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Antonio Rodriguez

jeudi 1er mai 2025, par Cécile Guivarch

 
Antonio Rodriguez, né en 1973, vit et travaille à Lausanne. Il a publié plusieurs recueils aux éditions Empreintes en Suisse et chez Tarabuste en France.

D’abord engagé dans une Poésie du corps et du quotidien (2000-2007), il publie Saveurs du réel et En la Demeure, des poèmes en prose aux aphorismes pour lesquels il prend pour ancrage le quotidien. La construction de soi passe dans ces deux ouvrages par des extériorisations : le premier volume engage une traversée d’une éducation sentimentale, alors que le second évoque le deuil, sans jamais le nommer, à travers des scènes de soins à domicile pour personnes âgées.

Sa démarche, associant poèmes lyriques et réflexions critiques, notamment en raison de son poste de professeur de littérature française à l’université de Lausanne, l’amène à une « pensée poétique » plus générale.

La trilogie européenne (2008-2020) : Big bang Europa et Après l’Union forment avec Europa Popula (2020) ce projet de poésie « européenne ». À partir de la vie intime d’un couple et de l’histoire d’une famille, il entremêle les échelles, les couches temporelles, les voix, sans jamais prendre le ton de « l’engagement ». Le noyau de l’espèce répond ainsi aux grandes structures continentales qui s’effondrent dans une fission généralisée à l’heure de la désunion.
Ses divers recueils, ses actes poétiques et ses réflexions critiques déroulent ainsi une trajectoire unique. Parmi ses fonctions :

  • Directeur artistique du Printemps de la poésie en Suisse
  • Directeur de la collection « Poche poésie » chez Empreintes
  • Président de l’International Network for the Study of Lyric

Se consacrant à la poésie depuis le tournant du siècle, il conçoit l’écriture comme un des aboutissements de ses actions au quotidien avec divers dispositifs menés : enseignement, critique, édition, festival, exposition.

 
Extrait de Saveurs du réel, éditions Empreintes, 2006

Rupture

En retrait – comme une chienne qui met bas –
tu m’échappes – alors j’étouffe

Nourriture, je te fixe – affamé –
Stupide que je suis – à m’affairer d’elle –
Insuffisamment liés – pareil à un cri qui ment –
je dis – j’ai peur de la quitter

Et parfois je te regarde en oubliant tout –
Tu me regardes aussi – intransigeante comme la mouche –
Comme tu sais que je me dévore

Mère qui me chasse – plus loin que l’au-delà –
Je me cacherai, recueilli – puéril et grave –
en vain, je crois –

Rampant savamment et mourant seul.

*

Bibliothèque

Simple, l’alphabet ordonne les turbulences

*

De sa couverture, Sade caresse Sappho

*

Conviviaux, les philosophes alignent leurs disputes

*

Ce bonheur d’être à portée de mains

*

Craignant la brûlure de l’intolérance, le pilon de l’indifférence

*

Avec tendresse, éloigner les Deleuze de la fenêtre

*

Finir parmi les meubles, c’est encore occuper l’espace

*

La nuit, faire chuter l’alignement

*

Jaunir parmi les siens

 
Extraits de En la demeure, éditions Empreintes, 2007

Soins à domicile

Vieillesse
ou la douche au débit irrégulier
glaciale en son principe
brûlante par la suite
Au bout d’un cordon décharné
un pommeau grevé de calcaire
lâche de petits jets cinglants
tandis qu’en haut le carreau givre
Un savon jauni chute aux pieds
Corps mouillé et rideau s’attirent
Jambes veineuses, fesses ridées
puis masse entière sont enrobées
comme dans un linceul.

*

Le Miroir

Parfois on pressent un proche
qui guette dans le regard
mort et surgissant en nous
au profit d’une mimique
un moment d’appartenance
comme un amour sans limites
qui devrait nous réchauffer
mais craintif on se détourne
effrayé qu’il n’engloutisse
tous nos traits en son reflet

Tôt ou tard on y revient
avec un curieux espoir
et on regrette de ne plus l’y voir

 
Extraits de Big bang Europa, éditions Tarabuste, 2015

(…) les cravates et les tailleurs disent « à quoi ça sert ? », ceci, ces proses du dessous, sans y voir la médecine la plus élémentaire, préférant se détendre avec de la pensée lénifiante, plutôt qu’avec ce vieil art, où n’apparaît même plus l’évidence éternelle de la poésie apprise à l’école, de la poésie digestive avant de se coucher, de la poésie bonne nuit qui porte conseil et les rêves sont sans péril, car au fond c’est plutôt l’insomnie qui vient, parce qu’on sait que s’endormir maintenant c’est comme garder le doigt sur la gâchette, pas sûr qu’on se réveille le matin avec toute sa cervelle

*
c’est écrit sur nos peaux, c’est écrit « parlez-vous », tu sais, c’est le moment pour les hommes, le moment pour l’espèce qui n’a jamais le temps, qui préfère enregistrer les retards, chacun de son côté, à regretter, à renifler, à se punir d’être comme ça : quelque chose d’humide qui peine à sortir et qui goutte pendant des années en attendant ce qui ne viendra pas

