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Hommage à Claire d’Aurélie

dimanche 23 février 2014, par Cécile Guivarch

Il existe, pas loin de chez moi, un Marché de la poésie où j’aime me rendre chaque été. J’aime y entendre des lectures, flâner de livre en livre, en acheter quelques-uns parce que quelque chose (un mot, une couverture) m’a rejoint, c’est un temps très intime et très « retiré ». Peu d’échanges de paroles à ce moment-là, mais beaucoup de gestes et de regards qui touchent.

Il y a des présences d’éditeurs qui me marquent particulièrement. Ils publient quelques livres par an, livres que j’ai appris à reconnaître par leur format, la couleur du papier et de la couverture. Leur conversation laisse parfois entendre que ça n’est pas sans difficultés. Pourtant, j’avoue, c’est une profession qui me fait rêver… Alors un jour, j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai osé poser quelques questions à deux d’entre eux.

C’est d’abord Claire d’Aurélie, l’éditrice de Paupières de terre, qui m’a répondu. Voici ce qu’elle a accepté de me confier :

Editrice à temps partiel – mais de cœur entier - depuis 20 ans.

Bien sûr, il est toujours possible de se lancer… Désir, énergie, un peu (ou plus) de finances, un métier nourricier en parallèle ne fait pas de tort. De solides connaissances des métiers du livre, ou une moyenne connaissance et une certaine innocence. Je venais de la librairie, j’étais chômeuse, j’ai emprunté une petite somme pour un an. Je ne pensais pas à la durée, j’avais le fort désir de faire une chose…La suite s’est faite d’elle-même !
Et puis j’ai rapidement eu un travail à mi-temps. Ensuite des activités artistiques irrégulières mais qui nourrissaient les finances de l’association que j’avais créée. Enfin, une modeste retraite. Je n’ai pas le risque quotidien de ceux qui font cela exclusivement. Je reçois quelques adhésions ; j’ai dû faire des emprunts, tous remboursés bien sûr. Et quelques dons importants (de personnes croyant à la liberté d’éditer et ayant confiance en mon travail) ou modestes (dont les miens) pour permettre de ne pas passer au rouge, dans ces dernières années, et de tout arrêter.
Il est vrai que je publie en partie de la poésie ; délicat moins de 1% de l’édition en totalité)… et que je fais au mieux avec mes qualités, mes manques.
Déjà il y a vingt ans, le plus dur n’était pas de faire un livre… mais de lui trouver une place en librairie. Rude tâche, plus encore à présent. Au début, les libraires prenaient une part des risques, achetaient le plus souvent, renouvelaient les livres. A présent, quand on est petit les premiers mots sont souvent : Vous avez un diffuseur ? Non ? Désolés. Ou encore : De toute façon ce ne sera qu’en dépôt. Même si vous appréciez ? Oui.
Je sais, j’ai fait ce métier il y a trente ans quand c’était déjà difficile. Il y a bien sûr encore des libraires curieux ou, au moins, très aimables. Pour eux c’est aussi de plus en plus rude mais je « reproche » à certains de vivre trop au chronomètre (Faites voir vos livres ; j’ai tout juste le temps) et d’avoir trop en tête la quantité vendable rapidement. Il y a des limites à la façon de faire ce beau métier.
Enfin, il faut vraiment désirer et aimer. Choisir..

La diffusion ? Soi-même ? Il faut être patient, entêté, en bonne santé, calme, dynamique, optimiste, avoir de bons muscles pour porter les livres, être organisé, prévoyant, calme, gracieux, impertinent, bon marcheur, avoir bon caractère mais ferme aussi... (le tout pouvant se dire au féminin). Sinon travailler avec une ou un représentant. Coût financier à évaluer mais l’expérience, la connaissance du milieu peuvent être d’une grande aide. Bien se choisir mutuellement.

Rencontrer les lecteurs ? C’est possible par les Salons du livre, Marchés de la Poésie et diverse manifestations, telles lectures chez des libraires, en bibliothèque… Très gros travail, risqué souvent pour les finances (locations de stand, voyage…) mais, bien des fois, c’est un grand plaisir de rencontres (lecteurs, éditeurs, organisateurs… ) et le bonheur de voir les lecteurs découvrir un livre, un auteur. Cela mange beaucoup de temps : bien choisir ce que l’on fait et ne pas le regretter.

Les choix. Comme mes choix de libraire : j’aime, j’y crois et je souhaite faire connaître, voyager tel texte, tel auteur. L’amitié c’est autre chose ; une relation peut s’établir mais le choix d’éditer se fait pour le texte. L’amitié, quand il y a, c’est un bonheur en plus et ça ne regarde que les personnes.
Oui, il y a du bonheur à soutenir un(e) auteur, à l’accompagner. Une satisfaction de faire ce qu’il y a à faire. Être là discrètement, fidèle au parcours, à l’écriture.


Claire d’Aurélie : fille d’imprimeur au plomb, libraire, puis éditrice. Catalogue modeste : deux livres par an. Des cartes postales en typographie : du texte uniquement ; poésie, philosophie, contes.

P.S : Les cartes postales en tout premier, avant même de penser un seul livre. Les textes, choisis un par un, par désir de tel ou tel et l’idée de les faire voyager par la Poste. Faire découvrir ou retrouver la poésie par un seul texte qui peut se suffire ou donner envie de plus. Pessoa, Rilke, Marie-France Vilcoq, Marina Tsvetaïeva, Marcel Cohen, Denise Levertov, Mireille Fargier-Caruso, Ossip Mandestam, Oktay Rifat...
L’image devient de plus en plus reine, de plus en plus difficile à présenter. Tant pis, je m’obstine.

9 mars 2009 C.A.

Propos recueillis par Sabine Chagnaud, paru en 2009 sur l’ancien site de Terre à Ciel


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