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Où brûler durera, une lecture de Chemin des centaurées d’Isabelle Lévesque par Sylvie Fabre G.

vendredi 7 juin 2019, par Cécile Guivarch

A Isabelle Lévesque et Fabrice Rebeyrolle

dans l’osmose et la résonance

Les fleurs, comme les poèmes et les peintures, ont tant à nous dire, et leur dialogue en nous a le feu de la beauté, la grâce d’un élan qui fait le monde et nous invente. Car nous habitons avec eux l’éphémère et le périssable mais nous sommes capables d’un même éveil sans cesse renouvelé. Dans son dernier livre paru aux éditions L’Herbe qui tremble, Isabelle Lévesque nous mène sur le Chemin des centaurées qui est aussi chemin d’encre où elle revient à la source de l’amour et des larmes pour mieux retrouver le suc de la vie et de la langue, - et renaître. Elle fait de son regard sur la nature et de la voix du poème un lieu serti d’attente, nourri de gerbes d’ombre et de lumière, qui englobe dans un même espace-temps extérieur et intérieur. Il y a quelque chose d’extrêmement précieux dans les couleurs primordiales de sa poésie, ses sonorités qui entrent en résonance avec celles des œuvres du peintre Fabrice Rebeyrolle qui l’accompagne. De leur rencontre langagière et plastique, un chant sensible s’élève.

Ce chant se déroule sur deux saisons, le printemps et l’été, et en quatre parties dont le titre à chaque fois renvoie à l’avancée, « autre lueur » des mois et des états de l’être et du végétal. Chacune d’entre elles est accompagnée d’une peinture aux tonalités différentes qui marquent les étapes d’un chemin dont les citations en exergue et les deux poèmes initiaux nous préviennent aussi. La poète-narratrice, dans l’attente de quelqu’un avec qui elle a vécu un amour, rêve d’une nouvelle floraison en « aimée du printemps ». Elle la trouve dans les fleurs, ces « étoiles de jadis » rendues à l’éclat du présent et à la promesse tenue d’un revif, et qui jaillissent vibrantes sur l’or de la couverture voulu par le peintre. Elle devient avec elles « passante » de son « histoire relue » en une parole ardente qui « ne craint ni l’oubli ni la nuit ».
Le printemps des fleurs rythme l’ensemble de cette traversée en vers libres coupées de brèves proses en italiques. Elle commence en « Mars », « arche » tendue et moment du basculement entre deux saisons. Les premiers poèmes sont le début d’une quête que le peintre signe avec une deuxième œuvre, symboliquement fond gris-bleu avec épaisseur de brun et touches de blanc et de rouge. Car la narratrice, amoureuse blessée, va encore sentir l’hiver, les brumes, les « âpres jours » de la douleur et de la séparation. Ses vers adressés à l’absent, un « tu » qu’elle conjure de ne pas « renoncer » au « bouton d’or » de leur rencontre, l’entraînent à « bannir l’oubli », à « dompter la nuit » par le désir du recommencement. Elle espère et la lettre et le retour et le baiser à venir car il est celui qui a habité avec elle « l’aubier » et « dénoué les branches ». Une part du chemin vers l’autre s’accomplit dans le geste d’écrire : « je t’ai cherché », lui confie-t-elle, et trouvé dans le poème-gardien. La montée silencieuse du bleu peint dans cette partie par Fabrice Rebeyrolle ressemble à celle de leurs voix là « accordées ». Mais la poète, si elle laisse naître sous sa plume des images et une « mélodie » plus légères, conjugue aussi la fragilité du songe et le cri de l’amour perdu avec les affres des saisons. « Avril » n’est qu’un pas, encore incertain, vers d’hypothétiques retrouvailles. La métaphore des branches qui entaillent le ciel d’ « orage » et la fleur noire sur fond cerise ou sang, que révèle la quatrième peinture, magnifique dans sa force, de Fabrice Rebeyrolle, tout le lexique égrené de la passion, annoncent d’autres tourments et défaites.
Dans l’ensemble du livre l’intensité des poèmes repose sur l’alliance des éléments naturels et du verbe qui se vit comme une « ronde » autour d’ « un nom » jamais énoncé. « Mai », en ses floconnements d’ocre et de blanc rosé sous le pinceau du peintre, amorce pourtant avec lui le songe d’un là-bas, à défaut d’un ici, où vivre ensemble. Il donne à la figure de l’amant le visage d’un nouvel Ulysse, « le héros qui revient toujours », répondant ainsi à l’attente de la femme. Le registre lyrique - invocations, interrogations, exclamations, emploi du « je » - permet de traduire les variations subtiles d’un cœur qui tangue entre espoir et lucidité, et demande à l’autre le risque qui permettrait la métamorphose. La sixième peinture qui ouvre l’avant-dernière partie du recueil, souffle de pétales-nuages « couronnés par le vent », signe dans sa fluidité le passage d’une union vécue dans une langue du corps faite d’extase et de révolte. Un précipité de passé-présent-futur où les temps des verbes balaient une histoire sans cesse réinventée par la narratrice. Malgré l’apparition des « signes bleus, premiers bleuets », « Juin » s’écrit « Tonnerre aux quatre coins du jour ». L’amant ne reviendra pas sur Le chemin des centaurées, fleurs-symbole du désir amoureux et guérisseuses de ses plaies. La pluie se lit pleurs, l’amante implore vainement « Ecris », et l’avenir prend la forme de sa main qui replante les coquelicots « pour l’an prochain » mais le rendez-vous du 25 août n’aura pas lieu. Après l’élégie, la dernière partie du recueil, où le printemps a basculé dans l’été, est celle de « la solitude en solstice » et de la mélancolie.
Du renoncement à l’acceptation : l’amoureuse délaissée, si elle entame seule la métamorphose espérée à deux, choisit « Vie contre coup » comme le coquelicot, « Souverain penché » sous le vent. Elle ne se brise pas mais comme le phénix, renaît de ses cendres, devenant « une autre fleur où brûler/durera ». . Les deux dernières peintures de Fabrice Rebeyrolle font couler dans le noir la lumière de la vie et d’un amour possible dont nous voyons l’épanouissement en deux fleurs rouges, coquelicots au cœur noir sur fond d’or. La transmutation et le passage se sont accomplis dans le poème et la peinture.

Ainsi la fin du chant signe-t-elle à la fois le consentement à la traversée de l’épreuve et le retour de l’amour qui demande l’initiation. Le chemin des centaurées parcouru ouvre autre temps à la rencontre, à la présence de l’aimé et à la parole qui la disent. Isabelle Lévesque nous fait entendre la voix d’une poète qui s’inscrit dans la grande tradition lyrique qui relie les images de la nature et les figures de l’amour depuis les poètes de La Pléiade. Comment alors ne pas évoquer aussi « le don » de Renaissance que lui fait le peintre en accompagnant ses « fleurs de mots » avec les « fleurs de la peinture », fragiles et fortes comme la vie et l’art dans leur permanence et leur modernité sans cesse renouvelée ? Oui, dans ce livre, « Fleurir » s’invente et se crée à deux.

Sylvie Fabre G.


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