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Sans frontières fixes

samedi 15 juillet 2017, par Cécile Guivarch

Jean-Pierre Siméon, extrait de Sans frontières fixes aux Editions Cheyne

Hériter du monde

Inventer le ciel
engendre la pierre
comme le firent l’Arabe et l’Inca

Comme le fit l’Africain
invente le feu l’arbre et le fruit

Dans le silence du vieux Chinois
comprends le chant muet de la fleur

Apprends de la mer
ce qu’en apprit Ulysse l’égaré
pliant à son désir comme un arc
la vague et l’amour

Emplis-toi du monde
et à chaque instant
égale le jour qui te fit naître

Salah Al Hamdani, extrait de Rebâtir les jours, éditions Bruno Doucey

Au bord de la nuit
le monde dépourvu de sueur se lit à l’envers
Mon regard traverse la feuille
où l’encre encore humide de mes voiliers
laisse aux aguets comme une frontière offerte
au silence

Ici, je t’aime
mais le monde ne va nulle part
et le cœur est un oiseau blessé
une aile
collée au bitume

Ici, pendant la nuit
image par image
les années s’effacent
se voilent
plongent entre les rides du miroir

C’est ici qu’on va m’enterrer
l’obscurité murmure
le ciel est trop bas
une longue aube s’étire sans sommeil
ainsi qu’une palpitation, un désir
et avant que tu donnes l’assaut
à bout de souffle
dès l’entrée du jour
je t’écoute rugir

Pierre Dhainaut, extrait de L’autre nom du vent Editions L’herbe qui tremble

Les mains sont-elles vides, quand personne
n’est plus là pour les guider ? Elles se tendent,
se tordent, se cassent, vouées à l’impuissance.
Nous regrettons les beaux hivers que la neige attise
entre deux tempêtes, les nuits nous semblent identiques,
qui s’accumulent. Nous appelons « les morts »
ceux qui nous ont aimés dès qu’ils échappent à la vue,
nous les mettons un peu plus à l’écart.
Pourquoi nous auraient-ils abandonnés ?
Nous seuls les trahissons, aucun langage
n’évite de mentir, aucun ne nous permet de dire
« amour ». Quels gestes, puis à leurs confins
quelles phrases libres, puis quel silence sans frontière
certifieraient que nous appartenons au même espace ?

Lucien Suel, extrait de Devenir le poème

Je m’autorise la liberté. Je suis borderline sans frontière. De nouveau, je danse : je suis debout, je respire, j’essaie un costume.
Je danse : je mange une tartine beurrée avec un carré de chocolat, je me mouche, je prends une photo, j’écrase une guêpe.
Je danse : je me hausse sur la pointe des pieds, je souffle sur les braises, j’écris un sonnet, je relance la balle.
Je danse : je bats des mains, je saute à cloche-pied, je dépose un € dans la timbale en plastique de la mendiante.

Michel Baglin, extrait de Un présent qui s’absente éditions Bruno Doucey

Frères de Terre

Je n’ai pas de frères de race,
j’ai des frères de condition,
des frères de fortune et d’infortune,
de même fragilité, de même trouble
et pareillement promis à la poussière
et pareillement entêtés à servir
si possible à quelque chose,
à quelqu’un, même d’inconnu,
à quelque frère de même portée,
de même siècle, ou d’avenir….

Je n’ai pas de frères de race,
ni de religion, ni de communauté,
pas de frères de couleur,
pas de frères de guerre ou de combat,
je n’ai que des frères de Terre
secoués dans la galère
des espoirs et désespoirs
des mortels embarqués,
des frères de rêves partagés
et de peurs trop communes.

