Terre à ciel
Poésie d’aujourd’hui

Accueil > L’arbre à parole > Dix questions à Pierre Dhainaut - La source et l’horizon, suivi d’une lecture (...)

Dix questions à Pierre Dhainaut - La source et l’horizon, suivi d’une lecture d’Ici, par Sabine Dewulf

dimanche 4 avril 2021, par Cécile Guivarch

« Je voudrais avancer aussi nu que possible. »

Hormis celui d’Après (L’Herbe qui tremble, 2019), on ne te connaît guère de titres aussi concis que celui-ci, qui tient en trois lettres : Ici. De fait, tu accordes à cet adverbe une place prépondérante dans la première section « Sorties de nuits » : « Tu n’en sortiras pas, […] / ta place est ici ». Dans quelle mesure « ici » est-il la seule « sortie » possible, lorsqu’on a traversé la nuit ?

En général, mes titres fonctionnent à partir de deux mots, ils expriment une dualité dont le livre essaiera de s’affranchir. Désigner d’un seul mot choisi pour sa concision tout un livre m’a longtemps paru un procédé autoritaire et réducteur. Après s’est imposé parce que le livre évoque l’expérience d’une mise à nu : Ici s’est d’abord intitulé Sorties de nuits, une expression reprise par un poème et toute une partie, Gérard Pfister, l’éditeur, m’a suggéré de reprendre l’adverbe qui revient fréquemment à l’intérieur du livre, j’ai été d’accord. Il y a donc dans la suite de mes titres un Après et un Ici.

« Ici », le mot-clef des poètes qui se méfient des prestiges – des illusions – de l’ailleurs. La poésie cherche une vérité qui se révèle n’importe où, sur le bord d’une falaise au point du jour comme dans les « urgences » d’un hôpital. Ici n’est pas inaccessible, il n’est jamais définitivement conquis. Ayons le courage de le préférer, quel que soit le lieu de son épiphanie.

Me reviennent ces vers de Thierry Metz : « Je ne serai jamais ailleurs qu’ici / dans une poussière de voix de possessions / parlant d’une vie qui est à mourir / et malgré tout / d’une abeille et d’une ombre. » Je ne veux pas être ailleurs qu’ici.

À la page 33, tu écris : « ̎nuit ̎est l’un de ces mots en attente / d’être compris ». Ce mot, tu l’interprètes de différentes manières au cours de ce poème, depuis les nuits « matinales » jusqu’à celle qui s’abattra, « définitive ». Aujourd’hui, au terme de l’épreuve décrite dans Après, as-tu le sentiment d’avoir un peu, à défaut de la comprendre, apprivoisé la nuit ?

Le mot « nuit », par sa brièveté, par ses sonorités, me semble insuffisant, Mallarmé la qualifiait de « massive », rendons-la fluide.

Redoutable et bénéfique, la nuit. Elle nous ramène au chaos initial, nos pauvres constructions intellectuelles, nos repères, s’effondrent, nous voici plongés dans l’indéterminé où vie et mort sont inséparables. Souvent, dans les poèmes, dans leurs premiers moments du moins, je suis obligé de passer par l’épreuve des nuits où l’on traque le sommeil, la solitude est absolue, les angoisses de l’enfance remontent, et ces nuits-là sont si opaques, si interminables, qu’elles occupent le matin encore. Je nomme également « nuit » ce qui nous entrave et nous enferme, illusions, mensonges, phrases toutes faites.

Mais des ténèbres naît parfois le premier vers d’un poème, il n’oubliera pas son origine, il ne la reniera pas, il tentera sans rien réduire, grâce aux moyens qui sont les siens, de la comprendre ou plutôt de l’élucider. Les poèmes qui m’importent émanent d’une nuit fondamentale, ils vont vers une lumière qui la remercie en la métamorphosant.

Je n’ai pas le pouvoir d’apprivoiser la nuit : si une maîtrise existe, je crois, après tant d’années, qu’elle consiste en notre abandon.

Les enfants occupent de nouveau une grande place dans ce livre : ils sont la preuve à la fois de l’élan et du recommencement, à travers, par exemple, leur sens du « rite » (p. 39). Qu’emprunte le poète que tu es aux enfants, au moment de commencer un poème ?

