RENE CHAR, MON VOISIN
(Témoignage sur mes rencontres avec René Char, texte écrit et lu à l’occasion de la réception du Prix de poésie de l’Académie du Var (Toulon, 17-12- 2013)
Temps révolus sans chronologie, qui ont seulement des épaisseurs différentes… Les souvenirs de ce voisin prestigieux ont la densité du personnage. Des rencontres successives m’ont conduite à celle, exceptionnelle, de René Char.
L’enfance, nourrie des mêmes lieux, nous a rapprochés. Nous sommes des « pays » ! Cet homme, ce grand poète, j’ai fini par le rencontrer à l’âge adulte, sans l’avoir cherché. Puis j’ai partagé avec lui, en rencontres fidèles, une amitié de dix ou onze ans.
On voyait parfois une immense silhouette passer dans la rue. Il allait voir son ami Francis Curel, le mari de la laitière, qui tenait boutique vingt mètres plus loin : « Voilà René Char », comète suivie de sa traîne de conversations qui grandissaient « le Capitaine Alexandre », à tel point, que je l’imaginais comme un personnage de légende. « Mais c’est un géant ! » ai-je pensé en le voyant pour la première fois.
Juste après la guerre, certains reprochaient ses engagements, ou critiquaient sa manière de vivre : des médisances blessaient parfois ceux qui l’aimaient, mais ne soulevaient que ses épaules.
« Il ne faudrait pas aimer les hommes pour leur être d’un réel secours. Seulement désirer rendre meilleure telle expression de leur regard lorsqu’il se pose sur plus appauvri qu’eux. »
(Toutes les citations en italiques sont de René Char)
J’avais environ huit ans quand René Char publia Feuillets d’Hypnos puis Fureur et mystère. Le premier troubla des ex-résistants du pays. Le poète y exprimait les menaces à venir (qui hélas pèsent toujours sur notre monde).
Alors qu’il était encore dans l’action, que la guerre n’était même pas finie, lui, le Capitaine Alexandre, écrivait :
« Cette guerre se prolongera au-delà des armistices platoniques. L’implantation des concepts politiques se poursuivra contradictoirement, dans les convulsions et sous le couvert d’une hypocrisie sûre de ses droits. Ne souriez pas. Ecartez le scepticisme et la résignation, et préparez votre âme mortelle en vue d’affronter intra-muros des démons glacés analogues aux génies microbiens. »
Certains familiers de mes parents, parlant de sa poésie s’indignaient qu’elle soit inaccessible. Quelques autres découvraient la force des mots qui entraient dans leur expérience par la densité de ce qui était dit, s’accordait à leur vécu, faisait surgir l’émotion, et disait plus encore ce qu’ils ne savaient pas dire, ce qui allait tellement au-delà ! Ils reprenaient leurs lectures, allaient vers d’autres poèmes, relisaient encore.
Gagnaient-ils peu à peu, dans l’assiduité, cette rencontre avec eux-mêmes et le monde, apanage de la poésie, le désir plus grand de fréquenter celle de Char, comme moi, à mon tour adulte ?
J’ai partagé plus tard avec eux cette richesse d’avoir pu accéder à des parcelles d’être que transcendaient les mots du poète.
Les amis de mes parents, ayant appartenu au réseau de résistance du Capitaine Alexandre étaient devenus les amis de René Char. Georges et Gaston, les deux frères photographes, avaient réalisé, entre autres, le portrait d’Yvonne Zervos. (Yvonne Zervos était liée au programme d’expositions de la galerie des Cahiers d’art dont elle était l’animatrice, ainsi qu’au contenu de la revue Cahiers d’art, décidé, lui, par Christian Zervos. Les Zervos ont rencontré René Char au moment où le poète voulait faire un film : « Le soleil des eaux », juste après la guerre. En relation avec Jean Vilar, ils sont tous à l’origine du Festival de théâtre d’Avignon.)