 
Extraits de Après l’union ,éditions Tarabuste, 2017

Ouverture

un jour, il n’y eut plus de témoins – alors, rien, silence, ils avaient disparu, depuis toujours nous les avions connus ; maintenant, nous héritons des mots, des corps et même des étoiles tombées au sol alors, rien, silence,
(...)
l’Europe, toujours ce mot, sublime parmi les décombres, encore un peu, malgré l’Europe, il nous faut tout reprendre,

*

D’un rêve à Verdun

le rêve revient par le vert, l’ampoule me réveille, vitrail dans la chambre, j’entends un couple rentrer la nuit, verdure du corps entre nous, avec les petits qui s’endorment, les troncs et les croix dans la chambre, le carnet retient le lieu hors
du lieu et rend le vitrail pour la lumière des yeux, les arbres bougent derrière eux, malgré le vent les feuilles tiennent,
relief des nervures, détails du vitrail, tout près d’une arche, alignés dans ce bois les troncs et les croix, cimetière dans la chambre, ma peau s’efface dans les plis de ta main, racines, mousse, quand les hommes
du dessus regardent les hommes du dessous à travers le vitrail

 
Extraits de Europa Popula, éditions Tarabuste, 2020

Ouverture

« non », ils disent « non », « non » poussé par une poignée, puis par le nombre, ne sachant plus exactement contre qui, contre quoi, mais brisant subitement ce qui s’édifiait en continent, « non » pétri de ça-suffit, d’insultes, de mots flétris avec une petite musique d’antan qui rallume les forges à peine refroidies

(...)
« non » des arrachés du monde qui veulent trancher la tête de l’hydre, pour quelques gémissements avant l’incendie des palais de verre et d’acier

*

… je reconnais son regard consterné par l’alcool des peuples, tout est fini, la république, l’Union, l’envie de faire monde, le labyrinthe d’un vieux souvenir ondule en voilages, rue étroite de New-York, Hong-Kong ou Barcelone, avec une fenêtre ouverte sur cour, je vérifie, son sourire resplendit en ce mercredi des cendres, en ce siècle des neiges fondues, sous la couverture de velours, avec un drapé recouvrant la nudité, alors que dehors des jeunes gens chantent et marchent au rythme de l’ordre nouveau, Hymne à la Croix, puis Hymne à la Joie Dure, enfin le store pactise avec les rayons de l’appartement …

 
Bibliographie

Poèmes

  • Saveurs du réel, Empreintes, 2006.
  • En la Demeure, Empreintes, collection peinte, 2007.
  • Big bang Europa, Tarabuste, coll. « Double B.A.T. », 2015.
  • Après l’Union, Tarabuste, coll. « Double B.A.T. », 2017.
  • Europa Popula, Tarabuste, coll. « Double B.A.T. », 2020.

Essais sur la poésie

  • Pacte lyrique, Mardaga, 2003.
  • Modernité et paradoxe lyrique : Max Jacob, Francis Ponge, Jean-Michel Place, 2006.
  • Le Paysage originel, Hermann, 2022.
  • Dictionnaire du lyrique, Classiques Garnier, 2024.

Installations numériques

  • Dark Mirror, visite poétique en réalité augmentée de l’exposition et du catalogue « Je suis ton père », Maison d’Ailleurs, 2018.- repris sous le titre « Sonnet de la constellation » pour l’exposition Code/Poésie (Digital Lyric), en 2020.
  • Responsive Europa, installation conçue avec Demian Conrad pour la Biennale de Design de Porto 2019.
  • Le Voyage d’Orphée, scénarisation pour le film en 360° (réalité virtuelle), réalisé par Vincent de Vevey, exposition Code/Poésie (Digital Lyric), en 2020.
  • Europa Popula (poème), court-métrage de Yannick Maron, collection Close Poetry, Pro Helvetia, 2021.

Autres

  • Poetrify, nouvelle anthologie des françaises et anglaise à votre goût, exposition Code/Poésie (Digital Lyric), en 2020
  • Anthologie vidéo de la poésie en Suisse romande, 30 vidéos réalisées avec Nadejda Magnenat, Université de Lausanne, 2018.
  • Je suis un chœur, performance de Charles Pennequin sur 5 écrans simultanés, Code/Poésie (Digital Lyric), en 2020.
  • Close Poetry, clips poétiques en Suisse, codirection de la collection avec Marie Thorimbert, Pro Helvetia, 2021-2023.

Sites

  • poesieromande.ch, toutes les actualités de la poésie en Suisse romande, fondé en 2011.
  • printempsdelapoésie.ch, site du Printemps de la poésie, fondé en 2016.
  • lyricology.org, site multilingue pour l’International Network for the Study of Lyric, fondé en 2017.
  • poesie-en-classe.ch, site pour l’aide à l’enseignement de la poésie, fondé en 2018.
  • lyricalvalley.org, site-mère des projets du réseau Poésie en Suisse romande, fondé en 2019.
  • ptyxel.net, plateforme vidéo pour la poésie, fondée en 2021.

Livres en co-création

  • Le Dépôt des rêves, en collaboration avec David Deppierraz et Muriel Nardin, Paris, Jean-Michel Place, 2006.
  • Ce qui, noir, prend souffle, en collaboration avec Catherine Bolle, Genève, Traces, 2007.

Page établie avec la complicité de Françoise Delorme


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