Marie-Hélène Prouteau nous emmène en voyage, un voyage poétique. Elle nous invite à nous
joindre à elle dans ce périple littéraire, artistique, géographique, historique,… sur les pas de
Paul Celan d’est en ouest. De sa Roumanie natale à Paris, en passant par plusieurs lieux dont
deux mois de vacances près de Brest en 1961. Essai qui s’ancre dans un dialogue du poète avec
un autre poète, Nelly Sachs. Une pérégrination entre ombres et lumières, du pire au meilleur
de l’homme. Le titre de Marie-Hélène Prouteau, Paul Celan, sauver la clarté nous montre cette quête spirituelle, cette manière de poser des poèmes-balises sur le chemin, cette recherche de lumière, d’éclat. Celan dit « celui qui écrit, cherche et trouve en chemin, la direction ». Le fil conducteur du livre va du tragique à l’espérance, de la tragédie inscrite dans l’Histoire, la persécution des juifs, les camps d’extermination, l’exil,…à l’espérance. Comme dit Rilke « L’essentiel est de survivre ». La poésie permet peut-être cette survie. L’espérance étant représentée dans l’essai de Marie-Hélène Prouteau par ces deux poèmes Après-midi avec cirque et citadelle et Du fond des marais récemment peints par des artistes sur les murs de Leyde et de Paris. Des poèmes offerts au plus grand nombre incitant au regard, à la prise de hauteur et à la réflexion. « Cette lutte, en moi, du tragique et de l’espérance est, sans doute, ce qui a dessiné le chemin d’écriture. » écrit l’auteure.
Ce livre est d’une richesse incroyable pour qui est curieux de littérature et d’arts. L’auteure, dans son essai, restitue la rencontre de Celan avec une multitude d’intellectuels, de Pasternak à Mandelstam, « admirable étoilement de liens entre deux grandes voix dissidentes », de Nina Berberova à Rilke, de Kafka à Walter Benjamin,… Les peintres ne sont jamais très loin, Rembrandt, Paul Klee, Gisèle Celan-Lestrange, Piet Mondrian,… L’auteure nous plonge dans une époque pas si lointaine dont nous ferions bien de nous souvenir en ces temps troubles. Des poètes ont refusé le silence, ont refusé de se taire, ont continué à faire vivre leurs mots en exil, ont appris par cœur leurs poèmes pour ne rien lâcher à l’ennemi. « Celan sait que, là où l’esprit est entravé, les écrits et les livres suivent d’imprévisibles parcours. »
Auto-portrait de Rembrandt
https://www.wallraf.museum/
Marie-Hélène Prouteau a inséré pour chacun des chapitres des poèmes de différents recueils de P. Celan dont des poèmes du « cycle breton » de La Rose de personne écrits au château de Kermorvan, à Trébabu près de Brest en 1961. Recueil probablement le plus important de Paul Celan « A Brest, face aux cercles de flammes, … » Le premier chapitre Mandelstam et le baobab, en clin d’oeil à la dédicace de La rose de personne, A la mémoire d’Ossip Mandelstam. Cet essai aborde la dimension politique de la poésie en résistance de P.Celan et relate le combat de ses amis en écriture : O. Mandelstam, victime du stalinisme comme d’autres de son époque M Tsvétaïeva, A Akhmatova,… P Celan fait entendre sa voix à la mémoire de toutes les voix assassinées à Auschwitz. Un autre chapitre qui devrait nous interpeler : Dates méridiennes du procès Eichmann. Les mots de Marie-Hélène Prouteau résonnent étrangement avec ce que nous vivons actuellement en France et ailleurs. « Il oblige à regarder en face les formes sournoises de l’antisémitisme,… » De vieux démons renaissent de leurs cendres.
« C’est la vie entière que Celan empoigne et fait entrer dans ses poèmes. Avec ces petites choses qui sont plus qu’elles-mêmes. » P. Celan tisse sa poésie d’observations tant du paysage, l’infini du bleu, l’océan, la fleur, la rose, la montée des périls… que du lieu où il écrit. Sa poésie dit le quotidien, poésie dite « chronologique », car écrite selon le déroulé des jours, mais aussi autobiographique « ces fragments de vie réelle transmués dans les poèmes. »
« L’autre nom de la résistance pour cela, tenir, se tenir debout, résister. » Ces mots de Marie-Hélène Prouteau résonnent avec ceux de la poète Colette Nys-Mazure : « L’accès à la nature, la lecture, l’écriture permet aux hommes et aux femmes de rester debout, de rêver, de se rencontrer »
Le chapitre Présence des marais est lourd de sens ; les premiers camps de concentration installés en Allemagne au milieu des marais, d’où il était difficile de se sauver au risque d’être pris dans les rets de l’enfer de la boue disent toute la noirceur du projet nazi. Le marais, un lieu sombre, un lieu craint qui désoriente. Un paysage instable, mouvant. « Impossible évasion sous peine d’enlisement » condamné à subir, à pourrir, à mourir en ce lieu glauque. Le marais, un lieu de mort qui manque d’oxygène. « L’oxygène, c’est la vie. Et la pensée a besoin d’air pour respirer. »
L’écriture permet de vaincre « les moments noirs » et ainsi d’accéder à la lumière, si ténue soit-elle. L’écriture est porteuse d’espoir.
Tout au long de sa vie, les mots et les livres ont porté Paul Celan. L’écriture comme l’étoile polaire qui nous guide et nous rassure. Le chapitre L’étoile clandestine de Minuit nous démontre une fois de plus la puissance de l’écrit au travers du livre de Vercors cette fois qui entre en lutte avec son silence de la mer, un silence de résistance. La petite étoile du logo des éditions brille comme un phare dans la nuit, une lueur d’espoir. « Le traitement infligé aux livres est un miroir des horreurs commises sur les êtres humains. » Qu’en est-il du livre aujourd’hui ?
Petit tableau au sapin - Paul Klee - musée de Bâle
P. Celan ne fuit pas son époque et ses événements tragiques. Il les dénonce dans ses écrits. Il est en alerte, il s’interroge : « Quel peut être l’engagement du poète entre vivre l’événement décisif et l’écrire ? »
« Dans vos cuivres, je reconnais mes poèmes » écrit Celan à celle qui fut son épouse, Gisèle Celan-Lestrange. L’artiste tout comme l’écrivain utilise ce qu’il a sa disposition, sa peinture, ses mots, son ébauchoir,… pour faire advenir ce qu’il a au plus profond de son être, son feu intérieur, sa fragilité. « L’art n’est-il pas une conversation perpétuelle, sans cesse poursuivie ? »
Cet essai mérite plusieurs lectures tellement il est riche de portes ouvertes sur une multitude de sujets. Inépuisable va et vient entre poésie, histoire, peinture, géographie,…
Je terminerai cette chronique par ces mots de Marie-Hélène Prouteau : « Le poème est une poignée de mains. Il voyage, il établit des ponts, des passages. » J’ai envie de saisir ces mains et de partir à l’aventure, de relever le défi encore et toujours de l’écriture. Quel bel hommage au poème !
Chantal COULIOU
Paul Celan, sauver la clarté, préface de Mireille Gansel, de Marie-Hélène PROUTEAU, éditions unicité, 2024

