Louise Thunin [1] vient de faire paraître Cœurs et blessures aux éditions L’Harmattan (82 p., 11€ 50).
Comme elle le confie au site La Cause littéraire : « [e]n 2009 une petite fille martyrisée par ses parents est morte. Son corps est retrouvé dans une jardinière, enterrée sous une dalle de béton. Les auteurs, le père et la mère de la fillette, ont dû répondre de leurs actes devant la Justice en 2012. […] Le regard que je porte sur cette affaire « est celui de l’aumônier de prison (je suis missionnée par l’Eglise réformée) qui accompagne le père de famille pendant une petite année, avant et après son procès : une année de gestation pour lui comme pour moi. Je veux parler de gestation spirituelle, de cheminement intérieur vers une conscience d’abord prise, puis ouverte, déployée ».
Voici quelques extraits de ce vibrant recueil :
Le jour advint où les Fils de Dieu se rendaient à l’audience du SEIGNEUR. L’Adversaire vint aussi parmi eux…
Portait-il, l’Adversaire, un sweat à cagoule et des baskets
ou faisait-il tournoyer autour de sa personne une grande cape noire (doublée d’un satin écarlate ennuyeusement convenu) ? S’est-il agenouillé avec la plus élégante hypocrisie devant le Créateur de tout-ce-qui-est
ou, en rappeur dissident,
mâchait-il son chewing-gum, accoudé à une balustrade dorée ?
L’histoire (celle de Job, c’est-à-dire la nôtre)
est avare de détails cinématographiques. À la cour céleste, séraphins à six ailes frayent avec chérubins et archanges, mais seul l’Adversaire a carte blanche pour parcourir la terre et y rôder.
Curieux emploi du temps.
Etonnante dérogation.
Passe ton chemin, Adversaire, nous préférons te voir dans le jardin du voisin. Sans gêne tu t’insinues chez chacun ; nous te donnons des coups de tapette, grande mouche, et pourtant tu insistes.
Que viens-tu faire chez nous si ce n’est nous pousser au dépassement ?
Si ce n’est nous mettre au pied du mur de nos retranchements humains ?
Nous éprouver en nous montrant de ton doigt crochu le faux
afin que nous choisissions le Vrai ?
Je n’en sais rien si ce n’est que
parmi les courtisans du Roi (trônes et dominations),
tu as toi aussi ta place
unique, précieuse
de Bien-aimé.
- Je nais du big bang de mes parents,
jaillie d’une étincelle qui déchire le cosmos. De deux vous devenez trois, et moi
je m’installe dans le creux noir sous ton cœur. Je m’accroche à la branche de ses battements comme un ouistiti à un filament d’étoile.
Je pulse moi aussi avec ce clignotement qui crée à nouveau le monde à chaque instant.
J’ai soif de cette oasis qu’on appelle vie. Neuf verstes et on y sera. Je goberai des libellules. Personne ne m’en empêchera, et leurs ailes brilleront dans mon regard.
Toi, Maman, tu es une plaine à conquérir. Cette connaissance m’est donnée comme la trousse que l’on offre aux arrivants dans un hôtel comme il faut.
N’aie pas peur, je viens armée pour cela : mains jointes devant la poitrine, soie sauvage du sourire, éclats de rire des colibris.
- Comme Jacob surpris en pleine nuit, tu luttes. Le combat s’annonce rude, l’orgueil de l’indignité a du mal à céder son terrain.
Laisse-le venir à toi, cet homme ombrageux qui t’enlace, t’entraîne au sol.
Dans le tourbillon de poussière tu ne le reconnais pas, cet autre toi-même. Reçois la blessure ; dans le creuset sacré de ta vulnérabilité affleure ta rédemption.
Et si le mal répondait à cette vocation supérieure : calciner le superflu, les petits contentements de banlieue (On aurait pu être si heureux), l’inconnaissance suprême du Qui suis-je ?
Seul le face à Face (pas avec Narcisse cette fois mais avec ton intime Identité)
te le dira.
Quand tu auras embrassé l’ombre éreintée, vaincue, elle se fera lumière (voilà le miracle), te bénira et tu iras ton chemin.
Avec un nom nouveau, un nom offert par ce qui, un jour,
t’a dépassé.
- Chère enfant de la plus belle étoile,
est-ce toi qui t’habilles (tunique de lamé, voile chatoyant)
en médiatrice
entre l’Autorité de ces cieux
où désormais tu scintilles
et moi, agent secret auprès de celui qui fut
ici-bas ton géniteur ?
Pour lequel de nous deux est le don ?
Le miroir tendu est à double face. Je lui rends son humanité,
lui m’offre
par son choix
de consentir
à la métamorphose du grain en épi,
par son merci
à chaque visite,
une preuve que mon temps
est bien
à Son service,
que je ne viens pas les mains vides.
Que vaut le miroir d’un criminel ?
me dirait l’un ou l’autre ;
Je réponds,
Qui tend le miroir ?
N’est-ce pas ce noyau d’âme inaltérable qui
chez le criminel comme chez l’épicier
ne sait rien renvoyer d’autre que
le Visage de l’Amour ?