Terre à ciel
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Sur une citation de Gandhi...

vendredi 27 mars 2015, par Cécile Guivarch

« Je ne veux pas que ma maison soit murée de toutes parts, ni mes fenêtres bouchées, mais qu’y circule librement la brise que m’apportent les cultures de tous les pays » (Gandhi)

En chaque mur
est une porte

Parfois visible
parfois invisible

Chaque fenêtre se laisse franchir
par le regard

Même entre les barreaux les plus étroits
il y a encore un peu d’espace
pour nos mains

Lorsque notre conscience est trop malade
elle ne trouve plus l’issue.

Nicolas Rouzet

En ce dimanche
pas tout a fait comme les autres
quand j’ai lâché le cortège
les mains en rythme
clapclapaient encore
frappaient leur tempo conjuratoire
comme pour souffler du ciel
les sorcières qu’ont rallumé des cavernes
leur dinguerie
leurs chaudrons

ce dimanche
pas tout a fait comme les autres
entre cris et huées bon enfants
et marseillaises mal accordées
versait les gouttes d’un silence inhabituel
de ceux dont on dit
qu’ils étalent leur nappe
après les cataclysmes
le glissait parfois
battu par les pas de la foule en marche
vers le bas du large cours
qui mène au fleuve
et plus m’éloignant de cette rumeur
de ce murmure
plus il semblait dans le ciel
ou le cœur
enfin quelque part
a l’écart des radars
qu’une clé dans la mécanique
s’était cassée
et que sans plus de retour possible
on avançait désormais à tâtons
à l’aveugle et sans reponse
sur la glace craquelante d’un lac gelé
une de ces clefs plate
qu’on peine a extirper avec une pince a épiler
et qui se brisent nettes
traitresses
et laissent
inamovible
un bout de fer
un coin
un clou
fiché dans la chair

aura-t-on les instruments
les pinces
d’une chirurgie d’urgence
pour rebricoler vite fait
les âmes gangrénées
en ce dimanche
pas tout fait comme les autres
ça allait en mettre
du temps
hein ?
pour repartir d’un rire neuf
d’un allant frais d’insolence

la marée de clameurs
en sa dispersion
devait s’effilocher
se dissoudre maintenant
chasser d’une foi raffermie
une dernière tristesse
tombée du soleil
en sa clarté doucement faiblissante

et dont un morceau détaché
a la marge
jusqu’à ma porte
accompagna la mienne
mais celle-là
ne regarde que moi

Guillaume Alain

N’enfermez pas la vie dans vos villes
brisez les portes closes
ouvrez grand les fenêtres
sortez le vent appelle
respirez à pleins poumons
les mots de mer les mots-oiseaux
portez les paroles- racines
fertilisez la terre
ensemencez les saisons
n’enfermez pas la vie dans vos villes
ouvrez portes et fenêtres
soulevez les toits du silence
écoutez le chant du grillon
regardez filer les nuages
très haut très loin
mettez dehors la parole
qu’elle reste sur le seuil
sauvage libre nomade
faites tomber les murs
de la différence de la certitude
afin de vivre aux couleurs de la liberté
celles du ciel des prairies de la mer
les mots la vie respirent au limon de la Terre.

Ghislaine Lejard

Dessin : Janine Laval

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Le monde est plus vaste que
tous vos souvenirs

De ce lieu où j’appelle
entrent tous les poèmes
que vos vies ont écrits
sur les murs des cités
au milieu des déserts
dans les lieux du divin
et même
dans ceux des hommes sans dieu
A la cime des arbres
j’ai cherché un endroit
où pourrait se creuser
un espace choisi
afin d’y accueillir
ceux qui n’ont où aller
Depuis

J’habite une maison courant d’air
ma maison a des ailes.
Comme les moulins,
elle est ouverte aux quatre vents
à l’âme de celui qui chante
à celle de celui qui prie

c’est ma maison
elle est l’œil de mon âme
l’âme de mon cœur
elle habite l’espace et le ciel y a son lit
mes amis sont à l’orient et à l’occident
de tout
la racine de la terre
et le fruit des plus hautes branches

Quand les sous-bois s’éveillent
l’air y pulse et du fond des feuillages,
c’est un même
souffle accordé à l’inspir et à l’expir
de celui qu’elle accueille et couvre en son sein.
Quand,
du bout de mes doigts
aux éclats de jade, au goût de lilas, et aux encens d’ambre
et de lumière, j’accroche la lampe de ma soif
je vais boire aux fontaines assoupies,
à celles des eaux dormantes et des cœurs en paix

ceux qui viennent habiter ma maison
appellent à descendre au sentier des songes
marchent sur ses nuages, les prennent
à pleines mains

ma maison est ouverte aux quatre vents
y entre tout un monde aux multiples couleurs
aux notes fluorescentes
Dans la luxuriance de son cœur,
aucun dieu n’a volé la place d’un autre dieu
tous y sont
assis côté à côte et offerts aux alliances multiples
et celui qui n’a pas de dieu
s’abrite à leurs regards
bienveillant

Senteur du matin
fraicheur du soir
goût subtil des orages
portée par un seul désir
quand le cœur se trouble
et s’ouvre aux différences.