Je n’ai pas de frères de race,
j’ai des frères de condition,
bien différents et très semblables,
d’ailleurs terriblement interchangeables
dans l’égoïsme
ou dans la compassion…
Des frères tout pétris de l’envie
de partager leur solitude avec le pain
et parfois le bonheur insigne
d’apprendre ensemble à dire non…

Je n’ai pas de frères de race,
mais des frères dans le refus
de n’être qu’un passant,
des frères par l’art et par le chant,
et l’énergie déployée chaque jour
à tenir tête au néant.
Des frères à travers les âges,
la géographie et les frontières,
– et qui sait même, au-delà de l’espèce,
peut-être un frère en tout vivant…

Bruno Doucey, extrait de Ceux qui se taisent aux Editions Bruno Doucey

Ceux-là ne sont jamais partis

Le nom qu’ils ont volé leur colle au front
comme un emblème national

Ils haïssent le juif
abominent l’Arabe
se méfient du Rom ou de l’Arménien

et jetteraient volontiers l’homosexuel à la Seine
deux par deux désormais
puisque mariage leur est permis

Je crains la flamme en mon pays

Mireille Disdero, extrait de Ecrits sans papiers, Pour la route, entre Marrakech et Marseille, Editions la Boucherie littéraire ; collection Sur le billot

A la poussière

L’homme attend sur un banc. Seul, plié en deux, songeur, peut-être malheureux. il est en noir et blanc ; mais derrière lui, comme sur un écran géant, un mur exulte ses couleurs chaudes qui hurlent. le ciel d’un jour de mistral en rajoute. Alors, dans la ville, les contrastes s’affrontent, se cognent... tuent aussi, sûrement.

Son sac de route coincé entre ses jambes, contre le banc, cet homme est d’ici car il vient d’ailleurs. Et ses chaussures, mangées par les chemins, racontent son voyage de poussière en poussière.

Gare Saint-Charles (Marseille - France)

Ashraf Fayad, extrait de Instructions, à l’intérieur, Le Temps des Cerises

Grand-père
je suis debout, tout nu
chaque jour
sans Jugement dernier
sans que personne
ne souffle dans le cor
car je suis d’avance
ressuscité
Je suis l’expérience de l’enfer
sur la planète Terre !
La terre
cet enfer apprêté pour... les réfugiés

Odysseus Elytis, extrait de L’arbre lucide et la quatorzième beauté (suite de Axion Esti), tradction de Xavier Bordes et Robert Longueville, Poésie / Gallimard)

CADEAU POÈME D’ARGENT

Je sais bien que tout cela n’est rien __________________ et que la langue que je parle n’a point d’alphabet

Vu que le soleil et les vagues sont un genre d’écriture syllabique que l’on ne sait déchiffrer qu’aux époques de chagrin et d’exil

Et la patrie ___ une fresque avec des couches successives d’invasions franques et slaves ___ et s’il t’arrive un jour de te risquer à la restaurer tu vas en prison aussi sec et il te faut alors rendre des comptes

A un tas d’Autorités étrangères ___ toujours fourrées dans tes affaires

Comme il est habituel aux calamités

Pourtant ___ si l’on faisait semblant qu’on est sur une aire des anciens temps ___ qui pourrait aussi être celle d’un grand ensemble ___ qu’on joue les enfants ___ et que celui qui perd

Doit en vertu des règles ___ s’ adresser aux autres et leur donner un gage de vérité

Voilà qu’on se retrouverait tous à la fin à tenir dans nos bras un petit

Cadeau poème d’argent

Yannis Ritsos, extrait de Tard, bien tard dans la nuit, poèmes traduits par Gérard Pierrat et Marie-Laure Coulmin Koutsaftis, éditions Le Temps des Cerises

INÉVITABLE

Ils sont partis, l’un après l’autre. Nous avons attendu. Ils ne sont pas revenus.
Comment peut-on s’habituer à tant d’éloignement ?
Ni montagnes, ni arbres, ni maisons,
ni gens du tout, et les noms oubliés,
et la cendre répandue jusque dans les pages vierges.
Seulement dans le champ sec aux ronces jaunes,
a poussé une rose comme par erreur. La nuit,
souviens-t’en quand tu regarderas au loin vers le large,
les trois petits feux errants. Souviens-t’en.
Ô, triste, inconsolable clair de lune, garde-moi.

