Jacques Robinet, né en 1937, de mère espagnole et de père français, a vécu entre Paris et l’Espagne pendant sa jeunesse. Études secondaires au Lycée Français de Madrid.
Devenu prêtre après deux années à la Sorbonne et six ans d’études au Séminaire Universitaire de l’Institut Catholique, il décide de quitter le sacerdoce en 1972, après une première psychanalyse personnelle. Il entre ensuite à l’École Freudienne de Paris, fondée par Jacques Lacan. Il y trouvera auprès de Françoise Dolto, l’enseignement et l’impulsion nécessaire pour exercer lui-même la psychanalyse. Il recevra des patients pendant une cinquantaine d’années à Paris, avant de se retirer dans un petit village du Loiret où il vit désormais. Il ne publie poèmes et proses que depuis une dizaine d’années, ayant attendu une semi-retraite pour s’y autoriser.
Extraits de Frontières de sable — Éditions La tête à l’envers — 2013
Tu marches près de moi
avec tes abîmes et tes neigesNos coupes de cristal
se heurtent et vibrent
dans le ciel videLes appels ont des ailes
qui égarent les anges
*
Nous voici porté par la vague
jusqu’à ces feux pirates
qui nous détournent du rivageNous voici objets de colère
fouettés par les orties du rêve
sans recours à la prièreNous voici prisonniers du silence
avec ces mots de sable
cette poussière d’étoilesLa joie la plus ancienne
fait briller les yeux des sentinelles
*
Naître au tremblement
des feuilles dans la lumière
avant le repli de l’ombre
la fraîcheur de l’oubliCheminer avec le vent
sans souci des frontièresDu rocher à l’eau vive
préserver la fissure
la soif — sa brûlure
*
Tu es sans nom
l’eau le vent la lumière
l’air qui porte l’oiseau
la trace de son chant
tout ce qui contient
tout ce qui dissipe
les branches mortes de l’hiver
les fruits du printemps
la transparence des lacs
la fraîcheur de l’ombre
l’instant orphelin
d’hier et de demain
que tu tiens entre tes mains
Extraits de Feux nomades — Éditions La tête à l’envers — 2015
J’écrirai pour toi
Aussitôt les mots s’éveillent
comme une ruche endormie
quand surgit le printemps
Ils volent vers celui qui appelleTout langage crée ses passerelles
Sans toi l’or s’éteint dans les caves
les sources s’enlisent
et nul ne sait pour qui chante l’oiseauJ’écrirai pour toi
Paroles qui s’enflamment
comme perles sauvages
sur la peau bien aiméeTa venue brise la rigueur
des longs apprentissagesJ’écrirai pour toi
comme le prisonnier affranchi
célèbre la lumière
comme le vent épouse le feuillage
comme la nuit se livre au jour
*
Naviguer sans voilure ni escale
sourd aux tempêtes
délaissé par l’éclair
sans souvenirs ou promesses d’astresPorteur d’un soleil
familier de la nuit
qui brûle et défait mes empiresRames de douleur et de joie
souquez — sans relâcheLe voyage est à lui seul
le port et la demeure
*
On est là — seul
La vague frappe plus fort
la barque tire sur son amarreOn est là
à écouter la rumeur du ventOn s’étonne
de tout ce temps passé
à attendre l’arrachementOn est là
à remuer les mots
comme l’enfant ses billesOn est là
comme toujours à écouter
le bruit du mondeSans savoir
on est là encore à attendre
*
Ne dis pas : il n’y a rien
Ne dis pas : il y a quelque choseLes mots de feu ou de glace
font et détruisent les empiresTout n’est que passage
entre semailles et moissons
amour qui féconde grêle de l’oubliDu rien au tout — temps d’un soupir —
ce qui demeure quand l’ombre s’efface
devant la lumière qui hésiteNé du cri le souffle se perd dans
le silence — sans livrer son secret
Extraits de La nuit réconciliée — Éditions La tête à l’envers — 2018
Trois notes
Un oiseau inquiet
se tait brusquementNuit opaque du feuillage
Je sais l’oiseau
qui chante encoreapeuré de te perdre
dans la nuit réconciliée
*
Ne regarde pas en arrière
Ne reviens pas sur tes tracesLe destin de ce qui fut
est gravé dans la lumière
qui brille devant toiIl en est du passé
comme d’une brassée de fleurs
dont ne reste que le parfumOu de ces allées forestières
qui conduisent aux clairières
sur un tapis de feuilles mortesDe la source à l’embouchure
les eaux du fleuve se renouvellentCe qui fut n’est que poussière
dansante sous le soleil
*
Est-ce la crainte de mourir
qui rallume les lampes ?Dos tourné au vent glacial
on s’attarde sur la berge
Les eaux se renouvellentLa poésie jaillit à la pointe
du combat où l’ange défailleJ’attendrai en boîtant
son étrange matin
*
À l’ombre des chênes
l’oiseau s’est remis à chanterUn rire d’enfant soulève
la poussière des annéesTu heurtes le soleil
jailli de tes décombres
Extraits de Brèches — Éditions L’ail des ours — 2020
Ciel rouillé de silence
strié d’oiseaux en fuitePenché jusqu’au vertige
sur l’abîme
où nulle source ne bruitque cherches-tu encore ?