À vrai dire, je n’emprunte rien aux enfants : si l’esprit d’enfance n’était plus en moi, s’il ne m’animait plus, ne fût-ce que partiellement, me serait-il possible d’écrire un poème ? Il en procède, il l’intensifie.

Il fait mieux pour cela que raconter le spectacle d’enfants qui jouent autour des arbres ou qui courent au-devant des vagues, il fait mieux que s’appuyer sur des souvenirs, il les rend présents, ces enfants, en toute circonstance, en ressuscitant l’étonnement qui précède l’acquisition du langage, cette manière spécifiquement enfantine d’écouter et de toucher qui découvre un monde énigmatique et plein, uni.
Le poème dit ainsi que le sens du rite et de la fête, en dépit des apparences malheureuses, n’est pas irrémédiablement perdu. Parce qu’il plonge en un passé archaïque, l’essor avec lui est toujours possible.

« De chaque vie / la vocation est permanente, si lente / à découvrir » (p. 37) : quel sens donnes-tu ici au mot « vocation » ?

Retrouver par le poème la mémoire de l’Un (selon la formule d’Yves Bonnefoy), ce n’est pas régresser. Cette anamnèse oblige à rejeter les fausses valeurs que l’on nous a inculquées, l’appât d’un gain, notamment, l’oubli du charnel au profit d’artifices… Ce mot de « vocation » est-il trop fort ? Je l’ai choisi parce qu’il désigne un appel qui donne sens à la vie entière, nous avons à l’entendre à travers nos emplois du temps, nos tâches vaines et nos textes bavards, nous avons d’abord à le désenfouir, et pour certains ce travail est en effet très lent. Et une fois que nous avons deviné ce qu’il nous réclame, nous avons beaucoup de peine à lui rester fidèles. Je voudrais ne pas le définir, les définitions sont toujours étroites, abusives, qu’elles invoquent un dieu ou la poésie. Nous n’irons jamais assez profondément pour obéir à l’essor, qui ne sera jamais assez vif.

« Que respirent / avant tout les mots, / ensuite / ce sera notre tour. » (p. 46) Pourquoi les mots devraient-ils respirer avant nous, pourquoi les lèvres devraient-elles s’ouvrir avant nos paupières ou nos fenêtres ? Quel est ce pouvoir qu’ils sont seuls à détenir ?

L’écriture de poésie ne nous transforme que si elle échappe à la fois à nos comportements avares et notre utilisation distraite des mots. Elle doit s’en prendre au langage dont en général nous abusons : nous l’asservissons à des fins immédiates et individuelles, nous l’appauvrissons, nous perpétuons le règne des impostures et des habitudes. Il faut délivrer les mots – les démasquer, si j’ose dire – et leur permettre de respirer, ils soulèveront des perspectives auxquelles nous ne pensions pas, de sons, de rythmes, d’images, qui les feront aller loin et qui, si nous sommes attentifs, nous emmèneront loin.

Tenons compte des voix. Écrivons nos poèmes avec les lèvres, avec les souffles, en même temps qu’avec l’oreille, nous verrons ensuite. Aimons les mots, aidons-les à éclore, puis à croître, ils nous aideront. Bien dire, bien respirer, mieux vivre, sans doute n’y arriverons-nous jamais : nous apprenons à instaurer des relations libres entre les mots et nous comme entre le monde et nous.

Nous ne dirons plus que le langage est cet obstacle ou ce voile qui nous sépare du réel. La poésie ne constitue pas un domaine à part, elle saccage les discours, elle ruine les rapports de force, elle nous projette vers un horizon qui se renouvelle, celui d’ici, puisqu’elle est au cœur de nos vies, à la source.

Dans la vie courante, tu te dis volontiers impatient et pourtant tes poèmes célèbrent sans se lasser l’instant présent et la patience de la découverte : « Redire ̎mémoire ̎, ̎mémoire ̎, jusqu’à ce que s’exhale une odeur d’algues » (p. 53). Écrire te permet-il d’apaiser ton impatience existentielle ou bien ces deux temporalités, celle de l’existence et celle du poème, sont-elles trop distinctes pour pouvoir se rejoindre ?

