25 février […] ce n’est pas un masque, le Ciel – le Vide / pareil à Lui le Ciel comme il est - comme il pleut - comme il place son eau, son air / le Vide s’approche au jour le jour / s’apprend Ciel, s’apprennent les signes d’un /quelque chose de véritable
/ […] ce jour, juste entendre eau, juste porter voix / à cette eau venant du Ciel / à son de lui, à son de / quelque chose en un corps / de quelque chose en accord avec /
[...] c’est mantra /
écouter c’est s’offrir naissance, s’offrir à renaitre avec encore plus de points communs avec l’eau, écouter pluie, c’est écouter du dehors / du dedans en même temps […] / me suis rendormi un peu, la pluie je crois / il est maintenant 11h26 / je le sais / il y aura des jours meilleurs, il y aura un printemps, du printemps, du bois de printemps et de beaux gestes, des regards avec plein de quoi / de l’audace dedans, avec des chairs qui tremblent dedans […] et si ce n’est pas au printemps, nous laisserons passer l’été, ce sera à l’automne, c’est bien l’automne aussi, déjà autour de ma main qui tape ces lignes il y a un / se revoir /
qui rayonne de toute sa force, il y a le son / lavoir […] ça vibre, ça aime ce qui vient, ça laisse venir sons et sons, mots fous - mots sages c’est déjà du / lâcher prise / c’est déjà de cette matière-là / qui s’ (t’) invite à joie / qui invite à écouter Lumière, qui […]
29 février […] là une absence aimantée en écoutant Bach / David Fray, Goldberg variations / tu sais, cette qualité d’écoute / lorsqu’il nous semble n’être aimé que par quelques doigts qui courent sur un piano. Là il pourrait s’agir d’un vol / imagine le / ce vol-là / haut au-dessus des prairies, d’une rivière / un vol pareil à nous immobiles, nous tenant mains en ne sachant plus grand-chose / un vol pareil à toi, à nous nus / juste parés d’un / quoi / un vol ainsi, à la fois grand et petit, pareil à nos vies, à un nous ainsi […] tantôt un point, tantôt une forme, le, ce qui tantôt s’éloigne / le, ce qui tantôt se rapproche dans un / ce qui vole là / dans un / ce qui transforme le Ciel et tout sous le Ciel / en
un seul Corps, le tien, le mien en quelque chose de vrai […] tout alors, ce qui vient et advient : cela ne se voit pas, pourtant à ces moments je crois, sans pleurer nous pleurons avec toutes nos faiblesses, nos forces / sommes solidaires à ces moments je crois, cela s’entend / nous,
les solitudes sont belles à pleurer / sont beaux alors silences le tien, le mien / [...] tu vois, ne fais qu’écrire et méditer, ne sais plus grand chose / de moins en moins je pige / […] un (je) écrit cela
/ sommes le premier jour de mars, les petites fleurs dans les branches du romarin, elles ressemblent aux anges que dessinait feu Jules Paressant / là, de petits anges violets, peut-être est-ce toi, c’est langage à un moment, le silence / 11h29 maintenant il a plu cette nuit sur les ardoises, du gros ciel, il a plu sur la glycine, sur l’herbe, côté jardin, côté rue il a plu sur les trottoirs noirs, sur les fils électriques, les poteaux, les grilles, le portillon, le fer forgé, sur le romarin
torse discret dans un bosquet / un rouge-gorge oh !
ce (je) prie avec sa vie, œuvre avec sa vie tandis que hommes tuent / à tue corps en voilà / tuent à tout va / alors insister sur ce qui pourrait peut-être transformer tout cela, en Lumière / alors prendre souffles en Souffle / être riche d’être en Vie […] d’être en corps, avec son sang, avec la chaleur de son sang, avec sa vie aimer […] déjà faire ça, essayer […] en ce moment elle ne dit rien l’aimante, l’aimantée / pourtant il l’entend / entre deux silences il y a un lien tellement fort, il y a une rivière,
/ […]
12h01 maintenant, il y a Lumière dans ce qu’il retient d’elle, dans sa mémoire il y a Lumière / dans ce qui est Lumière il y a mémoire, [...] il y a
la beauté de marcher / juste ça la beauté d’être là / dans le matin, dans le courant d’un jour / puis avec le soir / être là […] / fidèle à un lien […] pourtant parfois on dirait ça, il nous semble n’être aimé / que par l’air, par l’eau / par les éléments, être aimé ainsi / […] parfois on se sent un peu comme un chien abandonné sur l’autoroute / [...] est-ce un chant autre, ce silence / peut-être est cela, une offrande autre, ton silence, le meilleur que tu puisses m’offrir en ces moments / [...] me suis endormi en regardant le Mentalist / l’imperturbable, le froid agent Cho dans cet épisode est ému, il se revoit dans la peau d’un gamin interpellé pour un vol de bagnole / cela
le ramène à sa propre enfance, une période compliquée / sa délinquance avant d’intégrer l’armée puis le CBI / […] malgré la pression au sein de son service, afin de lui éviter un placement en foyer / il aide ce gosse à prouver l’innocence de son père pour le sortir de taule [...] n’ai pas tout vu, ai dormi un peu, ai survolé puis me suis senti même un peu coupable de regarder des conneries, pourquoi […] / alors me suis lancé à changer une batterie, à recharger celle à plat [...] / ensuite ai feuilleté un bouquin de vivaces, des fleurs comme je les aime, des costaudes, ai relevé des noms, des fois que / quoi […] / maintenant /
17h23, ces jours suis tombé sur des poèmes de toi, ils datent d’un an environ, ils me touchent tant / [...] un (je) écrit cela, ils me touchent c’est physique, ils sont chairs, corps
ce 03 mars, 10h31 / [...] pour une fois, me suis levé tard, la Lumière est là et bien là, les prévisions étaient bonnes […] / me suis réveillé avec cette phrase « […] la souffrance elle est votre liberté ! » / dégoupillée et lancée par un vagabond que nous avions hébergé une nuit d’hiver / [...] / un (je) écrit ça et encore : / je vous entends m’entendre [...] m’appelez- vous, encore / il me semble car […] ai rêvé à vous, Muse comme vous êtes […] voyez / (je) ne vous lâche pas la main, un / suis là ! / veille sur quelque chose de beau, sur un lien / […] m’en souviens, elle est promontoire, notre nudité / elle domine nos ombres et /
[…] cette fois, ce jour à 11h08 / le tendre cela : la Lumière est un chemin, j’habite une partie du monde, j’habite monde et / matières que je rencontre / et même celles que je ne rencontre pas, je les sais là, en marche, en voie, j’habite silence(s) / je laisse venir, dans une petite distance suis là, y trouve espace et place pour l’autre, là s’est invité, une Olivia
La commode aux tiroirs de couleurs. Olivia Ruiz. Editions J.C Lattès, 2020. / Version gros caractères / Gabelire, 2021.
