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Le paysage du poème

lundi 20 octobre 2014, par Cécile Guivarch

  • Simone Molina
    Dominique Limon, peintre et graveur, alors qu’il avait un problème médical de vision, m’a raconté qu’il pensait en images, et s’est mis à me décrire comment se produisait en lui cette pensée en images. C’est alors qu’il m’est apparu que je ne pensais pas en images, mais en mots, en fragments de phrases, en idées et sensations qui se précisent dans des mots jusqu’à atteindre la justesse requise. J’ai saisi aussi que leur sonorité vaut plus pour moi que la représentation graphique du mot lui même. Plus tard, j’ai lu la correspondance entretenue entre 2008 et 2011 par Paul Auster et John-Maxwell Coetze, intitulée « Ici et maintenant » (Editions Actes Sud, 2013). Dans cet échange épistolaire Paul Auster évoque « la question de l’espace » dans l’écriture du roman. Il écrit :

« Plutôt que de me projeter dans le décor fictif que l’auteur décrit (....), j’ai tendance à placer les personnages dans les lieux que je connais personnellement. »

Et plus loin il ajoute : « lorsque j’écris, il semble que le processus s’inverse. Les espaces existants dans mes romans sont totalement concrets pour moi » (....). Je suis curieux, ajoute-t-il, de savoir si une partie de tout cela trouve écho en toi -en tant que lecteur et en tant qu’écrivain"

A ceci J.M Coetze répond :
« Pourquoi suis-je incapable de produire des écrits de voyage dans toute leur splendeur – (…) je sais que tu vas me dire : « mais tu es en bonne compagnie. Où sont donc les saisissantes évocations de paysages et de sons étranges chez Kafka ? Où ont-elles chez Beckett ? Mais suffit-il de se satisfaire de ce genre de consolation ? ne fait-on pas montre d’une simple vieille inaptitude – d’une réaction mal adaptée à la beauté et à la générosité du monde ? Qu’y a-t-il de louable à tenter de faire d’une pauvreté native une vertu ? »

Et ailleurs il ajoute :

« Ce que je semble avoir, en lieu et place d’imagination visuelle, c’est ce qu’en termes vagues j’appellerai une aura ou une tonalité ».

Qu’en est-il pour vous, en tant qu’auteur et en tant que lecteur, de votre rapport à l’espace, à l’image visuelle et aux sonorités ?

  • Jean de Breyne

Mon espace d’écriture est celui de la chaise où j’écris, sur laquelle je lis, et jusqu’où me parviennent sons et bruits ; avec leur court entourage : deux fenêtres de part et d’autre de la table où j’écris, à Funtana en Istrie ; le laurier en voûte sur moi et le cyprès qui s’élève devant moi, dans mon jardin de Rustrel ; les toits, derrière la grande vitre, avec la fumée d’une cheminée, le drapeau croate d’un bâtiment administratif, les personnes âgées de la maison de retraite, de mon bureau à Zagreb ; les trois carnets dans lesquels j’écrivais ce printemps, à l’angle de la rue Beethoven à Hannover ; la nuit de janvier et la neige bleue du cercle polaire de la rivière Ivalo ; les chambres des hôtels, avec une table, une chaise pour le lever à cinq heures.

Tout cela n’est que de la réalité. L’image, il me semble, fait ma poésie, avec l’espace dans lequel se meut l’homme, où d’où est le son, ma photographie de ce qui vient de se passer, une certaine image, bien sûr, qui ne quitte ma pensée, y compris dans l’oubli, puis donnée par la mémoire, ou qui ne me quitte plus jusqu’à ce que j’ai syntaxé ça dans la phrase, si elle vient. Et dans la dramaturgie de l’humain.

Mon espace d’humain où se frotter à l’humain, est la rue, espace, et où sont les images, et les sons.

Ainsi je ne réponds pas vraiment à votre question, chère Simone.

  • Clotilde Marceron

Espace, image, écriture : trois mots magiques…
Si l’écriture comme la lecture sont pour moi toujours porteuses d’espace et d’images, c’est depuis l’espace que je pratique dans la marche que je vais rêver ici.
Il faut dire que j’arpente, de préférence, les paysages ouverts : landes, alpages, bords de mer. Dans de tels lieux, l’espace se ressent comme un élargissement, une dilatation de soi dans le paysage où l’on se fond. Mais je le vis aussi comme un portage, ou un bain… C’est une densité et une présence : emportée par/dans l’espace, tout autant que je le porte et l’emporte avec moi.
L’espace m’est un abreuvoir dont j’aime la démesure.

