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Ce matin, j’écris corps Le grand désordre - Marina Puissant

dimanche 21 juin 2015, par Roselyne Sibille

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Derrière la toile, je m’assieds, je m’attends. Lui, le corps s’articule, fait des nœuds, ça gonfle, ça s’étire. Il s’encoquille, escargot. Il rentre sa tête. C’est trop petit là dedans. Il faut dire que le corps est parfois plus grand que sa carcasse. Je crache, un à un. Bras, jambes et membres en friche. Éparpillés, ils échouent sur ma feuille - à marée basse. Perdus, dans l’attente à l’automne du ciel, de l’envol des grues cendrées, quand les oiseaux descendent vers le sud. Et se posent sur le dessin. Doigts mains, d’abord la grande droite. Puis la gauche, l’infime, la discrète, celle qui entrouvre la porte, celle qui ne demande pas, celle qui laisse parler. S’éloigner les morts. Et retrouver le ciel léger, l’envol. Les migrations. De l’infime infini. A l’invisible.
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Aborder cette journée dans l’odeur des draps. Plisser, replier le corps, chacun des muscles, tout contre soi. Rester à l’intérieur, nez à nez avec juste personne. D’un rien, se découvrir, nue, de chair en os, au beau milieu de la page. A la frontière d’un petit territoire dessiné à l’encre noire entre l’étui de lunette et le cahier de textes ligné. Aborder cette journée dans le crachotis de la machine à café. Dans le froissement des vêtements mouillés. Déplisser le corps, replier les doigts. Pinceaux courts battus. Se glisser entre chaque lettre.Toute seule, sans rien y penser. Se balancer de l’une de l’autre, dans le désordre. Écrire comme on marche, somnambule, sans savoir où on va. Et toujours rester en boiterie. Avec la plume et le bric à brac, quelque part, entre deux rives.
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A l’aube, au delta des artères. Où naviguent vaisseaux. Je t’aborde. Peau tâchée, froissée, pliée. Carapace d’une terre aride, séchée par le vent. Cratère, volcan. Tourmentée. Je t’accoste. Croute, parchemin. Peau de vie. Tu me brûles, je t’encorne. Tu me résistes de tous tes trous. De toutes tes déchirures. Marcheuse en déroute je contourne tes ergs ; je gravis tes croupes. Je te glisse. Tu te découvres, je te dévoile. L’écorce se fend. L’eau se donne, Puits de source serpentine.
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Caresser la tête d’un puma, juste avant qu’il ne sente le poids de votre main, qu’il ne découvre votre regard. La seconde avant qu’il ne vous arrache les doigts. Et tenter de rester vivant. Mourir à chaque fois que les mots grimpent, qu’ils se juchent sur les remparts aux violettes. S’arrêter en haut de la rue pavée, devant le cimetière. Et, de ma plume effacer le vert dédain de tes yeux d’oiseau.
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PARCOURS
Marina Puissant vit entre Bruxelles et Eyguières, un village du Sud de la France. Elle a aussi travaillé au Canada, au Costa Rica et à Cuba.
Après une formation en histoire de l’art et en pédagogie, elle s’est orientée vers l’accompagnement de projets d’écriture et d’arts plastiques auprès de publics très variés.
Elle a aussi accompagné des formations pédagogiques et artistiques. Depuis 1995, elle a rejoint, en Belgique, un mouvement sociopédagogique (C.G.E.) qui a pour objet de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de la formation dans une perspective d’égalité et de démocratie. Ce travail en atelier l’a conduite naturellement à développer elle-même ce qu’elle partageait déjà avec d’autres.
Pendant une dizaine d’années, elle a participé, à Bruxelles, à un atelier-laboratoire de productions artistiques regroupant des publics de tous âges. Depuis, elle écrit, elle peint, elle expose. Elle est particulièrement touchée par les questions autour de la mémoire, des traces, de « l’entre deux » (entre deux personnes, entre deux instants..), du mouvement et du rapport au corps.
Ce sont ces fils conducteurs qui nourrissent ses créations et qui ont une place importante dans l’expression qu’elle veut engagée dans la vie.
Actuellement, elle participe aux ateliers d’écriture « Papiers de Soi » et aux ateliers de peinture « Marie Laurencin » organisés par l’hôpital de Montfavet (Avignon).
Elle a écrit, illustré et publié différents livres et a également participé à des expos individuelles et collectives