Ce prénom, ce nom vous diront quelque chose / oui, c’est bien elle, la femme chocolat, pas une homonyme, il s’agit bien de / cette chanteuse qui cette fois a choisi la forme du roman pour nous en dire plus sur ce qu’elle est / sur l’héritage qui est le sien / en l’occurrence une commode : celle de son Abuela qui a pris une bonne place dans son petit appartement parisien / aussi l’envie lui est venue de parler de cette grand-mère / d’offrir sa voix à celles et ceux que l’exil a rendu muettes, muets.
Dans sa chanson /J’traine Des Pieds / elle avait esquissé le petit univers qui a été le sien durant son enfance et adolescence, les heures, les jours passés entre les murs d’un café J’traînais les pieds et des casseroles / J’n’aimais pas beaucoup l’école […]J’trainais des pieds dans mon café / Les vieux à la belote braillaient / Papi, mamie, tonton André et toutes ses petites pépées / A mes p’tits soins, à m’pouponner / une atmosphère racontée, les oh, les ah et / le brouhaha en cuisine, La fumée du bœuf bourguignon, les coups de feu, Toute la famille la tête dans le guidon, les clients, Les Pensionnaires, les habitués, les gens de passage , surtout l’été / la vie d’une auberge dans les bonnes années / Du temps où on pouvait faire les cons /
Joyeux bordel dans mon café / les années 80 / 90 croquées en quelques phrases. C’est avec ce même talent qu’ Olivia Ruiz s’est lancé dans ce roman : / La commode aux tiroirs de couleur /. On n’applaudit pas assez les quatrièmes de couverture /
lorsqu’elles condensent avec justesse le corps d’un livre / dans celle-ci : « / à la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l’intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille / le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses tiroirs et dérouler le fil de la vie de / Rita, son Abuela / dévoilant ainsi les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables entre Espagne et France, de la dictature franquiste à nos jours ».
Tout est résumé là, le / ce qui tient dans l’adversité est remarquablement ressenti et traduit dans ces pages. La force, il en a fallu à ces femmes, ces hommes, du tempérament. Olivia Ruiz en a également hérité /et c’est avec trempe qu’elle remonte sa mémoire, jusqu’à ses aïeux, une Mémoire.
Des résistants morts en se donnant la main, en s’aimant. / Des orphelines, des sœurs déplacées, déracinées, avec ce que tout cela comporte : trouver ici ou là, les minces filets d’amour nécessaires à des gamines. Quelques présences comme elles sont leur apporteront de quoi ne pas oublier / à quelle source leurs chairs s’abreuvent. / Force d’être coule dans leurs sangs, leurs souffles, heureusement cela en elles, un puissant élan de vie portera fruits, Olivia Riz en est un. Cela commence ainsi
un livre parfois, par un chagrin. Epuisée par mon chagrin, j’ai soudain la sensation d’être ma grand-mère quatre-vingt ans plus tôt, gravissant les Pyrénées. Grelottante. Perdue. Amputée. Elle de sa terre. Moi de sa présence désormais.
Un quartier, Sacré-Cœur, le sien / un appartement, un trente mètres carrés, le sien. Une commode, des tiroirs. Une Femme, une enfant, des tiroirs : « des tiroirs de chair et de cœur » a écrit en son temps Guy Benoit in, Au plus haut point physique.
L’éloignement se révèle rapprochement, jamais Olivia Ruiz, ne l’a senti aussi près d’elle, qu’en l’écrivant, son Abuela. / Le fou chagrin, quand même, ce qu’il nous amène à percevoir de nous-mêmes dans ce qu’il est, traversant l’autre. C’est
chemin en corps, c’est ça : à un moment ce qui nous donne Présence, juste ça / le sentiment d’être le corps d’un pas et d’un autre. Corps pour / Cela, être encore / par fidélité aux siens, par fidélité en quoi en eux, en nous. / Une identité impalpable :
celle d’un aller vers, celle de la Vie comme elle nous jette en La Vie, inracontable presque. Pourtant c’est plus fort que nous et c’est plus fort qu’elle / Olivia Ruiz raconte, trouve les mots et entre les mots, trouve les silences pour ne point le dire, les dire : les moments insupportables et qu’il faut quand même supporter.
