A dire vrai
Pelant une pomme je t’attends j’ai dessiné une maison de la fumée sort de la cheminée l’escalier craque.
Chaussée de mes bottes je suis plus grande que toi.
Tu m’empoignes trouves les fosses sacro-iliaques à l’exacte dimension de tes paumes c’est cela être fait l’un pour l’autre.
Tu m’atteints je me laisse faire.
L’amour en tricot de corps et chaussettes un terrier sous la couette nos odeurs ton pull rouge au pied du lit dépouille un lit pour nos blancheurs les laines dans lesquelles je m’enfouis.
Les cerfs perdent leur ramure nos langues mêlées forment territoire commun.
A toi seul je peux montrer ma fatigue tu me places hors de doute mais permets que nous en parlions.
On peut écrire des poèmes qui parlent de cuisine te dis-je la recette de la polenta dans Action Poétique te souviens-tu une odeur alliacée chez Colette et mon amie Christine salaisons et fromages grande table carrée le chapeau de Michaël le petit chignon de Fred le chèche de Joël.
Je m’endors sur le dos de ta main comme un papillon.
*
Trois cheveux sur l’oreiller me rappellent les trois questions que j’avais pour toi tu es parti avec cette seule réponse.
Nul ne m’a épousée.
Chaque matin je balaie la terrasse une feuille d’érable une ou cent rester liée au sol manger seule dans l’attente de l’hiver un rai de lumière grise l’odeur de poireau et Lou Douillon.
Pluie je suis encore ici bercail sonne un peu comme cercueil.
La vérité de l’écriture dans la chambre.
Il pleut encore travailler fatigue moins que pleurer.
Peau de lapin.
Un grand vent secoue le ciel quatre pins font un bois en ton absence.
Je tente de nouer mes lacets et les mots à ce qui m’arrive au moment de l’écrire je ne sais plus ce qu’est l’amour l’indistinct des gouttes de pluie.
Parfois la vie commence au fond d’une assiette vide ou d’un verre d’alcool de poire trois planches un toit et deux yeux pour pleurer.
Matin le corps mal mis.
*
Draps blancs givre œil lavé.
Je jette des pommes de pin dans le feu c’est presque l’hiver Schubert remplace Lou Douillon je lèche mes blessures et brûle des branches mortes.
Lointains bruits de tronçonneuse j’aime les voix du travail la mienne éteinte.
Ma peine au clou je sors un manteau des moufles percées je vais des kilomètres de terre sous les pieds cheveux dénoués une paire de seins une paire de bottes c’est une femme qui marche je n’ai que mon corps manquent dans la forêt les cris des perroquets et des guenons noires.
Je cherche les grandes plaines ne trouve que fossés nids vides et défaites.
Des lichens envoyés dans l’espace survivent et je ne serais pas capable d’en faire autant préparer le potage.
Quatorze stylos sur ma table de chevet.
Frédérique Germanaud
Mai 2016
Frédérique Germanaud vit à Angers. Marcheuse, cinéphile et lectrice invétérée, elle écrit à l’étage de sa maison, face à une fenêtre qui ouvre sur un petit jardin en désordre. Dans sa bibliothèque Philippe Jaccottet côtoie Antoine Emaz, Quignard et Thoreau.
Depuis 2008, elle publie récits et textes courts, réalise des livres d’artiste avec des plasticiens, peint et grave. Elle partage ses coups de cœur littéraires sur son blog, l’atelier du passage.
Les notes présentées ici sont extraites d’un des chantiers en cours.
Bibliographie
- La Chambre d’écho, recueil de textes et nouvelles, l’Escampette
- Vianet. La lettre, récit, la Clé à Molette
- Quatre-vingt-dix Motifs, récit, la Clé à Molette
- Trois femmes en robe légère, nouvelle, Approche (épuisé)
- L’homme aux oiseaux, nouvelle accompagnée d’une photographie de Michel Durigneux, l’atelier de Villemorge
A paraître
- Courir à l’Aube, roman, la Clé à Molette