Entre cette sensation de l’espace et l’écriture qui tente d’en rendre compte, il y a peut-être l’image. Je dis peut-être car l’épiphanie de l’écriture me reste mystérieuse… L’image souvent, me précède : comme lorsqu’en photographie on prend un cliché dont l’objet véritable n’est pas le « vu » qu’on a cru/voulu prendre, mais une image autre, révélée dans l’après-coup. Image saisie de manière inconsciente, intuitive, mais probablement déterminante au moment du déclenchement photographique.
Il me semble que le mot, celui qui en tout cas fera pour moi écriture, jaillit d’une expérience semblable. D’une sensation ou d’une image in-sue, dont il est une mutation. Une concentration ou un précipité.
Ainsi le mot « abreuvoir », surgi au vif de ce texte, que je viens d’employer : il contient et rassemble –je m’en aperçois à l’instant- ma soif de l’espace, tous les abreuvoirs des troupeaux d’alpage dont je garde trace dans le regard, la barque ou le berceau que dessine la Méditerranée… et certainement plus, que j’ignore !

L’aspect sonore de la langue, à laquelle je suis très sensible, vient après : le ricochet d’une voyelle, le rythme d’une allitération ne peuvent sonner qu’à partir d’une parole inaugurale, un déjà-là. Sauf la couleur d’un timbre… L’ouverture du « a » de abreuvoir, par exemple. Mais ne sommes-nous pas là dans une « image » sonore ?

Un mot nous ouvre,
mais le mot ouverture ne retient pas le vent,
ni la courbe des crêtes le chant des pierres que réveille le passant
et pourtant, en chaque cairn
parle une île de Pâques où se lèvent des voiles, les yeux ouverts.

  • Roselyne Sibille

De façon générale, ma forme d’esprit est liée au visuel ; ma pensée s’exprime en images bien plus aisément qu’en idées et en concepts.

Pour m’exprimer, je vais spontanément vers des exemples, comparaisons ou métaphores, ce qui -quand les images sont pertinentes et suffisamment offertes- est souvent très parlant pour l’autre.

Quand je lis, je laisse s’ouvrir les évocations que me donne l’auteur et si, évidemment, je les mets en relation avec ma « base d’images » (vues réellement et imaginées : celles que j’ai déjà engrangées en moi), celles qui viennent du texte s’y ajoutent, pour l’enrichir et la nuancer toujours plus. Je porte ainsi des mondes intangibles, que complètent des phrases devenant images réelles pour moi (qui ne sont vraisemblablement pas celles que l’auteur avait en tête mais peu importe).

Pour écrire, je suis tout d’abord très attentive à ce que je ressens (avec mes cinq sens) et aussi aux ambiances, à l’atmosphère globale du lieu et du moment. Je peux alors décrire ce qui m’entoure et m’habite : le déjà connu et le tout juste découvert, l’extérieur et le subjectif, l’alchimie de ce qui est « en train de devenir moi ». Pour cela, je plonge dans ma « base d’images » comme on lance la main vers des outils nécessaires. Ecrire me permet également de sentir mieux et de découvrir. En cherchant la meilleure façon de définir le ressenti du moment vécu dans le concret, je le vis bien plus intensément.

Enfin, les mots eux-mêmes, et l’association des mots entre eux, leurs sonorités, rythmes, assonances, « consistance », frottements est comme un matériau tangible qui vient colorer, affiner, préciser ce que je suis en train de vivre et d’écrire. De même, voir les mots sur un support est pour moi une image souvent très belle. C’est pourquoi j’aime les écritures des langues du monde, même si je ne peux en comprendre le sens. De même j’apprécie beaucoup l’écrit intégré aux œuvres d’art, ou devenant œuvre.

Plutôt qu’un penseur ou une intellectuelle, je suis une émerveillée !

  • Jean-Louis Giovannoni

À d’autres !