/ Un soir, tandis que nous rentrions du défilé del Dia de los Reyes les poches bourrées de bonbons, Papa a allumé la radio […] la voix dans le poste a parlé d’un projet, d’un massacre de sang, de Barcelone, et Papa a dit qu’il était temps de nous mettre à l’abri / […] / les mines défaites de mes parents auraient dû nous mettre la puce à l’oreille sur le quai de la gare. / Leurs têtes étaient mises à prix dans tout le pays et au-delà. / Condamnés, ils avaient décidé de mettre fin à leurs jours ensemble. […] Le train n’est pas allé jusqu’à Narbonne. Nous avons été débarqués à Gérone et nous avons dû finir à pied. /
L’Abuela et ses sœurs amenées devant un immeuble, Au cinquième, la jolie Madrina nous attendait en tricotant et mâchant du chewing-gum Madrina sera là, pour leur apprendre les deux ou trois trucs qu’il faut savoir lorsqu’on est une jeune fille et qu’on devient une jeune femme. Les premières règles, les hommes, ce qu’elle en sait, le peu qu’elle sait, elle le transmettra, sans tralala / […] Les femmes vivent cette tannée une fois par mois, ça n’est pas une maladie, il n’y a rien de grave, ça veut juste dire qu’à partir de maintenant, tu dois faire attention à ce que tu fais avec ta fleur, sinon tu peux tomber enceinte.
Olivia Ruiz la revisite cette époque, ce premier émoi, l’éclaire de ce qu’elle est, elle, une femme d’aujourd’hui, sensuelle et vive, elle romance, souffle ses mots sur / une première fois, sur / le rapprochement de deux corps, sur / cet homme qui
la parcourt, c’est un / Raphael et comme dans la chanson il lui dit des mots d’amour : Qu’elle est le poumon que Dieu lui envoie pour qu’il respire enfin / Qu’elle est les yeux qui lui font voir que le monde n’est peut-être pas totalement foutu.
[…] / Ce sera une vie pas facile, celle vécue par son Abuela / Olivia Ruiz la revit et a ce don de voyager dans le temps dans l’Amour, l’Amour des siens. Par Amour, dans ces existences confrontées aux épreuves / d’inviter grâce là / où on ne pensait pas la trouver. Vivre âme au corps,
vivre ainsi en braconnant du vibrant, en se fondant au quotidien n’est pas permis à tout le monde, cette auteure y parvient. /
Sans qu’on ne sache trop pourquoi, ce livre fonctionne, pose une lumière sur ces heures sombres.
Olivia Ruiz dit, la Femme et ses tiroirs / la Femme et son sang dont se chauffe les hommes, le Monde. Ce sang Mémoire.
[…] / tant et tant de beauté mêlée à tant d’absurdité, à tant de misère là et là / alors parfois cela devient nécessaire : trouver Or en Soi / trouver Or / souffle dans un / un peu se voir / dans aller voir un lavoir, dans héberger berges, herbes et eau d’une rivière. Semer du / se regarder, sang(s) et souffle(s) nu(s) […] / écouter Souffle, s’écouter vivre / alors quand
[…] parfois cela devient nécessaire, cela se ressourcer, le retrouver ce qui transforme le, les corps en quelque chose de vrai / [...] un (je) écrit ça, il est 10h05 / c’est un 08 mars / une chatte miaule, plusieurs fois elle miaule […] tu vois, j’entretiens le suspens / celui-là même qui nous accorde parfois lieu(x), qui nous accorde des endroits pour le permettre cela : le tamis d’une main sur ta peau, en ta, tes chair(s) / main pour abri afin de ne pas se perdre lorsque le Monde va grand bruit, de ne pas perdre chemin / celui précieux de ce que nous sommes au plus profond de nous / le tamis de nos chairs amies
de la Vie et rien d’autre / [...] n’avons besoin que de cela
14 mars, 10h19 / matière-amour / garde-fou [….] / 10h26, il y a dans le Ciel, son de cela, et juste devant une carte bancaire sur une chaise tachée de café / un stylo noir, une télécommande noire / matière ainsi
15 mars, 10h00 pile / […] lâcher prise c’est déjà de cette matière à venir, celle qui invite à écouter Lumière, à écouter chair, et âme, à effleurer corps qui va, […] arc de lui […] arc de vous ô lâcher main sur / vous
lire parfois, c’est un acte de création, lire avec son corps, avec sa vie, on tombe sur quelques lignes qui nous renseignent sur ce que nous sommes, nous-mêmes en train d’écrire, sur la nature d’un texte en cours, là je relève quelques lignes, « On voit
la violence, l’exigence poétique : ramener l’ordre originel qu’on a perdu et pour ce / ressusciter le désordre, bouleverser les assisses de la vie normale [...] sortir », elles sont de Jacques Sojcher. Sortir, c’est à dire / entrer en quoi / un (je) s’approprie ces lignes, les regarde à sa façon : aller dans / ce qui va. L’accompagner de son propre élan de vie, de sa propre intuition le / ce qui va. Il est des solitudes qui brillent comme des soleils / […] celle-là au bord d’une œuvre :
Bleu Bacon, Yannick Haenel. Editions Stock, 2024.
