Éditions des Femmes, Naïve, etc.), est consacrée exclusivement à la poésie depuis 2006, date de sa rencontre avec Pascale JANOT, avec qui elle traduit régulièrement à quatre mains depuis l’italien (Patrizia Cavalli, Paolo Universo, Leonardo Sinisgalli...) et le japonais (Issa). Seule, elle s’est engagée sur des chantiers de longue haleine, retraduisant à une seule voix l’œuvre poétique complète d’auteurs espagnols comme Antonio Porchia (PO&PSY in extenso 2013) et Federico García Lorca (PO&PSY in extenso à paraître).

En 2008, elle a créé aux éditions Érès avec Pascale JANOT la collection de poésie PO&PSY, qui fait dialoguer des textes poétiques brefs de tous lieux et temps avec des œuvres graphiques et photographiques contemporaines.
(www.poetpsy.wordpress.com)

Son travail propre avec les mots, nourri de silences et de contacts quotidiens avec les éléments de la nature, lui a permis de découvrir que « monde externe et monde interne » ne font qu’un, un réel unique inaccessible, certes, mais qui se laisse parfois approcher par un regard « détaché », consentant à son incompréhension.

De Ici n’est plus très loin (La Part de l’Œil, Bruxelles, 2001) à quelque chose n’est, (Lieux dits, coll. Deux rives, Strasbourg 2014) *, elle a publié plusieurs recueils de poésie aux éditions Encre et lumière, Propos2Éditions, Recours au Poème éditeurs, ainsi qu’en revues (L’Atelier, Vocatif, Voix d’encre, Revue Alsacienne de Littérature, Recours au Poème...). Certains de ses poèmes ont été traduits en italien.

(* Voir en fin d’articles les notes critiques de Gaspard Hons sur ces deux recueils qui encadrent l’œuvre de Danièle Faugeras.)
 ?
Extraits de Ici n’est plus très loin

Éclats de vue I

De bleu
et de vert

____ : lumières

D’immatériels éclats.

Verte la mer
immobile
____à midi.

Chauffée au vert.

Plage poussière
de soleils
____unanimes

(égrenée
perd son compte
dans le découlement d’un identique l’autre
chaque fois différent.)

Entres ses marbres
infimes
____s’ouvrent
des abîmes de temps.

Entre
mer et ciel

____seul
____l’horizon

sépare

le bleu du bleu.

 ?
Extraits de Brèche
avec des monotypes de Jean-Marie Cartereau

griffue
grille

____clair-obstacle

________l’horizon
________a cédé

____bris
____d’aplats

________comme le gel

expulsé brise

____l’air

souffles

____échelonnant en apnées
____moribondes

____vallée de souffles attelés

____vision
____halète

Extraits de État de lieux
avec des dessins de Philippe Agostini

SEUIL

mi-
chemin

____entre

l’exubérance radieuse chaleureuse
de l’externe
____et le tréfonds
secret
replis recoins
du cœur

lieu hors place

aire
du pas

des toujours premiers
____pas

source
terme
et procès

seuil
 : ébauche de devenir

 ?
Extraits de Lieu dit
avec des dessins d’Alexandre Hollan

Entre ciel et eau
il ne tient
qu’à un fil
l’horizon…

Tour
d’horizon : arbre
qui
prend garde.

Tient les distances.

Maintient
l’écart.

Se voit
le vent.

Le grand parler roulant
laveur de mondes
du vent.

Sans arbres
à qui le vent parlerait-il
de l’océan ?

Extraits de Murs
avec des dessins de Magali Latil

pierres

____s’articulant dictent
à mes mains

le mur

page d’écriture
dressée

tablette montant
du sol
____au ciel

d’avoir monté le mur
je sais
des pierres
____la face
cachée

Extraits de Paroles obliques

QUELS PAS encore là-haut dans l’air mal égoutté ? - rameurs entre débris d’orage.
____
Deux plus deux pieds suffisent, pourvu qu’une langue les rive : un théâtre se dresse. D’un praticable enjambe la face ridée des flaques.

Sous le couvert des mots s’obscurcit le miroir bleu dorable où un nuage se grime.

LE GRAND VENTILATEUR d’évidence active l’air miasmatique du bocal quotidien - son bouillon d’inculture.

Attise d’éclairs la suie au foyer réfractaire que le souffle déshérite.

À l’écart de la toute lucide transparente rutilance des cerises égarées du moment.

SANS SOUPIRS SANS SILENCES la chanson trop humaine.

Sans échos l’air du temps.

Sans ombres les lueurs fardées imitées des célestes -minuteries dont le spectre effarouche le pâle reflet des choses au secret de la nuit.

Sans fin l’échevellement des signes, recouvreurs à perpétuité.

Sans fond, ce malheur de grands fonds qui s’ignore en abîme, s’abîme de s’ignorer.

 ?
Extraits de Éphéméride 03
avec des dessins de Martine Cazin

8 janvier

À l’heure
où tout a sombré

rutilante
la face

dressée

de la roche.

9 janvier

Jour de brouillard.

Couleur éteinte
distance éteinte
mots éteints.

La bouche pleine
de gris.

10 janvier

S’insinuant
entre
brouillard et roche

la couleur
peu à peu
ranime l’image éteinte

condamne
à transparence
le gris

qui s’évanouit.