(Le poème La Sorgue, chanson pour Yvonne - Pléïade p. 274 - lui est dédié)
(Entre parenthèses, le renvoi au recueil des œuvres complètes de René Char dans La Pléïade)
Ils parlaient souvent de Char avec René B., leur ami coiffeur. Les deux René avaient vécu leur enfance dans le voisinage proche de leurs familles respectives, avaient eu longtemps ce privilège de s’aventurer sur un « nègue-chin », cette barque à fond plat qu’on déplace à l’aide d’une gaffe : « Sorgue qui t’avances derrière un rideau de papillons qui pétillent… »
Ces moments entre amis de toujours, au cabanon bercé entre deux bras de la rivière, avaient la fraîcheur de l’enfance et l’incomparable éclat de l’instant. N’est-ce pas la même chose ?
J’ai joué, à cinq ou six ans, dans les feuilles mortes du parc des Névons. Plus tard, la Sorgue était la compagne de nos jeux. Aux vacances, je courais la colline… Liberté permise par une population moins nombreuse et mieux enracinée à la terre qu’aujourd’hui.
Espaces, pinèdes sans clôtures se prêtaient à toutes les explorations pourvu qu’on soit rentrés à l’heure (ou à peu près) en regardant le soleil. Combien ces lieux d’enfance, comme des nourritures, fondent nos êtres ! Depuis quand ai-je associé à ces souvenirs, ces mots du poète : « Les poèmes sont des bouts d’existence incorruptibles », puis-je le dire ?
La librairie-papeterie de Lulu, dans les années 55/60, accueillit l’exposition qui célébrait la parution de La postérité du soleil.
(Ouvrage introduit par le poème De moment en moment - Pléïade p. 803)
Lulu et ma mère s’interrogeaient, à cette époque, sur leurs démarches pour trouver une maison à vendre dans la campagne proche : Albert Camus voulait se fixer à l’Isle, près de son ami.
Un de mes amis d’enfance, étudiant à Aix, avait eu, grâce à son oncle qui connaissait René Char, la possibilité de le rencontrer. Cet ami, après m’avoir invitée à l’accompagner pour lui rendre visite (mais, trop timide, j’avais refusé), m’apporta un petit recueil de chez Pierre-André Benoît, dédicacé à mon nom par le poète.
Quelle joie ! Quelle reconnaissance se ravive encore quand je le prends entre mes mains aujourd’hui !
En l’espace d’un an et demi, fermant les pages de ma vie d’étudiante, j’ouvrais simultanément celles de professeur, épouse et mère. Nommée d’abord dans une petite ville près du Ventoux, puis dans le village voisin, j’ai partagé des classes avec mon collègue de math devenu un ami, et devenu surtout un ami très fidèle de René Char. Nous parlions de peinture, de poésie... Je lui donnai à lire Commune présence, ce qui le décida (ou était-ce dû à d’autres propres motivations ?) à frapper à la porte du Poète.
A partir de là naquit, entre ces deux hommes, une amitié indéfectible : Claude Lapeyre, à 80 ans passés, sert toujours avec un dévouement sans faille la poésie de René Char, animant des conférences avec « ses complices », aime-t-il à dire. Et il précise avec enthousiasme qu’ainsi, il ne sent plus ses douleurs !
En 1967, la Guerre des six jours détermina mon engagement.
Cinq ans plus tard, mon camarade et ami sculpteur me parlait de René Char qu’il rencontrait régulièrement. Celui-ci demandait si j’aimais sa poésie, si j’en écrivais. La confiance établie, je lui prêtai mon modeste cahier renfermant quelques textes.
Un dimanche matin, le 1er juin 1975, avec ma camarade, nous vendions l’Huma Dimanche. Je frappai à la porte d’une modeste maison, et là, dans l’encadrement soudainement trop étroit, une immense silhouette, le visage sévère (que je reconnus aussitôt avec une grande émotion) demanda : « Quel est votre nom ? » Je bredouillai… « Mais entrez donc ! Depuis que j’entends parler de vous ! »
Généreux et amusé par notre trop visible stupeur, il nous dédicaça, à l’une et à l’autre Le nu perdu.
Il insista pour que je revienne le voir… J’en fus abasourdie, partagée entre incrédulité et certitude heureuse.
Dès la première visite, je rencontrais un homme d’une si grande simplicité que mes attendus et la réalité se heurtaient. J’étais « transparente », devinée. Avec un sourire plein de malice, il sortit... le petit cahier confié à mon ami sculpteur : « J’ai ça à vous remettre. On ne vous a pas trahie, bien au contraire ! »… et il m’encouragea à continuer.