La fascination pour le fait d’écrire semble sans fin. Depuis de nombreuses années, une littérature abondante se penche sur ce phénomène. Cette difficulté à dire ce qui se passe au moment où ça s’écrit, n’empêche pas les écrivains de tous bords d’être diserts sur ce sujet. Nous sommes inépuisables. Certains ont, semblerait-il, encore plus de plaisir à en parler et à écrire dessus qu’à écrire vraiment.
Peut-on réellement rendre compte du fait d’écrire ?
En écriture, il semblerait que la ligne droite ne soit pas le plus court chemin… et que tous projets, plans, volonté de, soient mis à mal dès que ça se met à écrire. Toute géométrie dans l’espace externe en tentant d’effectuer une mise à plat de ce processus, n’est qu’un leurre ; tout témoignage sur le comment j’écris, même s’il est des plus sincères, est une recomposition, une réinterprétation bâtie dans un après-coup quand l’écriture n’est plus au présent ni au travail de sa venue.

Le fait d’affirmer que c’est plutôt le rythme ou la vue des mots ou encore la présence ou l’absence d’images… qui présiderait à la naissance de ses écrits, relève, pour moi, d’une pure auto-fiction, sûrement nécessaire à tout écrivain pour qu’il puisse éviter l’insoutenable question de Que fait-on quand on écrit ? et pour laquelle nous n’apporterons finalement jamais de réponse tangible.

Peut-être n’écrit-on réellement qu’à partir d’un silence premier ; un silence inentamable, sur ce qui doit se taire à jamais, et qui, en même temps, produit inlassablement des mots, des phrases comme la suppuration d’une plaie incicatrisable ?

Le rythme, les images, la pensée… me semblent être bien plus les résultantes du processus d’écriture que son origine ni l’amorce même de celui-ci. Ou alors, il faut considérer ces appuis que sont les mots, les phrases comme les seules parties visibles, sorte de pré-texte de ce qui doit rester caché. Cette partie visible, ostensiblement mise en avant, aurait fonction de pare-feu, de semelles d’interposition afin déplacer notre attention sur du visible acceptable ; afin que nous n’ayons pas à nous confronter à cette zone indicible et qui doit le rester.

Il y a, j’en conviens, dans la langue, une fascination, une nécessité interne qui nous pousse à écrire. Ce quelque chose serait suffisamment puissant pour mettre en mouvement notre désir et entraîner notre psychisme dans un sport mental qui demande, somme toute, une incroyable endurance et surtout une grande capacité à souffrir pendant de longues périodes, en tout plus grandes que les menus plaisir narcissiques que l’on peut en tirer.

On ne devient pas écrivain, même si dans la réalité beaucoup désirent le devenir avec aussi la volonté de faire œuvre. En fait, c’est la langue qui vous choisit à travers votre manque fondamental, celui que vous portez en vous, et qui ne trouve d’exutoire que dans l’écrire. Toutes les configurations internes ne sont pas faites ni destinées à l’écriture. D’autres voies de sorties existent.

Certes, on « pense » quand on écrit, mais d’une autre manière. Ça pense au présent du mouvement ce qui exclut tout réflexion, toute prise de distance avec ce qui s’écrit ; toute forme de conscientisation, de vue surplombante. On pense en et on nage en polyphonies de sons, de rythmes, de sens et tout cela bouge avec nous et en nous.

Peut-être que le verbe penser ne convient pas ou alors il faudrait l’envisager comme un rêve ; un rêve agi en mots, et phrases où l’on serait plus sujet qu’acteur de ses rêves. La condensation, le déplacement… comme façons d’acter sa pensée.

Bien sûr, rien n’interdit de se raconter des histoires, de broder tout ce que l’on veut, n’est-ce pas le rôle de l’écriture de fictionner tout ce qu’elle approche de près ou de loin. Nous ne pouvons guère faire autrement, mais au moins que cela se fasse avec certaine lucidité. À savoir que nous parlons à partir d’un lieu que nous ignorerons toujours, un lieu qui n’attend que nos mots et nos phrases pour s’enfouir, se cacher. Un lieu où seule une voix résonne.

