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Iris, Danielle Fournier | Luce Guilbaud

dimanche 23 février 2014, par Cécile Guivarch

Editions de l’Hexagone. 2012. Montréal.

Luce Guilbaud m’a fait cadeau de ce beau livre, écrit avec Danielle Fournier, qui vit au Québec. Je lui ai demandé, intriguée, comment ce livre avait été conçu. Sa réponse, la voici avec l’introduction qu’elle avait l’intention d’intégrer au recueil et qu’elle a bien voulu confier à Terre à Ciel.

Écrire ensemble.
« Si nous écrivions ensemble, me dit-elle,
toi sur tes rives,
moi sur les miennes ».

D’elle est venue l’impulsion… Mais comment écrire ensemble ?
Qui parlera ? Qui écrira ? Et quoi ?
Quelque chose de non formulé se propose. Un désir d’être ensemble dans l’écriture.
Je connais ton écriture et tu connais la mienne mais ce qui est déjà imprimé ne peut ressembler à ce qui se glisse dans ce désir d’écrire et ce qui sera écrit sera pour toi mêlé à ce que tu souhaites dire.
Et si cela ne s’ajustait pas ?
Si notre désir (puisque déjà je suis d’accord avec toi pour que nous écrivions ensemble…), notre désir donc de faire surgir l’écriture du partage de nos conversations, de nos soirées autour d’une table, de nos promenades, se heurtait à l’impossibilité de partager ce qui nous différencie… cette parole sourde, encore inconnue, qui s’agite en nous et n’a pas encore de forme ?

C’est cela justement que nous voulons vérifier. Non pas écrire en posant les mots les uns à côté des autres, en laissant surgir les phrases, les formes, les idées mais écrire l’une d’un côté de l’Atlantique et l’autre sur la rive opposée. Ce qui pousse en nous déjà de nos appartenances à des lieux et des espaces différents et pourtant si proches.
Pour moi ce sera sur ce lien entre les autres du passé (de la famille) qui ont quitté notre terre commune et se sont transplantés au Québec. Comme on divise une touffe d’iris qui aurait repris vigueur là-bas… La même et autre aussi…
Iris fleur, Iris déesse dans la représentation qu’en fait Rodin. Ce bronze d’une femme sans tête avec des cuisses largement ouvertes comme pour un enfantement mais aussi comme dans un large bond d’une course éperdue par-delà les mers, pour aller toujours ailleurs, toujours plus loin replanter ses racines.
Iris messagère des Dieux
Iris passagère des lieux…

Quelques extraits

Un temps couleur feuille.

Séparée de sa langue sur des rives éloignées de la mer, elle déchire les lettres et les laisse partir, détournées de leur initiale. N’a pas peur puisque seul écrire importe dit-elle à voix haute, en regardant les dunes protégées.

Elle parcourt Belle-île-en-mer, lieu de déportations, de vents. Les mains dans les poches, suivie du chien, elle va et vient puisqu’elle n’a rien d’autre à faire que de marcher ce qu’elle écrit, ce devoir d’écriture.

Elle parle du miracle des Eaux, celui qui fait la vie, sa vie, espace de parole incertaine.

Sont venues les montagnes et avec elles, la chaleur du sol. Différents tons, un blanc trop blanc, un vert sombre, un bleu enveloppé. Est venu le silence de l’été, un silence d’avant l’été. Et si celui-ci prenait son temps, entouré de baisers papillons ?

Sauge, menthe, fleurs des champs couverts de rosée, du serein. Forêt noire de pins aux noms anciens.

Le temps s’est arrêté poursuivi par les mouches, la mémoire se range au fond d’un placard pendant que les rêves tourmentent la route lente des nuages.

Dis-moi plutôt ce qui nous réunit et non ce qui nous sépare, les lieux où nous marchons, les pièces habitées.

Un enfant frappe à ma fenêtre. Il est dehors, habillé d’automne et d’hiver. Son baiser me ramène alors que. Alors que.

Sans résistance devant la violence de ce qui ne peut être évoqué du bout des doigts, nous restons les gardiennes du jour en nos mains.

Blanche, m’écriras-tu beaucoup plus tard.

Danielle Fournier

Pour dire
ce qui bat du cœur et monte au front
au vent sa trace liquide la voile hissée
langues affrontées les accents corps à corps
ce qui donne d’avenir et de mémoire
l’Histoire réincarnée dans ses refus
parler ___ langue trouée prières et musiques
à la table commune entre premier et dernier cri
__________ (tendresse d’écouter)
__________ poème à déchirure sens oblitéré
l’écho dans l’écorce sur lichens pâlis.

Remplacer chaque latte du plancher par une lettre
chaque cloison par un marque-page
choisir le bleu ___ justement ___pour la façade
une ligne pour les yeux et dialogue à niveau d’horizon
__________ maison chère coquille
en cas de jeu entre les murs
les oiseaux tisserands limiteraient
l’espace
entre les autres et nous.

Calculs des généalogies
_____ par la tête et les mains
on entre dans la peau de l’autre
à l’orifice premier des noms
ce qui revient c’est le sang
_____ itinéraires perdus dans l’orthographe
sur chaque pierre tombale le nom le plus ancien
de seigneuries en actes
_____ le corps penche avec la pierre
le nom de travers s’enterre un peu plus
renaît par les couleurs d’envers du temps.

Luce Guilbaud


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