Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

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Jacques Robinet

samedi 1er octobre 2022, par Cécile Guivarch

Jacques Robinet, né en 1937, de mère espagnole et de père français, a vécu entre Paris et l’Espagne pendant sa jeunesse. Études secondaires au Lycée Français de Madrid.
Devenu prêtre après deux années à la Sorbonne et six ans d’études au Séminaire Universitaire de l’Institut Catholique, il décide de quitter le sacerdoce en 1972, après une première psychanalyse personnelle. Il entre ensuite à l’École Freudienne de Paris, fondée par Jacques Lacan. Il y trouvera auprès de Françoise Dolto, l’enseignement et l’impulsion nécessaire pour exercer lui-même la psychanalyse. Il recevra des patients pendant une cinquantaine d’années à Paris, avant de se retirer dans un petit village du Loiret où il vit désormais. Il ne publie poèmes et proses que depuis une dizaine d’années, ayant attendu une semi-retraite pour s’y autoriser.

Extraits de Frontières de sable — Éditions La tête à l’envers — 2013

Tu marches près de moi
avec tes abîmes et tes neiges

Nos coupes de cristal
se heurtent et vibrent
dans le ciel vide

Les appels ont des ailes
qui égarent les anges

 

*
 

Nous voici porté par la vague
jusqu’à ces feux pirates
qui nous détournent du rivage

Nous voici objets de colère
fouettés par les orties du rêve
sans recours à la prière

Nous voici prisonniers du silence
avec ces mots de sable
cette poussière d’étoiles

La joie la plus ancienne
fait briller les yeux des sentinelles

 

*

 

Naître au tremblement
des feuilles dans la lumière
avant le repli de l’ombre
la fraîcheur de l’oubli

Cheminer avec le vent
sans souci des frontières

Du rocher à l’eau vive
préserver la fissure
la soif — sa brûlure

 

*

 

Tu es sans nom
l’eau le vent la lumière
l’air qui porte l’oiseau
la trace de son chant
tout ce qui contient
tout ce qui dissipe
les branches mortes de l’hiver
les fruits du printemps
la transparence des lacs
la fraîcheur de l’ombre
l’instant orphelin
d’hier et de demain
que tu tiens entre tes mains

Extraits de Feux nomades — Éditions La tête à l’envers — 2015

J’écrirai pour toi

Aussitôt les mots s’éveillent
comme une ruche endormie
quand surgit le printemps
Ils volent vers celui qui appelle

Tout langage crée ses passerelles

Sans toi l’or s’éteint dans les caves
les sources s’enlisent
et nul ne sait pour qui chante l’oiseau

J’écrirai pour toi

Paroles qui s’enflamment
comme perles sauvages
sur la peau bien aimée

Ta venue brise la rigueur
des longs apprentissages

J’écrirai pour toi

comme le prisonnier affranchi
célèbre la lumière
comme le vent épouse le feuillage
comme la nuit se livre au jour

 
*
 

Naviguer sans voilure ni escale
sourd aux tempêtes
délaissé par l’éclair
sans souvenirs ou promesses d’astres

Porteur d’un soleil
familier de la nuit
qui brûle et défait mes empires

Rames de douleur et de joie
souquez — sans relâche

Le voyage est à lui seul
le port et la demeure

 
*
 

On est là — seul

La vague frappe plus fort
la barque tire sur son amarre

On est là
à écouter la rumeur du vent

On s’étonne
de tout ce temps passé
à attendre l’arrachement

On est là
à remuer les mots
comme l’enfant ses billes

On est là
comme toujours à écouter
le bruit du monde

Sans savoir
on est là encore à attendre

 
*
 

Ne dis pas : il n’y a rien
Ne dis pas : il y a quelque chose

Les mots de feu ou de glace
font et détruisent les empires

Tout n’est que passage
entre semailles et moissons
amour qui féconde grêle de l’oubli

Du rien au tout — temps d’un soupir —
ce qui demeure quand l’ombre s’efface
devant la lumière qui hésite

Né du cri le souffle se perd dans
le silence — sans livrer son secret

Extraits de La nuit réconciliée — Éditions La tête à l’envers — 2018

Trois notes

Un oiseau inquiet
se tait brusquement

Nuit opaque du feuillage

Je sais l’oiseau
qui chante encore

apeuré de te perdre
dans la nuit réconciliée

 

*

 

Ne regarde pas en arrière
Ne reviens pas sur tes traces

Le destin de ce qui fut
est gravé dans la lumière
qui brille devant toi

Il en est du passé
comme d’une brassée de fleurs
dont ne reste que le parfum

Ou de ces allées forestières
qui conduisent aux clairières
sur un tapis de feuilles mortes

De la source à l’embouchure
les eaux du fleuve se renouvellent

Ce qui fut n’est que poussière
dansante sous le soleil

 

*

 

Est-ce la crainte de mourir
qui rallume les lampes ?

Dos tourné au vent glacial
on s’attarde sur la berge
Les eaux se renouvellent

La poésie jaillit à la pointe
du combat où l’ange défaille

J’attendrai en boîtant
son étrange matin

 

*

 

À l’ombre des chênes
l’oiseau s’est remis à chanter

Un rire d’enfant soulève
la poussière des années

Tu heurtes le soleil
jailli de tes décombres

Extraits de Brèches — Éditions L’ail des ours — 2020

Ciel rouillé de silence
strié d’oiseaux en fuite

Penché jusqu’au vertige
sur l’abîme
où nulle source ne bruit

que cherches-tu encore ?