S’égrenèrent des rencontres régulières entre 1975 et 1986-87. J’ai entendu beaucoup d’anecdotes passionnantes secouées de grands rires, ponctuées de silences quand son regard se tournait en lui avec émotion. Il confiait son manque : tant d’amis et de proches avaient disparu. « Leur nombre est plus grand que celui des vivants », disait-il, mais sa gaieté revenait aussitôt pour évoquer des anecdotes mêlant le quotidien, le voisinage, des noms prestigieux qui lui rappelaient des aventures ou des situations émouvantes, graves, cocasses ou malicieuses.
Tour à tour, étaient évoqués Maïakovski dont la redingote (que celui-ci lui avait prêtée pour une soirée mondaine), bien trop grande pour lui (René Char mesurait 1m92… et Maïakovski 2m10 !), avait déclenché un mémorable fou-rire ; les balades à Venasque, Saint Didier, le Beaucet, avec Eluard ; les moments passés dans l’atelier de Braque en Normandie ; la venue de Picasso aux Busclats et leurs facéties enfantines ; sa tendresse pour de Staël… Camus, il en parlait comme d’un frère très proche. De Giacometti, il évoquait -en me montrant le portrait d’Annette dans son bureau- ce tourment qui brûlait les heures innombrables où il reprenait et recommençait sans fin ses œuvres cherchant à saisir de l’autre, la trop mouvante identité intérieure.
Etait-ce son attention si intense et toute particulière qui venait chercher ce que vous ne connaissiez pas de vous-même ? Grands étaient ses égards qui savaient sonder le cœur.
L’été, sa maison offrait une fraîcheur relative dans l’ombre des volets en cabane ; la vision devait s’adapter. « Mais asseyez-vous, chère amie. » -et il m’offrait place sur le divan rouge, face à son fauteuil- « Avez-vous écrit ? » Embarras, soit d’oser à peine lui montrer un texte inachevé, soit de devoir dire « Non ». Il souriait.
Ce qu’il disait, j’en retrouve là l’essentiel : « Entends le mot accomplir ce qu’il dit. Sens le mot être à son tour ce que tu es. Son existence devient doublement la tienne. » « Vous le savez, ajoutait-il, nous recevons quelquefois des signes ; parfois nous devons les attendre ou les forcer, d’autres fois, une grâce nous est donnée, impérative, sans qu’on n’y soit pour rien. » Un murmure alors agite mes lèvres, monte... : « S’assurer de ses propres murmures et mener l’action jusqu’à son verbe en fleur. Ne pas tenir ce bref feu de joie pour mémorable. » Et il continuait à parler, de sa passion de la poésie, et je partageais, déliée des hiérarchies, des jugements sévères que j’avais sur moi-même. J’étais en chemin pour comprendre que « La liberté était au sommet d’une masse d’obéissances dissimulées et de conventions acceptées sous les traits d’un leurre irréprochable. »
Passer en revue les informations les plus saillantes du jour devenait une sorte de rituel. Forte était son aspiration à transmettre, à partager son désir de progrès, de justice, aiguisant toujours plus sa propre lucidité.
(cf les 4 derniers paragraphes - Pléïade p. 760-761)
Alors, dans son regard, des éclairs sombres ou lumineux donnaient force à ce qu’il aimait réaffirmer : « Nous n’appartenons à personne sinon au point d’or de cette lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, qui tient éveillé le courage et le silence. »
Un jour, son bureau se réduisait à l’essentiel de la lumière, juste un peu verte d’avoir traversé les feuillages. Il tira lentement le tiroir, et avec ses paroles, s’ouvrit pour moi, le plus simplement du monde, ce lieu secret de l’alchimie poétique : « Je vais vous le lire, il est inachevé... Pourrez-vous me dire ? »
Comment ne pas douter quand « La parole dépourvue de sens annonce toujours un bouleversement prochain. Nous l’avons appris. Elle en était le miroir anticipé. » Et ses grandes mains tirèrent délicatement une feuille. Son écriture belle, penchée, laissant progressivement s’élargir la marge de gauche. Des ratures, des notes, rompaient la belle ordonnance de la page. Les mots venaient dont il chercherait l’exacte justesse au service de la poésie. « Les mots savent de nous ce que nous ignorons d’eux. » J’accueillais, émue, le poème inconnu, encore dans ses balbutiements.