Les essences de ma maison appellent au repos
la lumière
et l’ombre épousent le seuil de la nuit.
Danse autour du monde
Puise l’amour à la ronde

ma maison, âme nue
t’accueille et te garde.
Dans ses plis, ses cachettes, tu peux sceller la pierre
tant que durera l’amour, souviens-toi
prompt sera ton regard à fraterniser.

Marie-Josée Desvignes

Dessin Tanguy Dohollau
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NOUS

Je tu il
elle eux
la langue a su inventer
les mots qu’il faut
pour dire ce qui passe
de l’un à l’une
de l’une à l’autre

Parmi ces mots
celui que je préfère
est l’exacte addition
de tous ceux-là

Quatre lettres
capables à elles seules
d’unir des millions d’yeux
aux miens
des millions de bouches
à la mienne

Grâce à lui
je me sens moi
et plus que moi
j’existe
de tous les autres.

Marilyse Leroux

Les mille-portes de ma prison

Les mille-portes de ma prison :
ces moments de joie inexplicable et inattendue
à la fois expansive et harassante.
Evasion multipliée.
Injonction :
Sois heureuse et croîs !

Plusieurs fois par jour
dans mon cœur aux mille portes et fenêtres
la plus grande joie jamais accordée
à une paresseuse :
aimer.

Dans ma geôle la grâce.

Sanda Voïca

LES GENS COMME ÇA VA
(extraits)

Trop de colère rentrée, trop de contusions dans les muscles,
et la parole prise dans les bâillons de ne sais quel formol,
yeux, nez, poumons, peau s’irritent, il fait soir,
quelque chose s’est creusé en sourdine,
il y a du vide à l’horizon,
et les reliefs s’émiettent jusqu’à perdre le point de balance,

alors les gens déferlent dans la rue, ils se retournent,
voient à nouveau en surbrillance
le mot « peuple »,

alors les gens s’enflamment, et marchent,
et plus ils marchent, plus ils retrouvent la cadence,

parmi la foule qui défile, les calicots, les embrassades,
les pancartes,

on dit qu’ils mettent le feu
tandis qu’ils en appellent au jour, au jour qui vient,
au jour qui n’est plus déchiré,
plus vrai de remuer toute la poussière des blessures.

Ce sont les gens comme ça va.
Ils se perdent, se retrouvent, se perdent encore,
ils vont toujours de l’avant
et ils n’ont pas le temps de voir tout ce qui brûle.

Demain vient le temps de l’étreinte,
l’étoffe indolente des draps.

Le corps nu et le corps habillé cohabitent.
Ça fait un beau mélange.

On n’est pas rendus, disent-ils en riant.

Puis ils laissent la fenêtre grande ouverte
avant l’arrivée des renforts,
la venue des étoiles,
le grand débarquement.

Ils ont trouvé sur une étagère du couloir
un livre que plus personne ne lit,
dans ce livre entre deux pages, une vieille image pliée
où sont écrits ces mots en rouge et gris,
perdus dans une flamme : elle ne sait plus qu’aimer.

Ils en sont quittes pour un baiser durable.

Ils rient : encore un
que l’ennemi n’aura pas.

Le ciel pour cette joie fait une roue dans l’eau.

Ils sont les gens comme ça va.

Dominique Sorrente

ULTIMA STANZA

Un enfant rit dans le noir de la chambre.
Un ogre, plus loin, aiguise ses dents.
Qu’arrive-t-il dans la maison ouverte ?
Un cavalier monté sur une étrange bête

entre chez nous égorge l’ogre affamé
et se met à caresser l’enfant qui riait.

A ce point neuf de sang de feu et de mots
la bouche rouge s’ouvre et se referme
devant la montagne de neige et de sucre
où tous les soirs nous prenons du repos.

Un vieillard rit dans la petite chambre
près de lui est une femme accroupie
qui essuie au sol des traces de sang
laissées là dans une ancienne vie.