Ce livre est sous-titré / Ma nuit au Musée / tout simplement parce que Yannick Haenel a souhaité vivre cette expérience :
toute une nuit, la passer entouré du travail du peintre Francis Bacon, expo que le centre Georges Pompidou lui a consacré. /
Huit salles, une sorte de labyrinthe pour ajouter encore plus de trouble à celui qui passe le seuil / La porte s’est refermée et j’ai entendu une voix. On m’avait dit que je serais seul. Je rêvais de solitude, mais il y avait quelqu’un.
La voix s’est approchée, elle s’est adressée à moi : « Entre au fond du sanctuaire. » Je me suis retourné vers la porte : il était encore temps de ressortir, ceux qui m’avaient conduit ici ne s’étaient peut-être pas éloignés, il suffirait que je les appelle pour qu’ils me libèrent. […] / Trop tard, c’est trop tard, Haenel va devoir la vivre cette nuit avec la
Force d’une œuvre, avec cette chair à vif et c’est pétrifié qu’il aborde les premières minutes de cet enfermement volontaire.
/ Les néons sont des flammes, tels des miroirs / les murs se reflètent les uns dans les autres / ne lui laissant entrevoir aucune issue possible, pas même la fenêtre des toiles qui elles aussi semblent s’être liguées contre lui
Les tableaux étaient bel et bien accrochés […] mais on ne les voyait pas
L’accueil est troublant, il est entré dans un feu, dans un espace puissant / […] / déjà il se sent mal, une migraine s’installe, il titube, vacille / il n’est point mort, encore moins pharaon pourtant
quelque chose l’enserre, l’insère ou semble vouloir l’insérer en ce quelque chose, l’incorporer […] Il tente de se rassurer, il est si démuni là / dans sa poche le numéro de portable du directeur « au cas où » / Bacon il l’aime depuis l’adolescence, […] j’attendais de la joie, j’espérais une métamorphose. Rien du tout, j’étais en plein cauchemar /
un cauchemar éveillé, il n’est pas bien / heureusement un lit de camp / est-ce Bacon qui prend corps, qui s’installe en lui / il a bien quelques béquilles / quelques petites phrases en réserve dans sa boîte crânienne / sa boite de crâneur, il se voit roi et / pourtant là, cela semble bien n’avoir peu d’effets sur lui, il crâne moins, la magie des Erinyes l’entoure / c’est à ce moment ce qu’il croit. Il brûle et il le sait,
il se voit piégé et ce n’est pas le blabla du mental qui cette fois va l’aider, bien au contraire, là […] les Erinyes et tout en elles me disaient : « Tu dois payer. » / Payer quoi.
Pour lui écrivain, est-ce une épreuve qu’il va devoir affronter […] / il a tant reçu, peut-être cette nuit, il va devoir rendre ses grâces / peut-être doit-il bon gré / mal gré se rendre / se donner au Feu d’une nuit Blanche, à ses monstres / […] / d’ailleurs sont-ils des monstres / ou plus simplement les reflets de flammes dansant sur les parois d’un égo face à un autre égo /
celui-ci peut-être encore plus emmuré encore que le sien / cerclé de têtes, de membres, de ligaments, de chairs en peinture, de peintures en chair / d’entités beuglantes
heure après heure le feu agit / serait-il dans le Bardo, non ce n’est pas l’heure / quand même on le dirait : le Temps prend / corps, au fil des heures une évidence bleue s’invite, il se laisse apprivoiser, il apprivoise : je veux trouver les mots pour dire la béance que les tableaux de Bacon trouvent en moi :
la peinture agit sur mon système nerveux, elle modifie mes perceptions et influe sur ma vie. Il ferme les yeux un temps
un temps il les ouvre / Tout était bleu et frais. Moi aussi j’étais frais : aucune douleur, tête légère, un vrai miracle. […] Voilà, j’étais de retour. / Je me suis levé et du bleu m’a giclé au visage. / Grâce lui revient, Etait-ce une fontaine ? Face à moi, un cube transparent se remplissait d’une eau très claire qui jaillissait d’un robinet. L’azur est irrésistible […]
Le tableau s’appelle / Water from a Running Tape (Eau s’écoulant d’un robinet) […] il n’y a que du bleu /
un bleu béant / une toile en partie en jachère / une présence ainsi, avec de l’espace autour, est-ce là un auto–portrait, il se pourrait bien / Haenel retrouve ses marques, sans doute également il se sent moins seul / et l’entrevoit-il cela, le /
tant de débordement, le / faut-il ces crues, ces écorchés pour qu’à un moment / en soi ne trouver qu’une amorce de Blanc, par le Bleu cela, une voie vers la Blancheur, au lieu d’une, de chair(s) éteinte(s) une chair étincelée, étincelante
Une clarté […] Je n’avais pas compris tout de suite qu’il s’agissait de la toile vierge. Les trois quarts de la toile n’étaient pas peint : est-ce pour cela que Bacon avait utilisé le mot « immaculé » ? / Lire Haenel, c’est
désapprendre, c’est apprendre ainsi, c’est se laisser dérouter / c’est entrer en doute et en confiance en même temps, c’est / accepter dérive / une certaine dérive car à un moment il retrouve cap, une verticalité l’éclaire
Pour ma part l’ai découvert par hasard un été dans ma ville, son / Evoluer parmi les avalanches m’a accompagné, me suis laissé faire / par la suite ai oublié son nom, son existence, puis je l’ai retrouvé in / Les renards pâles / Je cherche l’Italie / Cercle / Le sens du calme etc / et à chaque fois ce fut signe / même miracle, […] / il nous parle, tantôt il explique ce qu’il fait, tantôt il médite ce qu’il ignore, il nous fait part d’une traversée.