Extrait de quelque chose n’est
sur des dessins d’Alexandre Hollan
suivi de cinq grands poèmes pour voir

quelle____que

____chose

____n’est pas

____rien

____ (pour peu que

pourvu

qu’un regard

la
____traverse

lui donne
corps

(corps d’un monde au regard d’un autre monde
pré-
existant)

qu’un mot la caresse

adresse

l’invitant à
rallier

au revers de la peau

au devers de la page

sa présence
alors

____ affluant


Deux notes de lecture sur des recueils de Danièle Faugeras par Gaspard HONS

Ici n’est plus très loin
de Danièle Faugeras
éditions La part de l’Œil, Bruxelles, 2001

Pousser le souffle à bout, gravir jusqu’à se détacher de la page, du blanc, du jour, de la lumière : franchir, plutôt se détacher de la pensée quand celle-ci risque de prendre toute la place, de nous étouffer. Pousser le souffle jusqu’aux extrêmes, jusqu’à l’état limite. Franchir la zone limite, poser le pied sur cet infini qui donne à respirer, comme sur l’à-pic, malgré la menace d’un faux pas, le risque de la chute.

Je découvre Danièle Faugeras comme, il y a quelques année, je suis entré « en » du Bouchet et, par la force des choses, dans l’œuvre de Tal Coat : un crayon à la main. Il me restait, alors, à articuler les fulgurances ramassées au fil de la lecture et leur déploiement entre mes propres mots, sachant que tout est sans appui. Tout est dépassement et détachement. Danièle Faugeras dépasse en franchissant, se détache, acceptant flottement et dépouillement :

En passant sous l’auvent
le linge
mis à sécher

  • d’habitude son frôlement
    si souple si caressant -
    sa rigidité froide ce matin
    m’a heurté
    de plein fouet

Les poèmes de Danièle Faugeras « participent » à ce double jeu, ses poèmes se « dressent » sans faux-fuyant dans notre paysage poétique exceptionnel, permettant aux « êtres au long cours » de franchir le cap bien au-delà du bout.

Ici n’est plus très loin dit le titre d’un ouvrage où se réfugient des souffles, un air pur, une lecture différente du monde assis sur le tranchant de la clarté du jour, de l’ajour écrit l’auteur.
La lecture terminée, je reprends un vers essentiel de ce livre qui, sans nul doute, ne touchera pas le lecteur pressé d’arriver : désormais l’ombre peut hiberner.

(Qui est Danièle Faugeras ? Poète, traductrice et animatrice d’une collection d’ouvrages cliniques psychaitriques et psychanalytiques, elle vit dans le midi de la France.)

Gaspard Hons, septembre 2001
Le Mensuel littéraire et poétique n° 294, Bruxelles

***
quelque chose n’est , suivi de cinq grands poèmes pour voir
de Danièle Faugeras
sur des dessins d’Alexandre Hollan
éditions Lieux dits, coll. Deux rives, Strasbourg 2014

Certains livres (à poèmes, à fruits) se lisent comme à travers une pierre d’alun, sinon ils ne se livrent pas. Livrent-ils une lumière première, la primordiale ? Y a-t-il un monde pré-existant, parallèle, mis à jour par des artistes, des peintres, par des poètes ? Monde non visible à l’œil nu, se dévoilant à l’abri des regards, tout en évitant de franchir la réalité, le réel ? Ils sont là, nous échappent : une question de perception, de sensibilité, de présence, de connivence, d’écoute, de regard.

Faut-il nécessairement un dé-placement, pour voir, avoir une clef pour ouvrir la serrure de la porte de la beauté, de l’amour ? Formule de Danièle Faugeras, dont je fréquente les textes depuis des années, avec attention, intérêt.
L’intérêt vient du fait que j’éprouve mais ne comprends pas à la première approche. J’éprouve des mots, des regards, je reste sur le seuil du visible (y a-t-il un invisible ???) dans l’attente de ce qui ne vient pas, ne viendra jamais (Roger Munier).

Le vide, l’absence, le rien ?

L’essentiel : ne pas comprendre mais partager, ne pas voir mais me voir quand je suis regardé. Lacan, évoquant les mystiques, écrivait qu’ils éprouvent mais ne le savent pas.

Éprouver, ne rien en savoir.

J’aime me plonger dans une profondeur inversée pour devenir là ce que je suis ou pense être en cheminant comme dans une pierre d’alun : tantôt m’y effaçant, tantôt y renaissant.

J’ouvre un livre, quelque chose n’est, naît. J’entame un dialogue (certains livres parlent, d’autres se taisent, leur écho ne s’échappe pas toujours) infini, je m’incorpore, je prends racine, ou je me perds, attendant ce qui doit venir (ne viendra jamais).

Seul résonnera le martèlement du maillet de l’air : il me tient en vie.

« Savoir » sur un poète, sur ses écrits, ses confidences, son attachement aux auteurs qui nous sont proches, incontournables, sur la beauté, sur un peintre libérant les profondeurs de la pierre d’alun : Alexandre Hollan.

J’ai lu ainsi sur ma rive, m’y confondant, quelque chose n’est de Danièle Faugeras, pour continuer à naitre...

Gaspard Hons, juillet 2014


Pour écouter Danièle Faugeras parler de son travail de traductrice et d’éditrice :

https://www.youtube.com/watch?v=fXUxXllLo28

et dans le matricule des Anges, un article sur Po&Psy :

https://mail.google.com/mail/u/0/#inbox/152308dab761ca92?projector=1

(Page réalisée grâce à la complicité de Roselyne Sibille)


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