Karlovassi, 10. VII. 87

Warsan Shire, extrait de Où j’apprends à ma mère à donner naissance, traduit par Sika Fakambi, éditions Isabelle Sauvage, collection corp/us

Conversations à propos de chez soi
(au centre d’expulsion)

Donc, je pense que chez moi m’a crachée dehors, coupures d’électricité et couvre-feux comme une langue butant contre la dent branlante. Dieu, sais-tu comme il est difficile de parler du jour où ta propre ville t’a trainée par les cheveux, devant l’ancienne prison, devant les portails des écoles, devant les torses incendiés dressés sur des poteaux comme des drapeaux ? Quand il m’arrive d’en rencontrer d’autres comme moi, je sais sur leur visage la nostalgie, le manque, le souvenir des cendres. Nul ne part de chez soi à moins que chez soi ne soit la gueule d’un requin. J’ai si longtemps porté en bouche l’hymne ancien qu’il ne reste plus de place pour aucun autre chant, aucune autre langue ou aucun autre langage. Je sais une honte qui te couvre d’un linceul, t’engloutit tout entier. J’ai déchiqueté et mangé mon passeport dans un hôtel d’aéroport. Je suis ballonnée d’une langue que je ne peux me permettre d’oublier.

Roselyne Sibille, extraits de Diagonales du silence, éditions Henry (à paraître en octobre 2017)

Tu es parti sans rien
sauf en toi
le parfum des fleurs de jasmin

Il retire le sol devant tes pas
et tu titubes sous son poids

...

Il ne reste plus qu’une pierre dans ta tête
un mur pour t’accueillir
des sautillements d’ombres

Tu trembles dans un chaos
de poudre

...

Je suis assailli par ces mots
que personne ici ne sait prononcer

sauf toi mon ami
qui brûle aussi

...

Les poings tendus
tu éloignes le visage gardien

et les pierres tombent
comme des lettres séparées des mots

Mahmoud Darwich, extrait de Comme des fleurs d’amandier ou plus loin, poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar, Actes Sud

COMME SI J’ÉTAIS JOYEUX

Comme si j’étais joyeux, je suis revenu. J’ai sonné
à plusieurs reprises à la porte et attendu...
J’avais peut-être tardé. Personne ne m’a ouvert.
Pas un souffle dans le corridor.
Je me suis souvenu que j’avais les clés
de ma maison
et je me suis excusé de moi-même :
Je t’ai oublié. Entre !
Nous sommes entrés. Dans ma maison,
j’étais l’hôte et l’invité.
J’ai regardé le mobilier du vide,
n’ai trouvé aucune trace
de moi. Peut-être... peut-être n’ai-je jamais été là.
Je n’ai trouvé aucune ressemblance
dans les miroirs.
Je me suis demandé : Où suis-je ?
et, en vain, j’ai crié pour me réveiller
de ce délire...
Je me suis brisé telle une voix qui a roulé
sur le dallage. je me suis dit : Pourquoi ce retour ?
Et je me suis excusé de moi-même : Je t’ai oublié.
Sors !
Mais je n’ai pu. Je me suis dirigé
vers la chambre à coucher,
alors le rêve a couru vers moi,
m’a enlacé et demandé :
As-tu changé ? J’ai changé car mieux vaut mourir
à la maison qu’écrasé par une voiture
en chemin vers une place déserte !

Maram al-Masri, Le retour de Wallada, Al Manar

Pour tous les hommes
je suis femme
et nul homme n’est à moi
De tous les pays je suis femme
et nul pays n’est à moi

Femme de cendre et de montagnes
femme de plaisir et de douleur
femme de savoir et de folie
Je reviens à toi
A tes bras
dans ta présence
Afin que tu te souviennes

alors
je me souviendrai de moi

Yannick Torlini, Nous avons marché, Al Dante

Nous avons fui un jour pour ne plus nous rencontrer, éviter regards et paroles nous avons fui comme l’air et le sang éviter, ne plus rencontrer seulement. Avancer encore si loin fuir nous avons fui si. Le corps était quelque chose de bien plus, quelque chose brisé compliqué bien plus était. Ne plus nous rencontrer, abattre les murs et ce qu’il reste d’os nous avons, fui, échappé, évité, évidé. La lumière comme la langue et ces cloisons dans le parler taire. Nous avons fui un matin, sans aucune direction, mais seulement : garder le ciel au-dessus de nos têtes, la terre sous nos pieds.