Plus tard, les stanze seront effacées par la pluie,
des animaux rêveurs iront par deux lire nos erreurs
disant
cette femme essayait de tenir tête au vent ignorante
du pouvoir d’effacement qu’ont les mots sitôt écrits.

Sylvie Durbec

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Image de Pierre Rosin, affiche pour l’insurrection poétique de la maison de la poésie de Poitiers en mars
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un simple départ cette fois
pour P
pas pour N W et le vent
un petit partir
et chaque fois
le même ventre

qui reste
dans une partie
de la maison

elle boit son café avec des petites
manières
pour oublier que c’est elle qui part

_-photographie V

deux chiens
tête bêche
comme des vieilles
filles
qui n’osent pas
se toucher

des pieds
en contreplongée
monstrueux
balourds

et un torse
d’homme
posé
comme une
question
quelques vagues
sur son ventre
de pourceau
des poils
un sein de garçon

_-jardin d’acclimatation
des enfants
de jambes
de bras
de cris pointus
en aiguilles de pin
en aigrettes
du parc

assise
sur le banc froissé
elle voudrait
leur dire
sur leurs manèges
dans le jeu des tickets
la valse des petits sous
aux enfants
qui rient
aux enfants qui pleurent

elle voudrait leur dire
le pied douloureux
contre le cœur
d’un Rimbaud
cul de jatte

qu’il faut aimer
et le brun
et le bleu
les jaunes
et les ocres
les langues
et les refrains

les ventres de pourceau
les seins de toutes les mères
les mères aux cheveux clairs
noirs même cachés
bleus ou verts

écouter les mots
même
sans les comprendre
sans les savoir
quand ils
regardent
droit dans les yeux
et dans leurs bottes

la haine
c’est moche
dans les vases

elle voudrait

et boit
un café
trop amer

sourit
aux marmots
tous pas pareils

mais

si

semblables

Clara Regy

Les bras sont cirque de montagne
Au cœur le rythme de la terre
je bats le tambour

Dans les veines le flux de la rivière
tranquille continu
animé comme un rire d’enfant

Au trot vif du tambour
je descends dans les galeries du monde
traverse des grottes la porte
écoute rencontre reçoit
Entre les sabots et la peau
remonte un savoir

Dans la nuit nous marchons vers les bougies de l’Est
ouvertes aux soleils levants aux sagesses de l’Orient

Au centre
la chaleur attend

Nous avançons vers le Sud et ses ressources
sa musique sa lumière
ce qui n’a pas à se dire

vers l’Ouest et la plénitude des océans
des crépuscules cuivrés
qui dansent au creux des vagues

vers le Nord son repos
ses forces concentrées
le blanc et son silence
dans lequel tout se crée

Dans le souffle d’humilité qui monte de la forêt
nous martelons des pieds comme de la mailloche

Le feu craquète et croque
réduit nettoie
transforme les résidus en flammes
en pépites vivantes de braises consolées

Tambour clairière et pleine lune
Tambour central
Tambour terre où danser et lueur de planète
Tambour tout à la fois surface plane et cavité
Tambour attente Tambour réponse

Autour du tambour
les grillons tissent la nuit

Roselyne Sibille

Si tu veux fleurir au printemps oh mon frère
Fais comme l’arbre en hiver
Assouplis tes croyances allège ton credo
Laisse le vent sans fin défaire tes feuillages
Fais place nette au gel à la pluie aux matins
Pactise avec le ciel
Creuse la terre nue à même le sang de tes racines
Sois graine enfouie dépossédée de tout abri
Et laisse sur chaque branche en toi chanter l’oiseau
A claire-voie dans le soleil

Jean Lavoué

Mots de fin

On croit connaître le nombre de satellites
de Jupiter De vagues sur la mer d’Iroise
De notes nées dans les théâtres italiens
comme la longueur de nos grêles intestins
et le nombre de cils baissés en un clin d’œil
On ne sait pas la route entre jaune et soleil

Urbs nescia vinci latinaient les notables
de la ville faisant penser qu’ils ignoraient
la défaite Mais surtout ils ne savaient pas
la recette des briques d’argile ni même
la technique du fil à plomb pour restaurer
les ruines de l’observatoire des lunes noires

Beaucoup de gens croient aussi que mourir ici
plus qu’ailleurs est une histoire de sang immobile
bruni à la Van Dick ou terre de Cassel
Histoire d’yeux orbités en billes d’agate
jaune de Mars alors que mourir n’est qu’un souffle
mué en cris de comète et râles d’étoile