L’art et la vie n’ont pas, c’est l’évidence, les mêmes temporalités, lesquelles sont souvent conflictuelles, je fais tout pour qu’elles tendent à se rejoindre.

Concilier, ce n’est pas conclure. J’aimerais saisir l’unité de ce que l’on appelle les contraires et transcender leur antagonisme dans un présent toujours neuf. Comment l’expliquer ? La prose logique ne convient pas. L’oxymore que la poésie affectionne réunit les termes soi-disant opposés : ainsi, souviens-toi, Rimbaud parlait-il d’une « ardente patience ». Elle caractérise parfaitement l’écriture telle que je la pratique. Deux pôles sont indispensables, qui rivalisent, dont nous devons éviter qu’ils nous déchirent. Ensemble, ils se féconderont, nous aurons à les accompagner. Pour la poésie, la nuit et le jour sont les deux phases d’un seul, immense mouvement, le flux et le reflux de même. Ou, si tu préfères un autre exemple, l’éclair et la graine : la poésie tient de l’un et de l’autre, elle privilégie l’instant comme elle privilégie la durée, elle voit dans l’éphémère la permanence ou l’inverse, elle ne connaît que la vivacité. Elle se condense avec l’élargissement, elle s’épanouit au sein de quelques syllabes. Quand je prépare l’édition d’un recueil, je veille à ce que soient perceptibles ces alternances qui témoignent de la nature double et unique de notre parole.

Dans la vie courante, je déteste ce qui traîne, les retards injustifiés, les promesses non tenues, les distractions dues à l’indifférence : quelquefois une journée ne suffit pas pour mettre en orbite un seul vers, je n’ai pas néanmoins la sensation d’avoir perdu mon temps.

Tu évoques à plusieurs reprises le geste du don, par exemple dans ces vers, qui amorcent et clôturent de manière identique la section « Prise d’air » : « Donner encore / quand on a tout donné ». Tes poèmes seraient-ils avant tout des dons prodigués aux lecteurs ?

Rien de plus beau que le geste du don. Le don véritable s’effectue dans des conditions particulières propres à la poésie. Ne nous plaignons pas que les médias l’ignorent, c’est une chance. Nous sommes d’ordinaire dans l’affirmation et l’indiscrétion, dans la possession, dans le trop : le principe esthétique auquel les poètes se conforment en se dépouillant est un principe de vie. Don de soi et don du poème ne font qu’un.

À la frontière du langage et du silence, quelques lecteurs sont alertés par nos poèmes, ils y entrent, s’y sentent chez eux, en ressortent à leur gré. Je ne suis pas le gardien du sens, le secret appartient à tous. Je n’ai pas bâti un lieu où je règne en maître des souffles, j’ai planté quelques balises, elles attendent que l’air circule et les fasse vibrer, elles le feront chanter. Nous ne savons guère de quelle manière et par qui sont lus les poèmes, ils mènent une vie incontrôlable, que souhaiter de plus ?

Tu te méfies du terme, trop employé, de spiritualité. Pourtant, il est difficile de ne pas y penser lorsqu’on lit par exemple : « à toi de ne pas mépriser la boue / d’en faire une origine, un pas serait […] un oui / tellement plus profond que nos mémoires, / tous les lieux favorables » (p. 71). Ou encore cette formule en prose, digne d’un koan zen : « Si tu as la clé, tu n’ouvriras rien. » (p. 75) Quel mot conviendrait-il d’employer, à tes yeux, pour évoquer, dans tes poèmes, cette profonde attitude que l’on retrouve dans bien des traditions spirituelles ?

Ce que je rejette, tu sais bien, ce sont les appellations abstraites et grandiloquentes qui étouffent les œuvres, les démarches. (Comment dans ma jeunesse ai-je pu tolérer d’appartenir à un groupe qui lui-même se qualifiait de surréaliste ?) Ce dont je suis à la recherche, je ne le nomme pas, je ne l’inscris pas dans une catégorie établie ou un courant, je m’égarerais, je tromperais le lecteur. Parler de quête ne me conviendrait pas, ce nom est trop prestigieux, et la qualifier de spirituelle ne m’irait pas non plus, l’adjectif est trop vague, trop connoté. Je voudrais avancer aussi nu que possible.