Sabine Huynh, Kvar lo, Æncrages & Co

Les lieux où tu dors
n’ont pas de lits
ils sont de l’eau
ne sont jamais
les mêmes rumeurs
qui te dispersent
et te fêlent

Tanella Boni, Là où il fait si clair en moi, Editions Bruno Doucey

Ma peau devenue
Transparente
Elle l’était
Sans doute depuis toujours
J’ai oublié d’ouvrir les yeux
Sur mes lieux
Qui ne pèsent pas
Le poids de l’idée

Mes lieux piétinés
Ma parole écrasée
Mes mots refusés
Jetés sous l’éteignoir

Quand ma barque vogue
D’une mer à l’autre
Et ma peau imprégnée
De l’humeur du monde
Or le monde me préfère
Confinée à mon pays

Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite, Les Carnets du Dessert de Lune

Des guerres pour un bout de terre. Rois d’Espagne d’Angleterre et de Navarre et lesquels encore. Terre comme richesse. Les gens sont restés là, ne pouvaient pas partir. Ceux qui ont osé se sont déracinés et ont planté leurs racines ailleurs. D’autres villages, d’autres pays, traversées des mers et des océans, par-dessus les montagnes. Ceux-là qui sont partis et font courir leurs racines d’une terre à l’autre. Ceux-ci qui sont restés pour ne pas oublier d’où nous sommes. Les uns puis les autres sont nos origines, ceux qui nous fondent, nous charpentent. D’ici ou de là nous sommes tout aussi bien. Nous prenons racine, nous semons des graines. Nous sommes des fleurs.

Max Alhau, D’asile en exil, Voix d’encre

Livre-toi à la nuit,
n’hésite pas :
les pierres, les arbres, les buissons
fraterniseront alors.

Ne ferme les yeux
que pour appâter l’aube
qui ratisse la terre.

La nuit brise les frontières,
abolit les ombres.
Elle te rend compagnon
d’une vie déployée
au plus large du paysage,
toi qui résides souvent
sur l’autre versant du monde.

Gabrielle Althen, Soleil patient, Arfuyen

Epiphanie de l’interstice

porte précaire par-dessus le mutisme Ce n’est que brun à qui perd gagne et bleu sur brun
au bord du monde inassouvi
ici le soleil est mouillé
et des lèvres s’enroulent autour de mots non dits aucun château n’est sûr
Bien que des portes claquent
Fractales heureuses du ciel qui se déplie
il nous faudrait si peu pour que le jour nous aime
il nous faudrait si peu...
un geste à peine
pas même une promesse
au bord du ciel
les nuages ont repoussé le jour
Bord du ciel bord du champ bord du manque
le vent du Sud n’est jamais seul à vouloir nous éteindre mais quelle fête tient là-bas dans les trous du nuage ? miracle du regard
Geste de parole
le ciel au fond s’allonge

Yehuda Amichaï, extrait de l’anthologie On n’aime guère la paix aux Editions Rue du Monde

Jérusalem

Sur un toit de la Vieille Ville
une lessive dans l’ultime lumière du jour :
le drap blanc d’une ennemie
la serviette avec laquelle mon ennemi
essuie la sueur de son front.

Dans le ciel de la Vieille Ville
un cerf-volant.
Et au bout du fil,
un enfant
que je ne peux voir
à cause du mur.

Nous avons hissé beaucoup de drapeaux,
ils ont hissé beaucoup de drapeaux.
Pour nous faire croire qu’ils sont heureux.
Pour leur faire croire que nous sommes heureux.

Jacques Ancet

il aurait fallu laisser parler la voix,
l’écouter, légère, dans la transparence du jour.
Sans doute alors aurions-nous compris
ce que le temps nous cache aujourd’hui.
D’autres voix parlent aussi mais brouillées,
traversant l’heure sans l’habiter.
Nous regardons le ciel, son bleu brumeux,
ces fleurs un peu plus lointaines chaque jour,
plus blanches pourtant, plus lumineuses.
Nous nous taisons.
Nous ne comprenons pas

Nâzim Hikmet, C’est un dur métier que l’exil..., Le Temps des Cerises

Le globe

Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon
__________________________________multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’une journée au moins ils puissent manger à leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le monde apprenne la
____________________________camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.