  • Luce Guilbaud

Paysage du poème

Le poète entre pas à pas
dans le paysage de son poème.
Ping Hsin

Tous les livres sont des lieux, des espaces, des paysages. Tous sont des personnages qui aspirent à l’existence. Tous sont un peu de moi (les miens comme ceux des autres). Et qui suis-je écrivante sinon mon dialogue intérieur entre moi et moi, donnant la parole à ce qui veut se dire en moi et moi désirant lire ce qui s’exprime puisqu’on construit des murs de livres et de mots
on enferme entre les pages des forêts d’hiver, des forêts d’automne, des forêts presque vierges, des forêts au bord du fleuve avec charmeuse de serpents, des forêts de nuit, des forêts où l’on avait des rendez-vous
on enferme entre les pages des océans que l’amour traverse, des océans aux bords de l’Afrique qui transportent des forêts décapitées
on navigue entre les pages avec l’enfant de la haute mer et le marin de Gibraltar
on élève des barrières contre le Pacifique et on remonte le Mékong avec échos de Lahore et de Savannahket
Les pages tremblent avec les feuilles de peupliers sur le marais dans les envols de vanneaux
on sait qu’une seule page peut ouvrir la Route de la soie jusqu’à l’estuaire de la Loire
et on s’endort parfois sur l’IIe batailleuse devant le balcon en forêt.
Ligne à ligne, mot à mot, toujours. A mon seul désir j’arpente le rivage et dans les échos d’anciennes batailles, je monte jusqu’au donjon où les belles s’endorment
Je regarde les bateaux entre les tours de la Rochelle, les bateaux partis depuis longtemps vers l’embouchure du Saint Laurent
lorsque j’ouvre les mots, je ne touche à rien, je regarde seulement leur coquille et leur amande incarnée, je joue à construire des figures, des jardins, des labyrinthes, je cogne parfois les coquilles pour entendre leur son de jour et de nuit, d’arbres de printemps ou de neige d’hiver, d’embarquement pour Cythère ou de petit pan de mur jaune…
mais je ne touche à rien, le mot prend sa place parmi les autres, il s’anime et se transforme au contact d’autres coquilles substantielles .
Le cheval blanc qui marche près de moi sur le rivage m’encourage à jeter mes vêtements et mes journaux intimes à la mer, il monte à la tour où je dors et entre dans ma chambre pour chasser la cauchemar assis sur ma poitrine
quand parfois les murs se resserrent, que les livres s’écroulent, on pousse un cri pour chasser les rats car les forêts prennent l’eau et les troncs s’inversent et se confondent avec leur reflet
c’est la mer qui revient sur ses traces
les mots se font souffle l’année dernière à Marienbad et s’étirent langoureusement le long des couloirs déserts et des chambres saturées de confidences
qu’il fait bon plonger dans les images pour donner toute liberté à l’écriture
et je souhaite que les derniers mots soient dits (écrits) sous la voûte étoilée de Galla Placidia, qu’ils transpercent la pierre et se perdent aux vents du large…
Comment toutes les impressions visuelles, par la rencontre d’images, les souvenirs, infusent-elles mon écriture ? Il m’est difficile de le comprendre et de l’analyser, cela fait partie des mystères et de la liberté de la création. Comme Maria Gabriella Llansol :
« Je ne souhaite pas penser des concepts mais faire des nœuds volatils d’images, de pensées, de fascination et de signes ».

  • Romain Fustier

Du mot à l’image

Il est clair que je ne pense pas en images, mais en mots. Mes poèmes naissent souvent de presque rien : une sensation, une impression, une sensation. Parfois, ils partent d’un mot. Rarement d’un mot au sens littéral, pris dans sa définition. Ceux de mes poèmes qui naissent d’un mot se développent en s’appuyant sur tout ce qui échappe à sa définition, ou alors ils rebondissent à partir de cette définition. Si j’écris un poème à propos des mûres, de retour de cueillette par exemple, je vais assez rapidement abandonner l’idée ou l’image des fruits noirs ou des ronces ou des haies – d’où mon poème est pourtant parti – pour m’enfoncer dans les terres inconnues des sens s’ajoutant à ce sens littéral. Je bascule rapidement dans l’indirect, le subjectif, l’implicite comme on glisserait au fond d’une tourbière, ignorant du coup la quantité de matière spongieuse, légère, décomposée dans laquelle je pénètre. Or je ne mets pas derrière le terme « mûre » la même chose que mon lecteur ou un autre poète. La singularité de mon poème évoquant ces mûres va en partie venir, outre ses qualités d’écriture intrinsèques si ce poème est réussi, de cette singularité même de ma perception qui ne va pas évoquer la réalité, mais une réalité possible à un moment précis. Une réalité somme toute évidente pour celui qui écrit, mais qui peut au final s’avérer surprenante pour son lecteur.

