Ils m’ont demandé mon nom / et j’ai répondu / VIVRE (Jeu craie au tableau noir – Maux - Dire ).
Né à Marseille en 1945, Gérard Blua est poète, romancier, éditorialiste et chroniqueur. Il est l’auteur d’une quarantaine de livres dont une quinzaine de recueils de poésie. Éclectique, Blua l’est autant dans la diversité de ses écritures, poésie, nouvelles, romans, théâtre, chroniques… que dans la variété des domaines où il œuvre : l’art, la culture ou l’édition.
Il fut responsable d’une galerie d’art et créa les éditions Autres Temps qu’il dirigea et qui firent paraître la revue Autre Sud. Attaché à la langue française, il en fut l’ardent défenseur en s’opposant à la réforme de l’orthographe en 1990. Un éclectisme animé par un humanisme fervent et une passion pour la culture.
Il poursuit aujourd’hui une trilogie romanesque débutée dans les années soixante dont le troisième volume « Je de Maux » paraîtra en 2021.
Ma découverte de Gérard Blua débute avec trois titres de poésie. Une poésie qui puise son énergie à la source de l’intime, qui interroge le monde et les mots, tentant parfois, dans des jeux homophoniques, de faire résonner des échos nouveaux qui ouvriraient d’autres horizons.
Le premier livre Maux Dire [1], partage en 1986, d’une façon peu commune, son contenu éditorial avec deux auteurs Jean Aron et Jean Siccardi. La quatrième de couverture nous dit que le livre rassemble ces écrivains autour du triple problème du Quart-Monde, du Totalitarisme et de la Peine de Mort.
Il y avait des fleurs / dans son cœur / et ils coupèrent les tiges / de sa vie // Je me souviens / nous trouvâmes ses graines / dans les boues d’un régime / les fanges d’un système /
Amniotique [2] fut écrit à la suite du décès de son père. Une vive blessure que tente de cicatriser ce livre en partageant le lien profond qui unit le poète au père par-delà sa disparition.
Vont-ils te reconnaître/ En moi / Me reconnaître/ Sans toi/ D’ailleurs/ Y a-t-il encore / Quelque chose à reconnaître/ Dans la Douleur/ Qui vêtira ma marche ?
Dans Ivre Québec [3], sous titré Vol au-dessus d’un nid de poèmes, le poète semble traverser une période d’incertitude. Il interroge sa capacité créatrice, doute de l’écriture poétique et interpelle l’homme en lui dans un dialogue intime.
Il s’agit de savoir si tu es vivant,/ de prouver que tes pouvoirs son intacts./ D’affirmer que tu vois, entends, parles, penses, rêves,/ Imagines,/ Que tu crées.
À travers ces quelques livres apparaît un poète vivant qui interroge le monde et ses territoires intérieurs, en traversant le Temps sur son chemin de vie.
Amniotique - Autres Temps Coll. Temps poétique, 1992
Amniotique est consacré au père de l’auteur, à ce père qu’il vient de perdre. Ce livre est composé en trois parties : Solfatariennes, Flammées et Éruptives qui évoquent des périodes particulières qui ont accompagné ce deuil.
Séparés par le blanc d’un saut de ligne, la très grande majorité des poèmes sont composés de deux strophes. Le blanc est ici manque et absence. Celui qui sépare l’un de l’autre. Le fils et le père pour lequel ce livre est écrit. Le chiffre deux est symbolique de deux êtres, indissociables comme l’inspir et l’expir, comme les pas du marcheur qui traverse les méandres de la vie. Le livre les réunit une dernière fois pour conjurer cette ultime séparation.
Le poète commence par se remémorer les moments de partages et de vie commune.
« C’est alors / Que j’ai voyagé dans ma mémoire/Je gravais des images/ Sur les parois des grottes :/… »
La mort du père a soudain redéfini l’architectonie de l’espace et du temps du poète et initie pour lui un décompte nouveau :
« Je décomptais / Sur les doigts de ma nuit / La distance mythique / Entre deux morts semblables. »Avec l’absence du père, fort de sa figure tutélaire, c’est une nouvelle période de vie, inconnue jusqu’alors qui s’ouvre pour le fils. Il devra marcher seul.
« Sans nom / Il me fallait bien aller / Vers ce jour utopique/ Que la Vie / M’avait promis :/ une aube de fausse couche. »
Une période d’adaptation et de bouleversements existentiels commence pour le fils. Il fallait vivre malgré tout, sans ce père désormais disparu. Vivre autrement mais comment ? Questionne implicitement le poète.