Nolwenn Euzen, Babel Tango, Editions Tarmac

Nous fuyons, nous quittons un pays.
Et tant pis si les fleuves, les ar-
chipels. Tant pis si nous n’avons pas
le temps d’arriver. Nous avons un
rêve à refaire. Nous avons les fic-
tions qui nous entourent, la réalité
à éteindre.

Thierry Metz, Terre, Opales / Pleine Page

Il n’y a que des pas. Des pas der-
rière moi.

___________ En reste.

Ici, dans l’argile encore fraîche
qui m’a lié au chemin.

Mais souvent ce mot va au feu.
Très loin dans la chaleur. Dans ma
voix il durcit. Alors dans l’achève-
ment il n’est plus qu’une tuile. Il
couvre. Il préserve. Il protège. D’un
autre feu.

___________ Plus froid.

Je ne vis qu’en ce que j’ai à écri-
re. Ou, différé par mon silence : habi-
ter. Là où je ne resterai pas.

__ Quelques pas hors de moi.

____ Jusqu’à toucher la haie.

Seyhmus Dagtekin, Ma maison de guerre, Le Castor Astral

Je tente de me convaincre que nous allons vers l’ouest alors que mes impressions me mènent vers l’est. Je tente d’imaginer le soleil couchant devant moi alors qu’il reste obstinément en arrière. De mettre le sud au nord alors que le nord persiste à être le sud. Je tente d’imaginer une immersion paisible dans la grande eau alors que nous courons nous aplanir contre les falaises du grand mont. Et nous nous chargeons dans notre traversée. De pieds de vaches, de danses de chèvres, de chevelures blondes, de tempes grisées. Dans l’espoir de l’aplanir si c’est le grand mont, de l’assécher si c’est la grande eau pour que nul ne sache de quoi sera fait son avenir.

Olivia Elias, Ton nom de Palestine, Al Manar

Un ghetto de Méditerranée
Une Corée méridionale
où les routes ne mènent nulle part
les bateaux ne jettent l’ancre dans aucun port
et l’horizon ne s’ouvre à aucun carrefour

Les yeux rivés sur la Méditerranée
mirage scintillant au loin
nus naviguons d’île en île
entre murs et barbelés
avec la frontière bétonnée
qui court plus vite
que la marée vers l’Orient
rejoindre le soleil naissant

Anne-Laure Cartier, Eaux médiatrices, Editions Saint-Germain-des-Prés, 1983

L’exilé

Ai-je oublié les bois
Les forêts de l’automne
Les forêts de chez moi
Les grandes tristesses humides
Sous la mousse discrète et douce
Le parfum de l’écorce
Et les grandes racines amoureuses de la terre ?

Être vaguant et avide
Amer conquérant de l’horizon
Ai-je oublié le chuchotement des clairs-obscurs
Et le silence des grands arbres ?

À toujours marcher vers le soleil
Fasciné par ses flammes sauvages
J’ai laissé mes yeux brûler
Et ne distingue plus à présent
Les nuances subtiles
Des tons pastel

À trop écouter le vacarme des villes
Je ne sais plus entendre
Le joyeux essoufflement des herbes naissantes
Et le rire des sources furtives

Comment rejoindre les grands bois
Et mes souvenirs épars sous les feuilles mortes ?
Je n’ose pas même regarder en arrière
Comment prendrais-je le chemin du retour ?

Werner Lambersy, Hommage à Calder, Rhubarbe, 2017

La terre
n’est à personne
a dit l’indien
alors on l’a tué
et on a pris
la terre

Le poème
n’est à personne
a dit le poète
alors on l’a fait
taire
pour prendre
la parole

Page élaborée avec la complicité de Michel Fievet, Roselyne Sibille et Cécile Guivarch


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