Une fois le mot-pivot du poème fixé – s’il s’agit d’un poème partant d’un vocable précis et non d’une sensation/impression/émotion vague qu’il va falloir retranscrire en mots, ou bien encore d’une parole prononcée par un proche comme je le fais souvent –, plusieurs processus sont en mesure de se déclencher. Le mot, par le truchement de ses sons, induira quelquefois d’autres sons qui induiront d’autres mots. Le poème se déploiera alors en se laissant porter par sa musicalité. Adolescent, j’ai été un grand lecteur de Verlaine, et ce souci de la musique revient régulièrement chez moi, ne m’a jamais vraiment quitté. Autre possibilité : je joue sur le rythme et le débit pour mettre en valeur le mot, ou sur la construction syntaxique. Quoi qu’il en soit, tout me paraît affaire de point de vue. Beaucoup de mots se chargent pour moi de sens multiples qu’ils n’ont pas pour mon lecteur. Ces sens particuliers me permettent des associations d’idées singulières, mais qui, paradoxalement, s’imposent d’elles-mêmes au cours de l’écriture. L’étrangeté d’un poème tient souvent à ces décalages de perception du sens des mots entre le poète et son lecteur, de l’insolite en puissance qui en découle. Au sens intellectuel du mot s’ajoutent donc l’ensemble des impressions et jugements affectifs que j’y associe, tout ce qui remonte du fond de ma mémoire quand j’écris.

  • Cécile Guivarch

J’écris avec des choses qui me viennent de loin. Si loin que parfois ce sont des choses que je n’ai pas connues, des choses racontées, des souvenirs, des photos, des lectures. Si on part de cette idée de représentation du monde, alors oui, j’écris en image, à partir d’images que je crée dans mon imagination. Mais pour autant est-ce cela écrire en image ? Je me représente le monde à partir de mon expérience concrète, à partir de photos, gravures ou des écrits. Quand j’écris sur une arrière-grand-mère (voir « le cri des mères », « un petit peu d’herbes et des bruits d’amour », « vous êtes mes aïeux »), je me fonds dans son paysage, je vais par les mêmes chemins qu’elle, dans les champs de blé ou de pommes de terre. J’ai l’impression de tout voir, avec les mêmes couleurs ou plutôt en sépia ou noir et blanc. L’image que je me fait de l’époque n’est que celle que je ressens, que j’imagine, mais puis-je la faire revivre vraiment dans son éclat ?

Ecrire en image peut à mon avis se décliner de différentes façons. Donner sa propre vision du monde, écrire en donnant aux mots un autre sens que le lecteur n’aura aucun mal à décoder. C’est le propre du poète. Surtout si l’image est suffisamment forte, au point de provoquer une émotion chez le lecteur. J’écris non seulement avec des images qui me viennent de loin, mais aussi avec ce qui m’entoure. Il suffit que je m’installe quelque part sur un banc, dans un train, sur une plage pour me laisser envahir par l’espace. Cette sensation d’être quelque chose dans ce monde, en somme presque rien, comme je l’ai évoqué dans mon premier recueil paru aux éditions du Carnet des dessert de lune :

"En fin de compte
ce sont les feuilles qui parlent le plus aux arbres
entre eux
nous ne sommes qu’un grain de sable
et ce n’est peut-être pas plus mal"

Car c’est bien avant tout d’être quelque chose dans ce monde, dans l’histoire qui me font écrire. Laisser une trace, n’être pas rien.

En ce qui concerne les sonorités, j’entends des voix. Ce sont celles qui m’entourent et puis celles de mes ancêtres. C’est toutes ensemble qu’elles me donnent le ton, que les mots se mettent en musique. J’entends la voix de mon poème et des mots qui se mettent en ordre. Je ne cherche pas la rime, ni à faire joli. Je cherche les voix qui nous parlent et nous posent des questions sur le monde.


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