*
Frelons sauvages
qui volent au ras du sol
les mots bourdonnent
aux portes du paradis
*
Les mots sont pierres
qui roulentDans la nuit entravée
le rossignol s’apprête
à chanter
*
Corps épuisé
qui si mal accueille
le jour nouveauRedresse-toi encore
trébuche — danse
*
Tout poème se doit
d’arracher la parole
au silence
pour la rendre
au silence
Extraits de deux recueils à paraître avant la fin de 202
Ce qui insiste — Éditions Les Lieux Dits — Collection Le loup bleu
Vagabond chargé d’orties
Lazare ébloui
tu chancelles à l’orée du jourLe soleil monte à la crête
des arbresRedresse-toi
dans cette lumière
qui excède ton attenteFrotte tes lèvres d’herbe
de vent de roséeSous le ciel enflammé
ravive tes braisesTout s’ouvre commence
*
Inquiet d’un éclat
entre deux nuages
d’un silence entre
deux parolesN’exige plus rien
du temps qui dépose
ses cendresAccueille
ce qui se donne se perdN’assigne pas
les sources et le vent
*
Le soleil brille
Les mots trébuchentÀ parodier la lumière
le langage s’enchaîneTu écris :
Un oiseau s’envoleMais de quel chant
de quel bruit d’ailes
gardera la trace cette
page que tu noircis ?
*
Ne donne rien au poème
qui ne provienne
de ce lieu
où la source exige
que tu t’effaces
pour se répandreOuvre et consens
à la voix qui te presseNe retiens pas le courant
entre tes rives
Clartés du soir — Éditions Unicité
Nul ne voit
l’ange
de l’instantLa ville
ruisselle
de ses silences
*
Demain tu vas mourir
Le ciel dit le contraireLes oiseaux traversent
des portes d’azurHier demain n’existent pas
Seul ce jour nouveau
pressé de te surprendre
*
En toi
toutes les plages
tous les oiseaux
toutes les villess’agitent ou veillent
*
De toi à moi
le hasard ou la grâce
d’une feuille tombée
sur l’eauLa nuit respire
ton silenceDire : C’est trop tard
offense ta venue
*
Non ce n’était pas
l’échelle contre l’arbre mort
ni le poing d’une rose glacéeCe n’était pas la vallée désertée
ni la rivière asséchéeÉtait-ce au début ou à la fin ?
Peut-être entre les deux :une parole tremblante
d’éprouver un si grand silenceune parole sans engrais
une feuille qui hésite à se détacher
Cela qui ne sait plus — se trouble
— cherche ses motsqui est sur le point de tomber
Deux poèmes inédits
Pierre vive
Pierre compacte
d’air et de nuit —
sans autre résonance
que de cris asséchésAutel des brebis
égorgées sur les
parvis de l’enfancePierre secrète
en solitude blancheAu cœur du désert
roche étourdie de crisLa manne du ciel
avive la soif
Toutes promesses
bues par le sablePrésence minérale
qui retient sa source
avant que ta longue
attente ne la libèreQui a vu fleurir le désert
peut mourir sans regrets
sur la montagne aride
*
Déposer ce qui pèse
l’acquis tous les savoirs
silence entre deux mots
fuir oublier se perdreL’éphémère ajuste
la brèche nécessaire
pour que la vie s’esquive
sans rien emporterQue nul regret n’entrave
qui efface ses traces
riche de son seul amour
au moment de tout quitter
BIBLIOGRAPHIE
Poésie
- Veille, le Silence (Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984)
- Miroir d’ombres (illustrations de Renaud Allirand, 2000)
- Frontières de sable (encres de R. Allirand – Préface de Bernard Sesé,
Éditions La Tête à l’envers, 2013)- Feux nomades (encres de R. Allirand - Editions La tête à l’envers, 2015)
- La nuit réconciliée (encres de R. Allirand - Préface de Gérard Bocholier, Éditions La tête à l’envers, 2018)
- Brèches (illustrations de Renaud Allirand — Éditions L’ail des ours / n°6 —2020)
À paraître fin 2022
- Clarté du soir. Éditions Unicité
- Ce qui insiste. Éditions Les Lieux Dits (Collection Le loup bleu)
Revues numériques
- Ce qui reste & Terre à ciel en 2017
- Poezibao : Feuilleton en huit épisodes, 2020 – Anthologie permanente
Revues imprimées : ARPA, Sigila, Décharge, Voix d’encre, Triages, Le Journal des poètes, Diérèse
Prose
- Un si grand silence, récit — Éditions La Coopérative, 2018
- La monnaie des jours, notes — Éditions La Coopérative, 2019
- Notes de l’heure offerte — Éditions La Coopérative, 2022
Livre d’artiste
- Bandes d’artiste (livre 75) avec Guy Saulnier — Éditions Les Lieux Dits
Divers
On peut consulter : publié sur le site Poezibao un long entretien sur Prose et Poésie de Nathalie de Courson avec Jacques Robinet en 2020
Sur Youtube une vidéo récente d’un entretien avec La Coopérative à propos de la sortie de Notes pour l’heure offerte en février 2022