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Jean Palomba, extrait de Rage mue

samedi 14 décembre 2013, par Roselyne Sibille

Extraits de Rage Mue, bréviaire du poète mort de Jean Palomba - Editions Moires, Collection Clotho (Poésie) - 2013. (Livre publié avec le soutien du CNL)

C’est dans cette nuit-ci que disons Muihr, il décida de passer au travers de ma pensée au moyen de sa voix, et d’y courir en écho tout au long de ce texte qu’on ourdit pour vos yeux. Toute rage mue.

3. L’écho de la pensée 1

(AVANT L’ATTENTE, il y avait Muihr. Il y avait son drôle de petit récit, passant par la multiple, la grande floutée, la pleine de moi encombrée, la-ma conscience adolescente. Sans doute était-ce un voyage à travers un rêve, mais un rêve sonorisé, se déroulant dans la réalité - enfin presque.)

J’étais en train de dessiner sur le télécran, puis j’ai dit ouais, euh... le bonhomme, euh... il aurait un regard sans yeux, ouais, ouais l’bonhomme du télécran, il aurait un regard sans yeux. Ouais, euh, mais ç’qu’y avait d’embêtant, c’est qu’le bonhomme du télécran m’avait piqué mes yeux... mes idées, quoi ! Alors quand j’le dessinais, j’étais vide ; ça m’énervait !... Alors au bonhomme, j’lui ai envoyé une flèche avec le télécran, juste sous l’cuir chevelu, le trou on l’voyait pas, mais moi j’voyais mes idées dégouliner sur son nez, ouais et pis c’était marrant parce que j’avais un ton dans ma tête, oui un ton qu’j’arrive pas à reproduire avec ma voix. Ouais, ça c’est embêtant parce qu’on n’est pas d’accord avec soi. Alors j’ai réfléchi longtemps avec mon soi, puis j’ai dit, euh... ce s’rait bien si j’arrivais à écrire les tons et les images qui s’amusent dans ma tête, mais que j’les écrive sans rien tenir, quoi. Par exemple, j’les écrirais avec mon regard, comm’ ça i’z-auraient pas l’temps d’s’échapper d’ma mémoire, le temps qu’j’réfléchisse pour écrire. Ça f’rait des images brutes comm’Iris Gian, belles, claires et pas sophistiquées, quoi. Bon, euh..., alors l’bonhomme, i’m’plaisait comm’ça... quoi, j’vous l’dessine, c’est marrant... Il est bien. Ouais, l’bonhomme, il était mieux sur le télécran mais... euh... solution de facilité..., j’change de sujet.

Autoportrait de l’artiste

6. Tête dans l’son

Merde, il paraît que je suis Muihr, à son rythme, lent, résistant, égoïste, centré sur nous-mêmes. Que sous notre air de doux compassionnel, nous sommes un fameux salopard. Sans tact ni écoute : lâche, moralisateur, ne sachant satisfaire que nos besoins, et encore, pas toujours avec diligence. Qu’on ne peut pas nous faire confiance. Fuyants, non motivés, nous trouvant toujours des excuses pour ne pas faire les choses ou des gens pour les faire à notre place. Que j’énerve, qu’il emboucane, avec mon pathos et ses airs de Jeannette, que nous demandons une endurance à autrui comme c’est pas permis, et toujours sans reconnaissance. Que j’exagère tout, que sitôt qu’on nous fait connaître mes torts, je nous ferme, m’enferme dans un mutisme revanchard. Enfin, depuis notre sale silence, que je nous fomente une échappée, prêt à tout pour fuir plutôt que de s’expliquer.

7. Pauvre moi sans Muihr

Je loin de Muihr ne travaillais pas mais faisais semblant. De même que je n’étais sans Muihr marié. À peine un air, un rien marital. Et lorsque nous faisions l’amour, c’était comme exilés ; un rêve de sexe se produisait, derrière les yeux, avant même d’être connecté au cœur et tous les sens, à distance, comme requis d’accompagner et dans l’obligation d’inventer des gestes mimant la proximité, tandis qu’elle, semblait s’atténuer jusqu’à l’orgasme qui la faisait disparaître.

Je devait se débrouiller aussi tout seul, à cause d’un appétit sexuel supérieur au nombre de contacts établis. N’aimant pas les rencontres, car irréelles et donc idiotes.


Présentation

Jean Palomba écrit pour les yeux et les oreilles.
Rage Mue, bréviaire du poète mort conte la vie textuelle d’un graphomane illuminé. Quelqu’un (je), une voix (Muihr), traversés d’amours et de haines, cheminent par erreurs hallucinées vers la mort. Une poésie en prose follement douce qui plonge dès les premières lignes le lecteur dans un univers incroyable et infini, fourmillant de : je, Muihr, ton de la conscience, écho de la pensée, femme aux visages multiples, globicéphales tropicaux, souvenirs d’enfance(s), rêves, fantasmagories,... Et aussi quelques dérèglements comme la narcolepsie, l’alexie, la jargonaphasie, la télépathie, l’ubiquité.
L’univers intime que l’auteur nous livre ici est un enchantement, magnifiquement construit. On traverse les temps, les espaces, le rêve devient réalité, le réel prend des formes oniriques. On s’approprie sa poésie, ses propres exigences d’écriture, pour une vraie liberté de lecture.


Jean Palomba (1964) est bibliothécaire musical et anime des ateliers d’écriture à Arles où il vit. Il collabore avec des écrivains, musiciens, plasticiens et met en voix, sur scène et ondes, ses textes et ceux d’auteurs contemporains :
Plusieurs collaborations avec le photographe plasticien Manuel Salvat / lecture performance au Festival off d’Avignon 2011, L’indien au-delà des miroirs, en collaboration avec la poète Simone Molina / lectures performances au Festival Assauts Poétiques, Arles 2009/10/11 / textes et mises en voix sur Croire Au Jaguar, émission radiophonique, 2013 / collaborateur au site de poésie Terre à Ciel, 2013.


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