Quand celui-ci tardait à le satisfaire, il le laissait dormir dans un tiroir « pour qu’il fasse ses preuves », disait-il… Il lut, renouant tout ce qui, du monde extérieur, avait rencontré le sien, était venu remplir de vie les mots passeurs de visible et d’invisible. J’écoutais la voix porter ces frissons du vivant que soulève la beauté. Il venait de me lire une ébauche de L’invitée de Mauguers.
René Char parlait souvent comme il écrivait, riait aussi beaucoup. Rire à la fraîcheur d’enfance de celui qui est pleinement dans l’instant. « Et si nous habitons l’éclair, il est le cœur de l’éternité ».
A cette période, je n’ai pas su mesurer pleinement toute la richesse à vivre, à être, à grandir en lucidité dans ces moments d’extraordinaire potentiel. Le pouvais-je ? « On ne fait pas l’économie du chemin », me dira plus tard un autre ami poète. Mon étonnement revenait souvent, tant les conversations renouvelaient, ravivaient avec force ce qu’il avait écrit.
A chaque retour, une ouverture me maintenait pendant quelques jours dans une autre dimension de l’être, puis se refermait, me ramenant au quotidien qui me happait, mais je pouvais retrouver dans des circonstances favorables ce bien, découvert, auquel j’aspirais dès lors :
« Lorsque nous sommes aptes à monter à l’aide de l’échelle naturelle vers quelque sommet initiant, nous laissons en bas, les échelons du bas ; mais quand nous redescendons, nous faisons glisser avec nous tous les échelons du sommet. Nous enfouissons ce pinacle dans notre fonds le plus rare et le mieux défendu, au-dessous de l’échelon dernier, mais avec plus d’acquisitions et de richesses encore que notre aventure n’en avait rapporté de l’extrémité de la tremblante échelle. »
Tout ce qui confondait l’Homme et la Poésie fleurissait en étonnement qui me gagnait quand il livrait la part de beauté, la vérité lumineuse de l’instant, tout naturellement, au cours de la conversation, et ouvrait sur l’inconnu un passage qu’il faudrait peu à peu apprendre à affronter… : « Enfonce-toi dans l’inconnu qui creuse, oblige-toi à tournoyer. »
(Pléïade pp. 754-755 de « Si tu ne libères rien de toi [...] » à « […] chant du cygne des présocratiques »)
Être toujours plus attentif pour découvrir sa propre vérité. Je percevais, dans le doute qu’il exprimait, sa propre recherche, jamais achevée, de la vérité due à soi-même et qui ne se livre que difficilement.
« L’exercice de la vie, quelques combats au dénouement sans solution mais aux motifs valides m’ont appris à regarder la personne humaine sous l’angle du ciel dont le bleu d’orage lui est le plus favorable. »
Ce qu’il a dit là, confirme ce que je ressentais de sa profonde humanité.
La fréquentation de René Char et, parallèlement, la fréquentation assidue de sa poésie, éclaire des facettes méconnues de ce que l’on est à un moment, facettes apparaissant, disparaissant, changeant avec nous. Sa poésie n’éclairait que ce qui pouvait l’être selon le chemin parcouru.
Comme mon fils aîné (10 ans) souhaitait voir un « poète en chair et en os » (ce qui avait bien fait rire René Char), il m’avait invitée à l’amener avec moi la fois suivante. Dix ans après la manifestation contre l’installation de fusées nucléaires sur le plateau d’Albion, pressentant, dans son souci d’un relais de vigilance (leur dialogue le laissait entendre) que cette histoire risquait de se prolonger autrement, il lui dédicaça Provence, point Oméga.
Un autre jour où je lui parlais des difficultés de mon fils, il avait insisté sur la capacité d’un enfant à écouter en lui pour devenir ce qu’il est, dans la confiance nécessaire.
Il me raconta qu’on lui avait demandé, pendant la guerre, de tirer au canon, alors qu’il n’en avait jamais vu auparavant… En donnant priorité à son intuition, il y avait réussi, m’a-t-il dit. Et il avait ajouté : « On ne fait pas assez de place à l’intuition. Le monde est malade de ne vivre que sur le pied de la raison. Nous avons besoin des deux. Et la science seule rend nos contemporains infirmes ».