PUBLICATIONS
Individuelles
• Ce matin, j’écris corps – Le grand désordre, 2015, Editions Vignes Vieilles
• Rien qu’un corps sec, 2014, Editions Vignes Vieilles
• Lissia, ventre de louve (illustré par Catherine Wilkin), 2012 – Miaw Editions, Goegnies
• Arrache, 2012 – Editions Vignes Vieilles
• Le jour qui s’épelle oiseau , 2011 – Editions Vignes Vieilles
• Le vent souffle, 2010 – Editions Vignes Vieilles
• Tempêtes croisées, 2009 – Editions Vignes Vieilles
• Terres de vent, 2008 – Editions Vignes Vieilles
• Peur du Feu, publié par la collection Entre Mots, 2003 – Editions Ateliers Lire et Ecrire, Bruxelles

Collectives
• Le tout petit Bob, Ateliers Papiers de Soi, 2013
• Salade de soi, Ateliers Papiers de Soi, 2012
• Portraits crachés, Ateliers Papiers de Soi, 2010

http://www.marinapuissant.com/marinapuissant/

CRITIQUE
Les âmes de vérité dans les monotypes et la peinture de Marina Puissant
par Françoise Jourdan (libre interprétation)

« Je m’appliquerai à écouter les propos divers que tiennent
toutes ces personnes diverses dans un coin de l’univers »
Ignace de Loyola (1491-1556)

Ainsi commence ma rencontre avec Marina Puissant. Comme un bonheur.
Son regard se pose sur les êtres tel un soleil bienveillant, parfois exultant, assombri aussi par la plainte du deuil. Ce sont les éléments jumeaux d’une intensité du cœur : liberté et rébellion ; la quiétude et l’alarme.
Elle a choisi un lieu dans l’univers, « La Case à Palabres », petite ruche bruissante d’images et de mots où brillent les merveilles de son exposition mise en lumière et en poésie par Rica Levy et Serge Mallet, fondateurs de l’association AMA.

Ici, les choses acquièrent une valeur nouvelles ; la présence et le lien, le sentiment du temps retenu. Un peu comme si nous étions sous une tente imaginaire ou dans un de ces « shtetlech » d’Europe centrale peint si souvent par Marc Chagall, où se sont développés une culture et un mode de vie empreints de spiritualité et de solidarité.
Le rythme de ces monotypes est figuratif : scènes domestiques douces, intimes, scènes de la « petite comédie humaine » avec ses figures multiples. Toute scène se condense en un instant. Elle est saisie comme par effraction. Perspectives inédites entraînant des perceptions étrangères à nos repères mentaux habituels. Le décor est réduit à l’essentiel. Le dessin se joue des convergences et des divergences. Le hasard est accueilli avec une malicieuse gaieté, une savante naïveté.
Sur ce fond, les événements se présentent selon une modalité particulière. On les surprend. La couleur se glisse entre les ramifications des corps, le noir inscrit la scène dans un entrelacement d’arabesques brisées, de sinuosités accidentées.
Ratures chaotiques du temps. Sertissage à la fois libre et contraint. Vitrail du temps présent. Recherche des petites choses, ritualisées, comme élevées au rang de chorégraphies minuscules et sublimes : le ménage, la cuisine, les repas, l’orfèvrerie des jours, l’aurore des saveurs contre la précarité du monde.

« En écho, Marina Puissant a choisi de montrer ensuite des images venues d’ailleurs : des corps dans la vie qui s’attirent ou se repoussent, se soutiennent, se révoltent aussi ».
Ainsi, Pablo Neruda :
« Tous broyés, déchus, sans espérance,
nourris d’abîme sec,
parmi soufre et turquoise et vagues rouges »

Dans la détresse des corps, les mots ont peu de place, le souffle se transforme en chair abandonnée, en faim toujours attisée. Les pèlerins ont du sang sur leurs pieds usés par les chemins de l’exil.
Il ne suffit plus que nous soyons humains. Marina pèse l’injustice, plante la douleur dans nos rétines. Ses couleurs sont saturées de cendres véhémentes.
Marina Puissant chemine sur une terre qu’elle n’a pas le désir de fuir. Sa peinture sapide et ardente comme une fresque romane fait œuvre de vie et de magique proximité.
Elle projette le monde vers une forme de résurrection.

« Parce que les nouveaux chants
sont destinés à l’aube qui vient de naître »
Luis Marré (1929. La Havane)


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