/ Des romans sans doute, mais surtout à travers eux, une forme d’autobiographie ne cachant rien des faiblesses et des forces qui le travaillent. / J’apprécie ces pages où il chante le fait d’écrire. Dans chacun de ses livres : disséminées quelques lignes
magnifiques sur la magie d’exister aussi par les mots / avec les mots de trouver le silence beau, il a ça, ce petit truc […]
Bleu Bacon est traversé de citations, de Frémon à Deleuze, de Peyré, à Maubert, à Leiris, à Sylvester / et bien d’autres dont Sollers, son comparse à qui l’auteur dédie son livre. / Bleu Bacon est chargé d’excès au point d’en faire craquer ses bordés / sans doute fallait-il cela / charger le flotteur, les corps des protagonistes (peintres, auteurs, lecteurs) / tendre leurs contours / afin de rendre compte de cette œuvre vive, de cette présence immergée en peinture
Bleu Bacon est un livre un peu diffèrent des précédents / il est très documenté et il n’en cache rien. / A la fin du livre il cite les nombreuses sources qui ont alimenté / sa presque insomnie, son presque ensommeillement dans l’univers de ce peintre / cette fameuse nuit. A t’il vécut ou rêvé tout ce temps avec Bacon, sur quel mode de présence ces pages ont-elles été écrites / là, Haenel / s’étonnant d’être là (presque fou - fou fresque, presque Cela - en lire - en délire / presque sain) / sage ainsi.
Revenons à Sa Nuit avec / l’engin Bacon / car c’en est un : à un moment parvenir à l’Azur après avoir traversé des chairs et des chairs, après avoir pris / par derrière la peinture / L’image qu’on a de ce peintre ne semble pas correspondre à / ce qu’il était vraiment / pour Haenel :
Soyons clairs : Francis Bacon n’est pas le peintre de la violence et de la cruauté, c’est la société qui est sadique (et qui a intérêt à nous faire croire que les artistes sont des détraqués). […] Le monde est abject, sauvage, criminel ; un peintre en restitue l’énigme nerveuse. […] Alors, Bacon s’est-il laisser absorber ? Jamais. Voilà quelqu’un qui, au contraire, aura tenu bon, tous les matins dans son atelier, produisant, face à l’horreur, des transmutations d’obscurités, des exorcismes éblouissants. […] avec Bacon,
j’avoue avoir éprouvé malaise jusqu’à ce que l’éclairage du bleu Bacon d’Haenel me rassure sur cette gêne légitime. / […] à un moment trouver en soi, espace / un espace, ce bleu / cette part de toile en jachère chez Bacon / idem chez Klein, son bleu, sa trouée vers / et chez Van Gog son jaune, ce passage vers
/ plus d’espace, toujours plus d’espace même dans l’encombré monde, parler à l’Ombre, aux ombres inquiètes, tourmentées / faire preuve de courage, peindre, écrire, créer / nous éclabousser de Lumière
/ mais retrouvons Haenel dans sa nuit sous les néons du musée qui le traduit cela / […]ces hommes aux cuisses musclées de prédateurs empaillés qui trempent leurs pieds dans des flaques de larmes noires, ces hommes penchés sur des chiottes qui
dégueulent, ces hommes à la chair rose bonbon, à la peau fripée de petit enfant sale, aux joues de tortue mongole, ces entrejambes statufiés dans une posture de coq décapité[…] des hommes encore vissés à leur chaise de viande, qui se jettent sur
un corps et se collent à son cul[…]
Et puis dans une autre salle, un peu plus loin, il y a un taureau qui se divise en pénétrant un miroir, et son coup de corne qui menace mon regard, qui vise mon œil et projette son désir de m’aveugler sur l’ensemble du visible […]
/ […]si vous laissez le monde de Bacon entrer en vous, commence alors une expérience qui, en vous dépossédant, vous conduira là où vous n’êtes jamais allé. Vous n’aurez plus rien, et même vos yeux auront brûlé ; mais vous verrez enfin, et grâce à cette seconde vue, c’est le cœur ardent de la vie que vous retrouverez
Sans doute il y a quelque chose d’insupportable, d’immonde en ce monde. Le conjurer, le transformer en quelque chose de Beau, y croire. Des peuples, des chairs attendent nos ravissements / nos bleus / notre non-violence, notre non-agir. Il y a des peintures dont on revient, il y a des nuits dont on se souvient / certaines portent pleine lune d’une œuvre et le peuvent cela / éclairer nudité(s), présence(s) : au petit matin on surprend rosée en Soi / chair ainsi en vie, en devenir
Puissent ces lignes vous donner l’envie de trouver votre propre Bleu / d’y associer votre nom, essayez ça
Là vibre, un / Elle est voix parfois, la chair émue, aimée […] elle crie / c’est juste du souffle, cela sort d’une bouche, d’un / Vous
25 mars / […] parfois le fait d’être nu / en vacuité et de se sentir aimé vraiment, libre ainsi / cela peut durer une seconde ou quelques secondes et pourtant on le vit comme un long séjour dans l’Inouï / un (je) utilise le mot Inouï parce qu’il en n’a pas d’autres pour le dire le quoi, à certains moments / le quoi étincelant portant nuit / il peut se monter ainsi :
écorces, vieux tronc, poirier, argent et blanc bouleau / lumineux étier / sentier, main sentant le bois / sentant le Ciel / l’air / l’eau / là ce ne sont que contours pour l’écrire la nudité lorsqu’elle s’offre aimante, aimantée à une main, à un sous le Ciel,
[…] cela lorsque deux solitudes se laissent devenir lien par ce qui les entoure et les respire / eau, air, rivière, herbes, prés / Lorsqu’ainsi parée, chaque partie d’eux semble traversée de leurs matières / alors leur(s) chair(s) semble(nt) capter Soleil
31 mars / […] le Tao il est là / il pleut tout comme hier il pleuvait hier et avant-hier / et demain à nouveau il pourrait bien pleuvoir, / des semaines ainsi pluies […] 1er avril / il y a à peine quelques jours, il n’était qu’en bourgeons et là ce matin en ouvrant les volets, chaque extrémité porte feuilles / le petit lilas reprend Vie et tout cela en silence […] si (je) parle de vous, c’est parce que ce faisant ce (je) parle d’un nous, et à travers lui d’ajoncs, de genêts, de jaunes contours, de sentiers, de sable / d’herbes, de plantes marines, de rochers / d’ailes d’oiseaux du rivage