Cela dit, quand tu compares une de mes phrases à un koan, je suis très content. J’ai beaucoup lu les traités du zen, mais ils n’ont rien de théorique, ils célèbrent la cérémonie du thé, l’art du tir à l’arc ou des jardins : l’esprit du zen, je l’ai merveilleusement perçu dans les poèmes et les musiques qu’il a inspirés. Je dois être foncièrement hérétique puisque j’ai besoin des mystiques du christianisme. L’un de mes intercesseurs, Jean de la Croix. À l’époque moderne, qui est plus grand que Simone Weil ? Ce qu’elle a dit du malheur et de la compassion et de la joie, tout ce qu’elle a incarné, il n’y a pas de jours où je ne m’y réfère, elle est le feu même. Je pourrais mentionner d’autres influences : j’ai toujours à mes côtés un dictionnaire des symboles, un trésor en cette société qui se réduit à ses dimensions économiques et techniques.
Le mot que tu me demandes à la fin de ta question, vais-je hésiter avant de le prononcer ? Celui de « poésie » ne me gêne pas, la poésie étant si peu désirée. Je choisis Ouverture, qui implique franchissement, commencement… À chaque instant, prenons conscience de tout notre être que nous sommes sur un seuil.

Tu conclus ton livre, comme souvent, par des réflexions en prose sur la poésie. D’où te vient ce besoin de ne pas séparer le poème de la glose ?

Des gloses sous la forme de notes qui, dans le livre imprimé, figurent à la suite des poèmes alors qu’elles ont été pour la plupart écrites parallèlement, en marge, appelées par eux. Elles ne concluent pas. La pensée discursive s’interroge : comment échapper au danger du général, de l’univoque, du sans échos ? Ainsi les notes prolongent-elles les poèmes. Tous les langages se réinventent en permanence, toutes nos conduites.
Ici, répondant à tes questions, est-ce que je ne suis pas trop éloigné de ce que disent les poèmes ?

« nous obéissons au poème, / en avons-nous terminé un ? » Peux-tu nous dire ce que tu ressens au moment où le poème, délimité par les blancs d’une page, s’achève, où tu sens que, provisoirement, il peut s’arrêter dans sa justesse, son équilibre ?

Une convention, le point final. Quelle prétention de croire que nous aurions atteint la cible !

Rien n’est plus difficile que de saisir à quel moment précis un poème a trouvé sa justesse ou son équilibre. Il devrait s’arrêter de lui-même quand il pressent qu’il a joué son rôle, qu’il ne peut davantage. À nous de ne pas le contrarier : nous intervenons, nous nous ajoutons trop tôt ou trop tard. Laissons-le décider quand il retrouvera la page blanche. Il continuera sur son erre, comme un navire tous feux éteints, le silence ne sera pas le silence, il résonnera. C’est la seule preuve dont nous disposions. Serons-nous pour l’admettre assez vigilants ?

Le mouvement que l’écriture met en branle ne s’achève pas, il est par principe inachevable : au mieux un livre va-t-il un peu « plus loin dans l’inachevé ». Il est un moment dans une trajectoire infinie.
Même les temps que l’on dit morts pourraient être des ressourcements.

Pierre Dhainaut, Ici. Editions Arfuyen, 2021

Plus je lis Pierre Dhainaut, plus je suis frappée par le fait que sa poésie opère un acte de résistance infiniment salutaire : non pas à l’égard du monde tel qu’il est, loin s’en faut, mais contre nos pensées aveugles, recroquevillées comme des poings. Le titre de son dernier livre, constitué de trois petites lettres, détient la puissance d’un tel retrait hors des paroles banales dont nous polluons nos relations et nos informations. L’adverbe « ici », repris plusieurs fois dans le poème intitulé « Urgences », condense l’absolu de notre condition dans sa vérité nue. Nous ne sommes pas ailleurs, nous ne pourrions pas y être sans nous mentir à nous-mêmes.