(Pléïade p. 467 Les apparitions dédaignées, les 2 premiers paragraphes)
Homme ancré dans son temps, il se tenait informé.
Nos points de vue, abordaient des perspectives qui soit me confortaient, soit me choquaient tant j’avais de difficultés à me rallier à des analyses qui heurtaient mes convictions. Manque d’information, de maturité, d’expérience, de recul de ma part ? Certainement. Ainsi, je recevais, incrédule -et honteuse de l’être avec un homme tel que lui- ce qu’il disait. Dans sa voix, sa colère montait que n’aboutisse pas la demande collective d’un visa pour que Boris Pasternak puisse venir en France… et s’ensuivait une critique sévère du stalinisme (avec les lectures de Camus et de Mandelstam, j’avais fini par ouvrir définitivement les yeux).
(Pléïade p. 757 les 2 derniers paragraphes)
Je lui parlais des Chants de la Balandrane et de Sept saisis par l’hiver (dédié à notre ami Claude), de ce qui me touchait sans que je parvienne à dire pourquoi. « Nous sommes souvent concernés presque physiquement par la poésie. Il faut laisser venir », disait-il. « La manie de vouloir disséquer un poème pour l’expliquer, est détestable. C’est se couper de l’essentiel… »
« La clé, n’est-ce pas ce que nous sommes prêts à prendre avec nous, que nous reconnaissons comme nôtre, qui vient de nous aussi ? », m’avait-il répondu (c’est du moins la mémoire que j’en garde).
Au cours d’une promenade, il m’expliqua qu’il retenait ce qui avait fait « signe », éléments remarquables qu’il associait plus tard dans un poème.
Un jour, il s’enquit de savoir quels étaient mes poètes favoris, me récita cette fois-là des sonnets de Charles Cros dont il connaissait le descendant (qui devait, le lendemain, lui rendre visite). Il ajouta : « Chacun est plus ou moins poète, n’est-ce pas ? » Il désirait aider chacun à trouver ses marques singulières.
« Compagnons pathétiques qui murmurez à peine, allez la lampe éteinte et rendez les bijoux. Un mystère nouveau chante dans vos os. Développez votre étrangeté légitime ».
Je le laissai devant le portail blanc. Son regard de bonté est intact dans mon souvenir.
« L’être se définirait par rapport à ses cellules, à son hérédité, à la course brève ou prolongée de son destin... Cependant il existe entre tout cela et l’Homme une enclave d’inattendus et de métamorphoses dont il faut défendre l’accès et assurer le maintien. » Quelle liberté offre René Char dans ces mots !
Libérer l’amorce de possibles métamorphoses chez ceux qu’il accueillait sans distinction, avec une attention peu commune et ce respect coutumier qu’il savait avoir : le berger, le livreur de bois, la femme de ménage qui, quand je la rencontre aujourd’hui, reconnaît du poète « cette manière naturelle qu’il avait de me faire oublier que j’étais la femme de ménage », m’avait-t-elle confié.
Inoubliable partage que celui de l’émotion qui tremblait au bord de ses yeux quand il me lut, doutant de la force de sa poésie, la lettre reçue quelques heures avant, d’un chirurgien. Celui-ci le remerciait de tout le bien qu’il en recevait, lui qui avait à lutter si souvent contre la mort. Preuve évidente de tout ce bien, ce beau qu’il transmettait aux autres. Je recevais la très émouvante humanité qui circulait, impalpable mais si forte.
Oui, il a écrit : « La poésie me volera ma mort ». Conscient, en écrivant ces mots, qu’il restait et resterait présent et nécessaire (comme d’autres avec lui), pour que chacun, touché, puisse désirer rencontrer ce qu’il est. Chemin bien difficile. L’aspiration à poursuivre dans cette voie était stimulée.
L’avoir rencontré ? Une immense vague qui roule la souplesse du rêve et le choc du réel. Avoir découvert, avant l’homme, sa poésie, poser mes propres interrogations et mes doutes au cours de mes lectures et relectures a été une chance.
Ses dons ? Des lampes qui m’éclairaient, et m’éclairent toujours.