Jean-Louis Rambour

L’un est là
Adossé contre un arbre
Le visage défait
Dévoré par sa nuit

L’autre approche
Léger
Son ciel est sans nuages
L’après-midi est doux

Du second au premier
Un salut
Simple mais chaleureux
Comme un oui qui affleure
Et offre de la vie

Et voici peu à peu
Qu’au long du tronc de l’arbre
La sève se ravive

Qu’à la nudité crue
Succède une douceur
Et que quelques questions
Des petites, des grandes
Se surprennent à rêver à leur résolution

Aux miroirs écaillés ils se sont reconnus
Mêmeté des visages
Et mêmes fronts de pierre
Et les mêmes regards
Où des larmes ont brillé

Face à eux l’évidence
De leur humanité
Car rien n’est plus humain
Que de verser des larmes

L’entraide est un long fleuve
Qui ignore sa source

Proche avant d’être étranger
L’homme sera humain

Isabelle Alentour

Parce que la main tremble

Parce que la main tremble
d’émotion
les mots ne viennent pas

Ils veulent un monde où les mères regrettent
la traversée du vivant
leur enfant mis au monde

Alors j’insiste
vais chercher loin

Temps immémorial où je
et d’autres avant moi et encore après nous
bâtissons une maison de mots où respirer
ensemble nos mains tendues
contre ce qui se ferme
au dehors

Jasmine Viguier

Les images s’entrechoquent
ce sont des déflagrations
la violence et la haine débordent
circulent en boucle à la télévision.

Moi je voudrais juste que tout s’arrête
je voudrais pouvoir
repartir en Tunisie, en Egypte, en Syrie
je voudrais que l’Irak
redevienne le berceau de l’humanité
– tablettes mésopotamiennes ornées de poinçons –
que l’Afghanistan soit de nouveau
le pays des cavaliers.

Qu’est devenu notre monde
les drapeaux tibétains flottent dans le vent
puis-je encore rêver
à un paysage multicolore
à un patchwork de coutumes
dans le monde d’aujourd’hui ?

Valérie Canat de Chizy

pourquoi ces étranges noms de fleurs
mitraillettes roquettes machettes
et ces champignons dans le ciel
on déterre des charniers
les yeux n’ont plus de larmes
emplis de quelle terreur

quelles fleurs pour les morts
si le sang continue de couler
et recommence depuis toujours

ce jour de janvier
la France a mis sa robe noire
je me souviens il faisait gris
le soleil avait presque disparu

et la pluie coulait sur nos joues

Cécile Guivarch

tout ne peut se dire
ni même se penser
le souffle est épuisé
sec brûlé
nous voulons une pluie terrible
celle qui ressuscite
nous ne voulons plus de divinité qui emporte
engloutit
recommence

Elodia Turki, extrait de Tabou

Immortels
Les courants de la haine
Sans cesse reviennent
Sur les portes ouvertes
Anciennes et fortes
De la culture, épaisse
Et se brisent sans cesse

Millénaires de chairs,
D’or, d’idées et de sang
Tout cela jaillissants
Ne sont qu’un filet d’air
Tout en légèreté
Dans notre bras levé

Dans ce monde de rime
L’ignorance est lacis
La violence aussi
Au cœur des fins intimes
Qui font grandir les murs
Loin des espaces sûrs

Ronan Cahour

Je ne veux pas que ma maison soit murée
je ne veux pas de maison
si c’en est une en murs et vidée
je ne veux pas de portes si c’est pour les fermer
je ne veux pas de murs s’ils tiennent au sol
je ne veux pas de maison
si elle ne s’effondre quand la terre souffre
si elle ne s’embrase quand un vent trop ardent fond sur elle et la prend
je ne veux pas de maison si les fenêtres sont closes

mais que les murs vacillent
que les vitres éclosent
que remue la terre qui la porte
que se fracassent les planches
que chavire ma maison
qu’émue par la tempête et les vagues
elle se renverse
se rassemble
qu’elle enfle
se creuse
quand le vent
la brise
la traverse
la brûle
ou qu’elle frissonne
quand l’air immobile à peine la tient maigre et fragile.

Je ne veux pas de maison
si elle ne s’ouvre
même sans raison.

Claire Lemoult

Ouvrez toutes les portes
_________Ecrivez tous les mots

Qu’il en pleuve des seaux
_________pour inonder la terre

La main d’un enfant
_________apparaît sous l’orage

Il n’y a plus de temps

_________Laissez-moi passer.

Martine-Gabrielle Konorski, (extrait de Je te vois pâle... au loin, le Nouvel Athanor)

Anthologie rassemblée par Cécile Guivarch


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