La progression de cet adverbe dans la première section, « Sorties de nuits », est à elle seule remarquable. Désignant d’abord le point d’appui qui nous évite de « passer, trop vite » et qui libère la vision (« […] Regarde, / affranchis le regard »), il s’affirme d’emblée, par deux fois, ponctué par le point, comme le seul lieu digne d’être habité : « […] / ta place est ici. » Il ne s’agit pas de le répéter « à l’infini » (« Ici, ici, ici »), cela nous brouillerait l’œil (« ciel gris, cette ligne / sinueuse »), mais de le rejoindre en réalisant qu’il constitue l’origine absolue, en deçà même de cette « parole » qui inaugure l’ouvrage : « et ce monde enfin, / tu le nommeras d’ici. »

Pourquoi cet absolu ? C’est, très simplement, en ce point précis que naît la conscience pure, au sens strict du terme : celle qui nous ouvre au monde réel. Ici est le seul lieu possible de ce qui se révèle au jour, le seul espace lucide, dans l’acception première de l’adjectif. Ainsi, évoquant les mains qui se raidissent en tentant vainement de saisir une « belle image intacte » : « à leur extrémité le vide / les blessera, ou la paroi rugueuse / ici lucidement. » C’est d’ailleurs sous le nom de « la luciole », dans la lumière inhérente à son prénom, que le poète remercie sa première petite-fille, à la fin de son livre. Et cette belle lucidité qu’offre le fait de se tenir ici, quelles que soient les circonstances, douloureuses ou favorables, est intimement liée à la présence du corps, qui ne peut être ailleurs : « la bouche a mal, compacte ou béante, / tout le corps ici. »

Finalement, « Ici » devient, à la page 15, l’espace d’une autre prise de conscience essentielle, selon laquelle nous n’y sommes jamais seuls : « […] le temps ne se mesure pas / en heures, mais en rencontres. […] » L’émergence du « nous », cher à Pierre Dhainaut depuis Terre des voix, en 1985, confirme la pureté de la conscience située « Ici » : « l’accord est immédiat entre témoins ». Témoins et non pas juges ; « espaces d’accueil », aurait dit Douglas Harding. Tels surgissent les « visages » qui se croisent, même « Sans un nom, sans un signe », favorisant, plus loin, une « alliance » conjuguée à « l’allégresse » (p. 67) : « le ̎nous ̎ possible / à l’aller, au retour, de nuit, toujours de nuit / dans les couloirs d’ici. » Comme dans la pensée chinoise et chez les mystiques occidentaux, Ici est le lieu mystérieux, ineffable, de l’interdépendance, d’où naît la parole véridique, l’inépuisable fontaine de la poésie.

Ce ruissellement du poème, la suite nous l’indique, déborde de tous côtés le sujet qui le transmet : « nous traversons un gué dans un texte / poursuivi depuis toujours ». Il est d’abord une « voix, allant des uns autres », née de lèvres qui s’entrouvrent en cherchant une « oreille », et qui « n’a rien à capturer ». C’est un accueil de « mots fragiles » et une « envie » de « relier, réconcilier » sans rien figer, puisque « les mots ne désirent / que notre ignorance », dans le « rythme universel des cœurs ». Ces vocables du poème ressemblent à des « noms d’arbres / ou des prénoms d’enfants », à des élans d’adhésion, à l’image de ce « Oui » qui « se proclame en haut / des falaises de craie dont le sol vacille ».

Le poème selon Pierre Dhainaut est, au fond, une parole qui se détache, se délivre des autres paroles, notamment de celles qui portent la marque d’une impuissance (comme l’anaphore « On en arrive à ne plus »…, dans « Sorties de nuits »). Il a besoin, pour ce faire, d’un regard continu sur lui-même, en prose ou poésie, de cette conscience perpétuée en laquelle tout commence : « et les lignes s’estompent, dégageant / la parole ». Il vérifie ainsi qu’il reste relié au monde, à ces « cailloux » « que l’on dépose en cours de route », à « l’arbre » qui « relie ciel et terre », lui qui « ne définit aucun lieu ». Et, surtout, il donne « encore / quand on a tout donné », pour nous aider à vivre mieux, à goûter pleinement tous nos liens oubliés :

« Les mains dans les mains
ont tellement à dire
au silence,
au dieu des heures. »

Sabine Dewulf


Bookmark and Share


Réagir | Commenter

spip 3 inside | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0 Terre à ciel 2005-2013 | Textes & photos © Tous droits réservés