Les rencontres ? Certaines, essentielles, semblent une part mystérieuse de la destinée. Quelles affinités se condensent en rencontres qui, avec le temps convergent, deviennent arborescences d’échanges, système circulatoire, synapses, sorte de corps social prenant vie dans ce liant des aspirations et du vécu, permettant d’accéder à une autre dimension de la vie ?
Albert Jacquard le dit autrement : « Nous devenons la somme de nos rencontres ». Sans doute en devenons-nous plus riches. Et nous aimons les êtres si différents de nous qui « éveillent » en nous la part d’inconnu. Chaque être humain porte en lui ce que les poètes, les artistes lui permettent d’atteindre, à un moment ou à un autre, pour transformer son être.
Réflexion frémissante du désir de voir grandir avec le respect de la vie, ce liant de la poésie. Ce potentiel de poésie, René Char, de toute évidence œuvrait à le faire éclore et grandir.
C’est peut-être ce que nous révèlent les réseaux sociaux que « la Toile » rend visibles, et dont nous mesurons très mal encore la portée ?
Des constellations naissent, où s’attirent des êtres aimantés par SA poésie ou par LA poésie…
Si je pense à tous ceux et celles qui ont gravité autour de René Char, je m’interroge sur son exceptionnelle capacité à accorder tant d’attention et de temps à la multiplicité des « chacun et chacune ».
« La sagesse est de ne pas s’agglomérer, mais dans la création et dans la nature communes, de trouver notre nombre, notre réciprocité, nos différences, notre passage, notre vérité, et ce peu de désespoir qui en est l’aiguillon et le mouvant brouillard ».
Le désir permanent de René Char ? Une invitation à passer le seuil de la connaissance poétique. Son exigence était d’aider chacun à découvrir qu’ « Il en faut un, il en faut deux, il en faut… Nul ne possède assez d’ubiquité pour être seul son contemporain souverain ».
Il portait cette aura d’homme hors du commun qui continue de tracer, pour tous ceux que sa poésie rassemble, une voie lactée dans nos nuits intérieures.
« Il n’y a que mon semblable, la compagne ou le compagnon, qui puisse m’éveiller de ma torpeur, déclencher la poésie, me lancer contre les limites du vieux désert afin que j’en triomphe. Aucun autre. Ni cieux, ni terre privilégiée, ni choses dont on tressaille. Torche, je ne valse qu’avec lui ».
Bio-bibliographie d’Anny Cat
Anny Cat, née à l’Isle sur la Sorgue, y a vécu : élève, enseignante, mère, grand-mère... et y vit toujours. Elle aime dire qu’elle vit une « aventure poétique » depuis sa retraite.
Le goût des mots remonte sans doute à ses toutes premières années d’école. A partir de 9 ans, elle découvre les poètes du XIX° siècle, et d’autres, dans les livres de classe et les Petits classiques de ses parents.
Dès 12 ans, de loin en loin, elle écrit en cachette.
Entendre souvent parler de René Char, le voir passer dans sa rue, puis l’avoir rencontré, en a fait le poète qu’elle lit et relit avec le plus d’assiduité.
Grâce aux réseaux d’amitié : le chœur de chambre « Cadenza » de 7 voix de femmes (Claude Tiers, chef de chœur) -Anny y chante de 2006 à 20012-, l’association Poié’ô (André Ughetto, président) où elle lit quelques poèmes, grâce aux encouragements du comité de rédaction de la revue poétique « La main millénaire » (dirigée par Jean-Pierre Védrines) où elle est accueillie, elle a le bonheur de voir publier son premier recueil de poèmes (« d’Ombres et de lumières ») primé par l’Académie du Var, à Toulon, en décembre 2013.
Parutions en revues
*Mars 2010 - Anthologie « Pour Haïti », coordonné par Suzanne Dracius
*Mai 2010 - Revue « Souffle »
*2012-2013-2014 - dans chaque numéro de « La main millénaire »
*2013 - Revue « Phoenix » (n°11), extraits du recueil « d’Ombres et de lumières »
Lectures publiques
Mai 2013 - Bibliothèque de Robion (Vaucluse), lecture du recueil avec des membres de l’association Poié’ô
13 mars 2014 - Même lecture au Théâtre « Isle 80 » à Avignon
21 mars 2014 - Même lecture à la Médiathèque de l’Isle sur la Sorgue
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