« Mais vivre / Vivre encore / Dans ce glauque amalgame / Des cendres de l’Aimé / Et de mes chairs vendues / A la cérémonie. »
Seule la mémoire a pouvoir de sauvegarder le père, son image, son souvenir. Et dans ce premier ensemble, Solfatariennes, Gérard Blua dit la mort de son père et cette prise conscience qui progressivement l’envahit.
« Tu vivras/ En marge de ta mort/ Dans l’intimité de ma chute. »
Dans le deuxième ensemble, Flammées édifie le territoire du deuil. Celui où il faut bien prendre le réel dans la considération douloureuse de l’absence. Il faudra bien s’habituer au manque et à la disparition. Mais s’habitue-t-on jamais à la perte d’un être aimé ?
« Même dans ces moments de faiblesses / Sa voix n’est venue /
M’apprendre / Qu’Elle avait pu exister ».Il faudra vivre seul désormais au milieu de tous les vivants qui rappelleront à chaque instant l’absent. Mais tout au long des poèmes, les pronoms personnels et possessifs, écrits en italique, l’incarnent et le rappellent sans cesse.
Le troisième ensemble Éruptives marque l’acceptation qu’une métamorphose du poète aura fait naître.
« Chaque pas / Maintenant / Est un siècle de plus / Vers la mort./ Cours tragique / Et merveilleux / D’une absence / Que je ne pus réanimer. »
Mais l’acceptation de la mort ne vaut pas pour l’oubli.
« Mais d’un visage/ Il ne reste toujours / Que son appel / Contre l’oubli. »
Comment indépendamment du père, sans reniement aucun, être à la fois même et différent. L’un et l’autre et vivre doublement. Toujours liés. Parce qu’il était le père, parce qu’il était son fils. Le poète sera fidèle à la mémoire et ainsi peut-être délivré d’une hypothétique promesse. Ce livre sensible qui parcourt au plus proche de l’intime la douleur de la perte en témoigne.
« Et avaler les cieux / Boire les horizons / Mâchonner l’infini / Enfant / Gourmand du monde / Et déglutir / La vie/ Dans le bonheur informe / Du ruisseau de Charron. »
Ivre Québec - Vol au-dessus d’un nid de poèmes, Éditions Autres Temps - Écrits des Forges Poésie, 2002
Dans le premier poème intitulé En exergue, d’emblée, Gérard Blua revendique sa présence au monde et sa responsabilité face à sa vie dont il est l’inventeur.
« Il s’agit de savoir si tu es vivant. »
écrit le poète avec ce premier vers en guise d’un postulat qui semble inaliénable.
Dans une vie qu’il ressent faite de rivalités, où lutter est le pendant d’exister, vivre sa vie serait pour le poète l’inventer de haute lutte.
C’est peut-être une déception ou des regrets face au monde qui sont à l’origine de ce livre.
« Parfois,/ Mes vieux bagages en mains, / Moisis de haine, / Lacérés d’inutile, /…
Ils venaient de si loin / Des berges de l’histoire…/ Je m’étais cru choisi / Pour en porter la voix./… »Qu’en est-il de la promesse reçue aux lumières de nos premiers jours ? De cet adoubement silencieux de la vie qui anime les êtres de désirs en désirs ? Qui les pousse à devenir et à exister près des autres.
« Où sont les blés de ma folie / Les jardins de mes conquêtes ?/ C’est comme si la vie / Amassait ses récoltes / Empilait ses cueillettes / en un pourrissement/… »
Un désenchantement qui guide le poète jusqu’aux rives dernières à force de rupture avec le cours des jours. Et qui trahit peut-être ses plus beaux rêves. Un dépit qui a suscité finalement ce vers :
« Le Vrai est dans la mort »
comme s’il n’était de vérité de la vie que son issue.
Et du tréfonds de ses perceptions Gérard Blua soutient qu’écrire est un risque majeur :
« …/ Les mots des nudités/ Torturant l’innocence/ Les pudeurs dépecées/ Par les rasoirs regards/ Et la terrible certitude : Écrire est un suicide. »
Un pessimisme que je perçois dans le rythme monotone de vers de six pieds présents en de nombreux poèmes. Le poète va même douter du poème :
« Que reste-t-il du poème/ Voix d’amour en pâture / Sur les voies de la mort ? »
Mais par l’entremise d’une confrontation intime, entre l’homme et le poète, mêlant tourments, désirs et rêves, la nuit qu’il traverse disparaîtra laissant surgir les lumières de la vie,
« C’est l’heure merveilleuse/ de la dissociation/du partage des songes/ l’œil brille et s’esbaudit/… »
pour qu’enfin le poème scintille de nouveau en retrouvant tous ses éclats.
