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Nathalie Michel, un extrait de Veille paru aux éditions Lanskine

dimanche 23 avril 2017, par Cécile Guivarch

J54
C’est beau, très beau là où je vis. Ça répare. Chaque jour il faut réparer. Le monde souvent nous abîme. Il nous jette dans le noir, dans sa laideur. Il y aura toujours des hommes ou des bêtes par terre...

Ce qui répare... c’est ce qu’il leur faut aux laissés. Ceux qui se réfugient dans les jardins publics pour rester ensemble au milieu des grandes villes. Hors de nos regards, réparer ?

Comme un chien, couché, l’homme, ce matin à l’entrée de l’immeuble de la toute petite ville.
Il y a ça, des chiens, des hommes qui se sont couchés au milieu des passants, qui n’attendent plus rien.

Comment rester, passant ?

Tout est dans le regard, même quand les paupières sont closes, nous avons besoin que des yeux restent ouverts sur nous. tous. C’est ça, veiller.

Le livre de photos de C fait ça, restituer, le regard sur ce qui n’est plus vu et donc en état de disparition.

Remettre en état, restituer, redonner lieu et place.

les maux du monde
pénètrent dans nos plaies
grandes ouvertes

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ce soir il y a eu l’orage, à Lignières, à Gatteville, à St Nazaire.
Avant il a fait très chaud, très vite.
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Ornette Coleman est mort. Unbelievable buddha blues !!!!

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Grand vert épais dehors, la terre, lourde, s’évapore. J’ai semé des tournesols.

Le regard de la terre.

Ces deux derniers jour j’ai mis de la peau sur des signes, sur des voix, sur des histoires.

A Paris l’air ne sert à rien quand il fait chaud, on étouffe.

Les rencontres sont intenses, parce que rien, autour, ne fait diversion. On est, entre humains, absolument, seuls. Regards actifs, mots émus, étreintes inévitables, souhaitées. C’est le seul rapport possible à la matière, tout passe par les mains, par les voix, les regards, entre les corps, parler, regarder, toucher. Nous, seulement nous.

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De retour aux champs, j’ai gratté, libéré, ensemencé, la terre. Longtemps, jusqu’à ne plus sentir mes bras. Les corneilles hurlaient, rythmaient le travail, j’ai fait le vide. Les arbres ont encore grandi.

Copies-collages des vieux journaux, en écoutant Fire.

Le monde nous perd, nous le perdons. On se renifle à l’affût des restes de vie, des rares restes d’incarnation. On reste en veille, on se tient éveillé coûte que coûte, dans les sons, dans le papier, dans la défonce, dans le sexe. On se cherche parmi les spectres. On veut vivre, notre véritable grand désir c’est la vie, pas notre vie, non, la vie. Ce qu’il en reste.

Les humains las, hier sous la terre, sur les trottoirs il y en avait plein, de ceux qu’on a laissé glisser, qui se sont couchés, repliés sur eux-mêmes. C’était des hommes, des femmes et leurs chiens ou rien, un sac en plastique comme unique bagage. ils ne voyagent pas, ils se reposent.

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Il a pour seuls papiers d’identité, un CV.
Ils dorment sur des rochers, à la frontière, enveloppés dans des couvertures de survie.
Ils n’ont pas droit au sol.

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Je reviens, au ciel bleu de ces derniers jours, à la fraîcheur de l’air la nuit qui empêche les légumes de pousser. A ce soir.
A des poussées de sanglot restées dans la gorge, à la colère sourde, à mon calme.

Les humains, nous, c’est parfois au-delà de la cohérence. Je ne supporte plus les images. Le recul, je dois prendre du recul, laisser le temps s’emparer de ma sensibilité. Ça va passer. Mais ça revient toujours parce qu’on sait, ce n’est pas comme si on ne savait pas, ce qui arrive.

Les hommes échouent, certains sur des rochers, les autres dans leurs prisons dorées. Nous échouons ensemble, nous crions tous à en devenir sourds. Derrière des murs, derrière des fils.
Nous nous faisons face. Entre les deux pourtant, la vie. Notre lien profond.

Tant d’opposition entre nous...

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Jour joyeux parmi les enfants, les amis, les passants. Le ciel est resté bleu, l’air était doux.
Beau, tout autour c’est très beau, ici, dans le jardin, dans les champs, ça fleurit, ça pousse, ça fourmille.

Veille , éditions Lanskine 2016, 14€


Nathalie Michel est née en 1969, vit en Normandie. A réalisé des films super 8, un court métrage, Ci-vit, en 16mm avec un danseur de Butô, dans le cadre de ses études à l’Ecole des beaux arts de Caen et Le Fresnoy. Ecrit depuis une dizaine d’année. Ir-cela a été publié sur le site Lampe-tempête, Souffle continue aux éditions Lanskine en 2012 et Veille en 2016 chez le même éditeur.


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