[...] il semblerait que la mémoire nous trahisse, c’est ce que certains affirment, je n’en suis pas si sûr, bien au contraire, il est possible qu’elle crie nos, notre vérité(s) […] il est fort possible qu’à la lumière des jours, des années qui s’écoulent, si nous privilégions certaines scènes parce qu’elles portent en elles, nos fragilités majeures, nos contours intimes sur lesquels nous / nous construisons / […] là, pouce entre la page 8 et 9 de
Les cheveux jaunes de Cyndi Lauper sous son chapeau rouge. Ursula Kautto. Editions LansKine. 2023
Signaler Les cheveux jaunes de Cyndi Lauper sous son chapeau rouge / Ursula Kautto a choisi ce titre pour son recueil - son recueillement / et pour reprendre une chanson bien connue : « […] c’est peut-être un détail pour vous / mais pour » elle « cela, veut dire beaucoup » / Ursula Kautto joue de la mémoire debout, les dresse, les montre ses faiblesses, leur offre cet écrin : un livre, un livre pour / […] / sans doute elle-même ne saurait l’expliquer / tout ne s’explique pas toujours, le / ce qu’on est vraiment et pas vraiment. Le / paraitre, le paraitre dans le geste parfois tout comme à neuf ans quand miss Cyndi se teignit les cheveux en vert pour la Saint-Patrick / et un peu plus tard cette fois avec ses cheveux multicolores se mit à combattre la grisaille de sa vie, de ses jours, le ciel de son quartier, le Queens / Ursula Kautto retiendra d’elle la couleur jaune in « oh les filles veulent juste s’amuser […] »
l’Etre ainsi parfois : le / ce qu’on est parfois faussement-vraiment parce que, parce que… le Monde, la pression de l’autre, le carcan des autres […] elle livre in : Les terreurs existentielles d’une très jolie bergère / J’ai eu ce fantasme d’être regardée quand je le désirais par tout le monde / ou juste par quelqu’un d’important / puis à la ligne qui suit, elle livre encore : Je me déshabille devant une eau sauvage / c’est peut-être cela ce / quelqu’un d’important, ce / tout le monde / c’est là une eau sauvage / qui la regarde / qui le regarde ce (je) = Ursula Kautto. Elle ainsi parfois : […] seule et triste sur mon lit / […] petites larmes qui disparaissent dans mes oreilles. Elle ainsi parfois : eau, larmes / in Quand on me baise sans savoir qui je suis / Elle enfant quelque part encore : Je suis l’enfant et je dors dans la mousse bonne et fraîche de cette forêt qui a poussé pour moi […] / elle me laisse être reine, / elle a creusé un trou pour mon trésor. / Le trésor que j’ai choisi est une journée d’automne
/ elle la raconte cette journée d’automne, elle nous le confie / ce trésor qui enfant a poussé en elle / et lui a donné ailes pour voler désormais au-dessus des choses laides lorsqu’elles se présentent à elle / Oh apprendre ainsi : se faire baiser au sens propre et figuré / et baiser et baiser encore jusqu’à ce qu’en elle un bouclier d’herbe, de fraicheur, un bouclier d’hier, un trésor, une petite mémoire ainsi lui offre le petit recul nécessaire pour l’aider à être / […] dans la gueule du monde / pour l’aider à rester une enfant, une adolescente / bref toutes ces strates d’être, de paraitre en elle, ne pas les oublier surtout, mon dur travail / d’animal humain poursuit-elle, d’animal chétif et apeuré […] elle un temps / Je venais avec mon silence et mon mal-être distingué. elle est au M / monde ainsi, en visite de courtoisie, un temps ainsi puis à un moment :
elle transformée : […] J’ai une petite fille, […] et lorsque nous sortons dans la rue toutes les deux / ses petits doigts chauds sont comme un crabe sur mon pouce. Elle semble si banale la vie de cette auteure et c’est possible qu’elle le soit vraiment / à un point tel qu’il faut la célébrer cette banalité telle qu’elle est / merveilleuse cette vie telle qu’elle est
dans et par l’amour tantôt transfigurée tantôt défigurée, la Vie ainsi / tantôt la bête là, tantôt la bête pas là, la bête invisible et l’espace d’un petit livre pour les garder pour soi les mots qui ne peuvent être dits / l’espace d’un petit livre pour Quelques mots maladroits qui veulent être dits / pour Je n’écrirai jamais le poème qui parle de toi […] au fil des pages, du / J’entends les oiseaux et dans la rue le camion poubelle […] pour le laisser entendre juste un peu le poème qui parle de toi / […]
quelques confidences « sous un chapeau rouge » pour nous parler un peu d’elle, de ses contours, l’auteure a eu envie d’une muse, celle d’une étoile sous un chapeau rouge / par pudeur probablement cela, pour s’aventurer un peu dans l’intime, pour s’inventer un balancier, inventer un livre / pour rester en équilibre, s’offrir cette démesure : celle d’être un temps en suspens, en trouble tranquille par-delà les vicissitudes d’une présence en proie à quelques obsessions, on le dirait / de celles qui nous rendent créatifs lorsqu’ils nous faut feindre nos, notre finitude(s) / Ursula Kautto l’apprend par petites touches d’elle, de son passé : le Vide qui se tend, Elle le, nous le tend le Vide là, avec un nez rouge le sien / Je buvais du vin et je te disais : / je voudrais / mettre sur une scène des clowns qui auraient / mes vêtements et mon électronique et qui parleraient à tous / de ma vraie vie cachée, / ainsi je serais (un peu) libérée, je pourrais juste / un peu (un peu) souffler, / aller chez Ikea, / etc / […] Toi, tu disais :
/ c’est énorme / tu dois faire ça […] / Elle l’a fait ça. S’autoriser l’écrire le / […] je suis dans la gueule du monde / Même son / « […] je suis dans la gueule du monde / », elle l’a titré : Les cheveux jaunes de Cyndi Lauper[…], le / ce qui en elle parfois l’amène à la voir ainsi sa vie en cours, Ursula Kautto.