 

*
 

Frelons sauvages
qui volent au ras du sol
les mots bourdonnent
aux portes du paradis

 

*

 

Les mots sont pierres
qui roulent

Dans la nuit entravée
le rossignol s’apprête
à chanter

 

*

 

Corps épuisé
qui si mal accueille
le jour nouveau

Redresse-toi encore
trébuche — danse

 

*

 

Tout poème se doit
d’arracher la parole
au silence
pour la rendre
au silence

Extraits de deux recueils à paraître avant la fin de 202

Ce qui insiste — Éditions Les Lieux Dits — Collection Le loup bleu

Vagabond chargé d’orties
Lazare ébloui
tu chancelles à l’orée du jour

Le soleil monte à la crête
des arbres

Redresse-toi
dans cette lumière
qui excède ton attente

Frotte tes lèvres d’herbe
de vent de rosée

Sous le ciel enflammé
ravive tes braises

Tout s’ouvre commence

 
*
 

Inquiet d’un éclat
entre deux nuages
d’un silence entre
deux paroles

N’exige plus rien
du temps qui dépose
ses cendres

Accueille
ce qui se donne se perd

N’assigne pas
les sources et le vent

 

*

 

Le soleil brille
Les mots trébuchent

À parodier la lumière
le langage s’enchaîne

Tu écris :
Un oiseau s’envole

Mais de quel chant
de quel bruit d’ailes
gardera la trace cette
page que tu noircis ?

 

*
 

Ne donne rien au poème
qui ne provienne
de ce lieu
où la source exige
que tu t’effaces
pour se répandre

Ouvre et consens
à la voix qui te presse

Ne retiens pas le courant
entre tes rives

Clartés du soir — Éditions Unicité

Nul ne voit
l’ange
de l’instant

La ville
ruisselle
de ses silences

 

*
 

Demain tu vas mourir
Le ciel dit le contraire

Les oiseaux traversent
des portes d’azur

Hier demain n’existent pas
Seul ce jour nouveau
pressé de te surprendre

 

*

 

En toi

toutes les plages
tous les oiseaux
toutes les villes

s’agitent ou veillent

 

*

 

De toi à moi
le hasard ou la grâce
d’une feuille tombée
sur l’eau

La nuit respire
ton silence

Dire : C’est trop tard
offense ta venue

 

*
 

Non ce n’était pas
l’échelle contre l’arbre mort
ni le poing d’une rose glacée

Ce n’était pas la vallée désertée
ni la rivière asséchée

Était-ce au début ou à la fin ?
Peut-être entre les deux :

une parole tremblante
d’éprouver un si grand silence

une parole sans engrais

une feuille qui hésite à se détacher

Cela qui ne sait plus — se trouble
— cherche ses mots

qui est sur le point de tomber

Deux poèmes inédits

Pierre vive

Pierre compacte
d’air et de nuit —
sans autre résonance
que de cris asséchés

Autel des brebis
égorgées sur les
parvis de l’enfance

Pierre secrète
en solitude blanche

Au cœur du désert
roche étourdie de cris

La manne du ciel
avive la soif
Toutes promesses
bues par le sable

Présence minérale
qui retient sa source
avant que ta longue
attente ne la libère

Qui a vu fleurir le désert
peut mourir sans regrets
sur la montagne aride

 

*
 

Déposer ce qui pèse
l’acquis tous les savoirs
silence entre deux mots
fuir oublier se perdre

L’éphémère ajuste
la brèche nécessaire
pour que la vie s’esquive
sans rien emporter

Que nul regret n’entrave
qui efface ses traces
riche de son seul amour
au moment de tout quitter

BIBLIOGRAPHIE

Poésie

  • Veille, le Silence (Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984)
  • Miroir d’ombres (illustrations de Renaud Allirand, 2000)
  • Frontières de sable (encres de R. Allirand – Préface de Bernard Sesé,
    Éditions La Tête à l’envers, 2013)
  • Feux nomades (encres de R. Allirand - Editions La tête à l’envers, 2015)
  • La nuit réconciliée (encres de R. Allirand - Préface de Gérard Bocholier, Éditions La tête à l’envers, 2018)
  • Brèches (illustrations de Renaud Allirand — Éditions L’ail des ours / n°6 —2020)

À paraître fin 2022

  • Clarté du soir. Éditions Unicité
  • Ce qui insiste. Éditions Les Lieux Dits (Collection Le loup bleu)

Revues numériques

  • Ce qui reste & Terre à ciel en 2017
  • Poezibao : Feuilleton en huit épisodes, 2020 – Anthologie permanente

Revues imprimées : ARPA, Sigila, Décharge, Voix d’encre, Triages, Le Journal des poètes, Diérèse

Prose

  • Un si grand silence, récit — Éditions La Coopérative, 2018
  • La monnaie des jours, notes — Éditions La Coopérative, 2019
  • Notes de l’heure offerte — Éditions La Coopérative, 2022

Livre d’artiste

  • Bandes d’artiste (livre 75) avec Guy Saulnier — Éditions Les Lieux Dits

Divers

On peut consulter : publié sur le site Poezibao un long entretien sur Prose et Poésie de Nathalie de Courson avec Jacques Robinet en 2020
Sur Youtube une vidéo récente d’un entretien avec La Coopérative à propos de la sortie de Notes pour l’heure offerte en février 2022


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