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Le levant, un texte de Nicolas Jaen

mardi 3 juillet 2018, par Cécile Guivarch

Pour une demeure en allée (le cœur des morts), remuer ciel et terre, se diviser comme l’oiseau, et comme l’oiseau ne rester qu’un homme.

J’étais ce bout de bois qui flotte un soir de grand’pluie. J’étais cette épée d’enfant.

Cette épée qui donne la vie.

Et je dirai avec toi : cette montagne est l’aile de la terre.

Et je parlerai de notre parenté profonde.

Vers la jetée je te rejoins,
tu es,
petite eau,
petite écorce.
Tu n’auras jamais fini de m’achever.
Tu n’auras jamais fini.
Ta peau, le trésor,
je garde.
Donne tout de toi, je garde.

Aussi, si tu me vois passer dans tes rues, dis-toi que je ne suis pas d’ici.

J’habite le monde de l’esprit.

J’habite des yeux de loup,
des yeux de soie.

L’air est ma demeure.

Pas le vent.

D’un pas, repousser toute foudre. Les yeux de cailloux des capitaines fantoches du si pitoyable amour haineux.

Car : j’étais, je suis eux, aussi.

Je l’oublie par moments. Par moments je l’oublie, oui.

Et je songe à cette membrane plus fine que l’air. Cette membrane qui nous sépare.

Je t’ai vue, tout à l’heure. Durant un seul quart de seconde, le masque s’est fissuré. Durant un seul quart de seconde je n’étais plus ton ennemi intime, mais ton frère, mais ton semblable. J’ai même cru que le petit inceste était possible.

Puis j’ai tranché la gorge à mon ego, et je nous ai vus.

Deux oiseaux d’eau.

Et puis ton visage. Le miracle de grâce et de lumière de ton visage.

Parce que c’était plus que nous. Parce que c’était toi et moi. Et que j’existe pour témoigner de toi.

Toi. Ma si chère amie.

Moi. Comme la femme que je ne suis pas.

Alors, avec des yeux d’agates tu t’es penchée vers moi. Pour un baiser de lavandière. Un long baiser de pluie.

Je parle ici d’une verticalité.

De cette verticalité-là.

Je te parle. Je suis ta femme nue, ta fenêtre, ton soleil. Je dors dans ton lit. Tu me dis : Il est aussi à toi. Aussi. Et, disant cela, tu fais peur à la peur. Tu me dores, tu sais ? Tu me dores.

Je prie quand je te vois. Je prie quand je te touche. Toucher encore ton corps, le toucher toujours, c’est tout ce que je demande dans mes prières.

Oh, ne me demande pas... C’est un dieu personnel.

Il vit au fond de moi.

Le dialogue avec moi-même est donc bel et bien cette robe de rudesse. Ce cœur mie de pain.

Et un roi qui mange
dans ma main.
Trois petits sous de faim,
et le vêtement de ma soif.

Si tu me vois traverser tes rues, dis-toi que je suis de tous les ici.

Et,
lorsque tu m’auras trouvé en toi,
tu sauras.

Tu sauras ce que c’est d’être toi. Rose déboutonnée. Marée de roses flamants au-dessus des salines. Toi.


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