/ un 28 avril, un (je) note : / [...] il est des sangs émerveillés / pour peu qu’ils rencontrent en eux souffles du même acabit / alors au sein de la chair, des chairs / le chant devient possible / l’émerveillement s’habite / des quotidiens s’éclairent / […] / est-ce plus d’âme dans des corps, d’un coup / Tout / semble parcouru d’une chaleur inconnue / une énergie,
une seule et même énergie semble partie prenante / en tout ce qui se manifeste. Est soufflé en certaines et certains, un / Aide le Ciel. Est soufflé un / Accompagne ton sang, ton souffle, aime ta matière.
Cela commence à ressembler à des / commencements en quelques corps / il y a des textes, il y a chants d’eux
Bonjour / suivi de / Hot dog. Natyot. (éditions) La Contre Allée / collection La Sente. 2024.
/ « Réalité, documentaire, témoignage : j’ai besoin de ces mots pour exprimer la nécessité d’un espace vivant et bien plus / un espace de combat que le texte réclame pour ne pas s’en remettre à la fatalité » annonce Natyot dans la 4è de couverture.
L’invisibilité de certains groupes d’hommes et de femmes, (SDF, femmes de ménage […]), / des photographes, vidéastes, cinéastes, écrivains s’en émeuvent, de tout temps cela a été : mettre le projecteur sur la violence de quelques quotidiens. Là / un travail sur la langue, avec leurs mots, donner forme à un chant, le chant d’un lien avec l’Autre, entrelacer leurs souffles au sien / porter leurs cheminements, les raconter un peu ces personnes. Laisser ces personnes vous accorder une place.
Dans ces deux textes Bonjour et Hotdog / à défaut de n’avoir pas celui de la Parole, Natyot leur offre là, un droit à l’écrit, elle joue ce rôle pour elles / Dans son avant-propos / Journal de résidence : / elles parlent arabe. Je ne comprends pas ce qu’elles disent […] Mais je connais les sons […] l’humeur des sons […] Ce doit être des banalités, mais des banalités qui leur font du bien […] Pour m’accueillir, elles ont des sourires […] Se dire déjà des choses avec ce contact. On va le faire.
On va raconter. On l’a voulu. On y est. / c’est un travail collectif, ce livre / […] une générosité dans ces femmes : […] Je vois que c’est pour me faire plaisir qu’elles sont là […] J’écoute les histoires. J’apprends des tonnes de trucs. Tout ne va pas me servir mais je vis le présent. […] Elles s’intéressent à moi. Elles regardent mes vidéos. […] Petit à petit une lueur.
Ces femmes jouent le jeu, Natyot joue le jeu / en cela, le Jeu de la Vie, elles s’entendent / Nous convenons tous d’exister.