Comme dans l’ensemble L’été indien de la dernière partie du livre dont les tercets évoquent les dernières journées d’automne qui prolongent la beauté et la joie de l’été.
« Est-ce mensonge que revivre/ Illusion qu’oublier l’oubli ?/ J’affirme l’éternité de l’été »
Le poète retrouve enfin espoir et confiance en l’avenir espérant que la vie devienne plus humaine et plus solidaire aussi.
« Je suis de ton visage/ Tout autant que tu es du mien/ Étrange étranger qui me ressemble tant. »
Maux Dire, Jean Aron, Gérard Blua, Jean Siccardi - Le temps parallèle éditions, 1986
Dans une forme éditoriale inhabituelle ce livre réunit trois poètes qui « ont confronté leurs écritures pour poser au cœur des consciences le triple problème du Quart-Monde, du Totalitarisme et de la Peine de Mort ». Une proposition humaniste, en prose ou en poèmes, qui rassemble les émotions et les regards des auteurs sur le monde. Trois ensembles dans ce livre dont « Dans le présent d’hier » de Jean Aron, « Le chemin de croire » de Jean Siccardi et « Jeu craie au tableau noir » de Gérard Blua sur lequel porte ma lecture.
L’écriture de Gérard Blua et ses poèmes disent la révolte d’un homme qui constate que le trajet de ses pas n’est plus en phase avec l’esprit du temps qu’il traverse.
On ressent à la lecture de l’ensemble la vive énergie de vivre et de révolte du poète. Il semble percevoir une perte de sens liée à l’époque qu’il traverse. Son écriture est une résistance face à ce constat et à une douleur plus personnelle qui l’accompagne.
« Simplement / une femme / avait / disparu. »
Est-ce un deuil ? Celui peut-être de cette femme – un amour ? - désignée par le pronom personnel ELLE qui revient à plusieurs moments dans les poèmes. Une femme qui aurait été écrasée par un « système » au cœur d’une histoire intime et singulière.
Il est des systèmes qui tuent / d’autres/ qui regardent mourir / ELLE / de toute éternité
Ce tableau noir que Gérard Blua rempli de ses mots, prends aussi appui sur la forme du poème. Une tonicité de vivre et de dire s’échappe des textes qui voudraient comme envahir ce tableau sombre, cet espace de la page pour en déborder les limites en se libérant de toutes contraintes conventionnelles. Pousser les marges. Bousculer les habitudes de lecture. Au-delà, dénoncer les conventions intrinsèques à tout système, construit contre des principes de la vie, sans cesse réinventée par la diversité et le hasard.
Ce monde - ce système - que le poète dénonce n’est pas exactement celui auquel il avait aspiré. Ces poèmes sont portés par son vif bouleversement. Un refus obstiné pour pouvoir « Simplement vivre » :
Vivre / seulement / Vivre / trouver cette force de / Vivre / simplement / Vivre
Dans son énergie d’écrire, de creuser son terroir intime face au monde et de se révolter, Gérard Blua montre qu’il un authentique « Vivant », un poète auprès des êtres humains.
Hervé Martin
Bibliographie poétique (extraits ) :
- Comment j’ai vu le monde, 1974, Revue Moderne
- Être Moi, 1975, Revue Moderne
- Mon amour, ma guerre, 1975, Millas Martin
- Ondine, 1976, Revue Moderne
- Poétique du beau, 1976, Millas Martin
- Hommage à Pedro Mir, 1978, Publication bilingue français- espagnol en revue
- Qui me tuera, 1979, Saint Germain des prés
- Du coq à l’âne, 1980, Le Temps parallèle
- Maux Dire, 1982, en collaboration avec jean Aron et Jean Siccardi, Le Temps Parallèle
- Une voix pour mille bouches, 1988, Subervie
- Amniotiques, 1992, Autres Temps
- Je d’arbres, 1997, Autres Temps
- Ondine, Traduction roumaine de Rodica Draghincescu, 2001, éditions Brumar
- Mon amour, ma guerre, suivi de Poétique du Beau, traduction allemande d’Éric David, Ithaka Verlag