Chacun a son endroit […] Les phrases de ces femmes sont fortes, Natyot les livre telles quelles, ce sont de simples phrases, celles utiles à l’apprentissage d’un métier, elles aussi transmettent quelque chose, un savoir-faire, un savoir-être là où la vie vous a posé : / « […] Pour retirer une tache de vin rouge sur une moquette ou un tapis, / versez une grande quantité d’eau pétillante (la Perrier fonctionne moins bien) » / pendant ce temps Natyot absorbe :
Je m’appelle Eponge, ponge, ponce, pense, pende, bande, bonde, boude, bouge, bouche, boucha, Bouchra. / Natyot habite / les faits et gestes là d’une Bouchra, prend corps en / Je m’appelle Bouchra / Je suis femme de ménage / Quand je travaille / Je disparais / / […] on ne me voit pas /
On voit mon travail / Mais pas moi […] Personne ne me voit / Sauf les enfants /Mais il faut qu’ils soient des tout-petits […]
/ dans ce texte, on ne sait plus très bien qui est qui et c’est très bien, les moi(s) / les égos s’usent au fil des jours et des pages et c’est très bien ainsi. Plus rien n’est étanche, les corps, les cœurs, les âmes s’ouvrent / L’Art est la Vie et c’est très bien /
beaucoup d’humilité chez ces femmes de ménage, elles nettoient :
[…] je nettoie / Je rends net quoi / Je net toi / Toi et tes déchets que tu laisses derrière toi / Je nette toi / Voilà
/ Natyot se met dans la peau de l’autre, lentement la devient cette femme Voilà pour mieux la dire, le dire l’Autre / Natyot, elle la raconte la fatigue : Et tous les soirs c’est la même chose, ça tombe / Mais ça ne fait pas de bruit / Comme les bombes / Le bruit de la fatigue n’existe pas / La fatigue est silencieuse / Elle tombe en silence / Comme une bombe / Sans le bruit /
[…] / La propreté dans les hôpitaux, cela… le rôle de la propreté dans les hôpitaux, c’est dit là […] et
si on accepte de se laisser toucher, ce livre est touchant, ne serait-ce que cette femme soufflant « y a pas de sous-métier » / à la place de / sot métier / […] elle cette femme, elle l’a entendue ainsi cette expression / il y a des passages touchants, ne serait-ce que cet épisode où :
Un héron cendré s’est posé devant la fenêtre de la chambre / Et il m’a regardée / Lui, m’a regardée / Avec ses beaux yeux de héron cendré […] / J’ai aimé ce regard de héron cendré / Ce fil nous reliait / Ce sentiment d’appartenir à l’espèce des vivants / On est restés un long moment comme ça […] / Je n’étais plus invisible
Il y a aussi Amina, elle est bac+4. Mais comme elle a pas bien la langue, / elle fait femme de ménage
Il y a […] LA LANGUE LA LANGUE LA LANGUE
Il y a Denise : Denise nous apprend le français. / Denise nous dit qu’on est intelligentes. / […] / il y a des bleus à l’âme
Quand je retourne au Maroc / Je dis pas que je fais le ménage […] On ne me demande pas / Parce qu’ils savent / […] Et par respect ils ne posent pas la question / Je dis : je travaille à l’hôpital
Natyot prend pouls, je crois qu’elle le sait au fond d’elle-même / ces sangs, ces corps sont un peu le sien / et ces femmes / qui se confient, également le devinent que Natyot, c’est un peu / corps d’elles, elles le devinent qu’elles sont toutes en lien / que tout cela ressemble à une mauvaise pièce, que les rôles ont été distribués. Natyot parvient bien à les traduire ces vies lasses de vivre parfois… et pourtant des corps fatigués, des présences se battent pour l’avoir un peu, le recevoir un peu, ce droit à exister
in Hotdog la violence des jours, l’amour un peu, l’amour d’un chien un peu : Hotdog me tient chaud / c’est pour ça son nom / Hotdog ! Viens Ici ! / ma couverture / mon radiateur / Couche toi là ! Bouge plus ! / on est pareil tous les deux /
Hotdog ! Tu fais chier ! / il me protège / […] Au pied ! Con de chien ! / Hotdog c’est un frère
c’est un dog, c’est de l’amour qui reste là / qui ne s’en va pas / Natyot la raconte comme ça la misère un peu, en rapportant des histoires, des scènes de vies, des souffrances qui se disent un peu, des enfants qui n’en sont pas vraiment, plus vraiment / des parents qui n’en sont pas vraiment, plus vraiment. Des existences ainsi
à la merci de qui veut bien les considérer un peu. Se reconnaître en elles, c’est acter une solidarité, c’est tendre du / Voilà !
Natyot lie, accorde quelques solitudes, les auréole de leurs propres vérités. Un livre pour les regarder autrement les vies, la regarder autrement la Vie. A un moment éteindre les contours, leur accorder Espace. Natyot fait cela.
Un premier mai / […] heureusement l’Atlantique [...] / c’est de la Conscience liquide là devant / Eau devant / […] cette part d’Océan en nous, en quoi / une matière : celle dont on fait les trames, celle dont on capte le Vide vif, la force capable de sur -vivre à ce qui meurt ou semble mourir / l’iode par lequel ces mots m’arriment à ce mouvement, et élan de lumière /
ce mouvement lumineux dans l’épaisse matière / […] et quelque chose entre / une matière ainsi […] heureusement Cela / océanique suspens
ce face à face, ce face à lui, ce dos à lui / ce Vide comme il est, comme il se montre parfois […] c’est Art Cela comme il est / comme il se montre en de puissants ressacs / parfois nous
nous aimons un peu, cela arrive nous nous voyons
[…] nous le tentons le Ciel, le Ciel pour chemin / nous le choisissons le Ciel pour / demain, pour présent à venir, pour / chair à sentir, à aimer […] / le Ciel comme s’il était gué d’une matière à une autre / […] / par morceaux, nous le recevons Ciel, par fragments
[...] Imagine profession : fragmentaire ! comme on dit diamantaire ! / En faire métier : tailler le fragment / afin qu’il reçoive mieux la lumière et surtout qu’il la renvoie mieux / qu’il renvoie mieux la lumière qu’il porte / faire métier d’écrire : le Jour, les jours / la Nuit, les nuits / […] faire métier de regarder, de contempler ce qu’il y a / d’il y a / faire métier de les enrichir de silence, les mots / les enrichir de mots, les silences / faire métier d’écrire le Jeu, la Danse / […] le Ciel c’est une page blanche - la page blanche c’est du Ciel / écrire à condition qu’on y voit toujours le Ciel, toujours une page blanche / […] essayez de faire ça
Bruno Normand Vignette : Sans titre / Photographie, St-Nazaire Novembre 2019.